NOUVELLE ÉDITION
PAR
M. PHILARÈTE CHASLES
PROFESSEUR AU COLLÉGE DE FRANCE
«Chaque homme de plus qui sait lire est un lecteur de plus pour Molière».
Sainte-Beuve.
TOME DEUXIÈME
PARIS
CALMANN LÉVY, ÉDITEUR
ANCIENNE MAISON MICHEL LÉVY FRÈRES
3, RUE AUBER, 3
1888
Droits de reproduction et de traduction réservés
E. COLIN—IMPRIMERIE DE LAGNY
DEUXIÈME ÉPOQUE
1659—1664
(SUITE)
REPRÉSENTÉE POUR LA PREMIÈRE FOIS, A PARIS, LE 4 JUIN 1661 SUR LE THÉATRE DU PALAIS-ROYAL.
Molière touche à sa quarantième année. Encore meurtri de l'échec subi par son drame espagnol, il est sur le point d'épouser Armande Béjart, coquette qui n'a pas dix-sept ans, et il médite une nouvelle œuvre.
Celle-ci sera toute en faveur de la jeunesse et de ses penchants, d'une liberté morale plus large que par le passé, d'une indulgence plus facile envers les femmes. Il plaidera, contre la vieille austérité bourgeoise, la cause de la nouvelle cour, amoureuse des bals, des divertissements et des fêtes; il rira des vains efforts de la vieillesse hargneuse, pour dompter l'ardente adolescence et réprimer ses libres essors.
Déjà Térence, dans ses Adelphes, avait soutenu la même thèse et opposé l'un à l'autre deux frères; l'un dont la bénévole indulgence réussit à tout, l'autre dont on déjoue sans peine la prévoyance chagrine et le despotisme bourru. Après lui, le metteur en œuvre des fabliaux du moyen âge, celui qui donnera un caractère d'élégante immoralité aux «archives immortelles des malices du sexe,» Boccace, avait montré une jeune femme éprise d'un adolescent, surveillée par sa famille, et qui, pour faire connaître son amour à celui qu'elle préfère, charge un confesseur de l'inviter à cesser des poursuites qu'il n'a pas commencées[1]. Après Boccace, Lope de Vega, le vrai créateur du théâtre espagnol, à la fin du XVIe siècle, s'empare de la donnée; ne pouvant jeter sur la scène de son pays un prêtre si peu orthodoxe, il change la condition des personnages; son héroïne, femme intrépide, adresse la même confidence au père de celui qu'elle veut avertir. L'œuvre médiocre d'un dramaturge de la même nation, Moreto, offre encore cette situation modifiée, mais non plus morale. On la retrouve enfin dans une imitation française de Dorimont, la Femme industrieuse, pièce absurde, jouée sur le théâtre de Mademoiselle vers le commencement de l'année 1661.
Ni la Discreta Enamorada (l'Amoureuse avisée) de Lope de Vega, ni la pièce de Moreto, No se puede gardar una mujer (Garder une femme, chose impossible), ne sont des œuvres définitives. Molière réunit ces éléments, les concentre, les groupe et leur imprime une forme solide, une personnalité passionnée. Au centre de son œuvre, et comme but du ridicule, il place un personnage de l'ancien régime, c'est-à-dire du temps de Henri IV: vêtu comme Sully, au pourpoint large, aux culottes serrées; professant l'indépendante brusquerie du langage et des actes; hargneux, quinteux, désobligeant, n'aimant ni à recevoir ni à rendre les coups de chapeau; prétendant vivre à sa mode et se refuser aux avances de la société nouvelle; égoïste, d'ailleurs, et se servant de la morale 3 comme d'une arme utile à ses penchants: c'est Sganarelle. Son antagoniste est l'homme du monde, élève et propagateur d'une philosophie modérée et d'une indulgence raisonnable, Ariste, son frère, qui défend les droits de la jeunesse et de l'amour et que l'on prendrait volontiers pour l'ombre philosophique de Gassendi.
L'œuvre était presque achevée, et Molière cherchait son dénoûment, lorsque la vive et espiègle enfant qu'il avait vue grandir et dont il raffolait dans son âge mûr, Armande Béjart, entra, dit-on, dans la chambre du poëte, y prit refuge, se plaignit des jalousies et des tyrannies de sa sœur aînée, et déclara fièrement qu'elle ne sortirait de chez Molière qu'avec la promesse solennelle d'un mariage prochain. Molière s'engagea. Sa destinée était fixée, le malheur de sa vie était décidé; mais il avait trouvé son dénoûment: c'est exactement celui de l'œuvre nouvelle.
On s'étonne souvent de l'érudition de Molière, de la persistante multiplicité des études qui durent concourir à chacune de ses œuvres. Il faut s'étonner davantage de la cruelle audace avec laquelle il opérait sur lui-même, faisait de sa propre vie l'aliment de son théâtre et transportait (comme on le disait alors) sur la scène «tout son domestique,» fautes, passions, espérances, douleurs et remords de sa vie morale. Nous verrons tour à tour apparaître (dans le Misanthrope et sous le nom d'Élise) la bonne mademoiselle Debrie, qui l'avait consolé; dans dix autres pièces la jalouse sœur, Madeleine Béjart; partout, sous la forme variée d'Henriette, de Célimène, de Psyché, la jeune et brillante enfant qu'il allait épouser pour son malheur. C'est ici sa première apparition. Elle est Agnès, dangereuse ignorante, pupille ingénue et maligne, Rosine anticipée d'un tuteur qui deviendra Bartholo sous la plume de Beaumarchais et qui est Molière en 1661.
Ce fut encore un incomparable succès. Cette jeune cour trouva naturel qu'on prit la défense d'une honnête et douce liberté. Chacun allait bientôt s'intéresser à la fragilité touchante de mademoiselle de la Vallière. Racine 4 préparait ses délicats chefs-d'œuvre. Les plus sages de la cour, les modérés, se retrouvaient dans Ariste; l'homme à boutades, Molière, le tuteur quinteux, fut la risée de tous.
Douze jours après la première représentation de l'œuvre sur le théâtre du Palais-Royal, Molière et sa troupe durent se rendre aux ordres du surintendant Fouquet, ou, comme le disaient ses amies les Précieuses, du grand Cléonime, qui recevait dans les jardins de son magnifique château de Vaux, Monsieur, Madame et Henriette, reine d'Angleterre. Après avoir traité magnifiquement
De Visé lui-même, le critique acharné, convint, dans son journal, que la pièce «si elle avait eu cinq actes, aurait bien pu passer à la postérité.»
L'échec de Don Garcie était réparé. Molière était l'homme du demi-siècle qui commençait. Quant au but moral, que les critiques ont cherché dans l'œuvre nouvelle, craignons de nous engager sur leurs traces. Ne prétendons ni le découvrir ni le regretter. L'École des maris, sachons-le bien, n'est ni un sermon, ni une œuvre didactique. Hélas! c'est la vie.
A MONSEIGNEUR
LE DUC D'ORLÉANS
FRÈRE UNIQUE DU ROI[3]
Monseigneur,
Je fais voir ici, à la France, des choses bien peu proportionnées. Il n'est rien de si grand et de si superbe que le nom que je mets à la tête de ce livre, et rien de plus bas[4] que ce qu'il contient. Tout le monde trouvera cet assemblage étrange; et quelques-uns pourront bien dire, pour en exprimer l'inégalité, que c'est poser une couronne de perles et de diamants sur une statue de terre, et faire entrer par des portiques magnifiques et des arcs triomphaux superbes dans une méchante cabane. Mais, Monseigneur, ce qui doit me servir d'excuse, c'est qu'en cette aventure je n'ai eu aucun choix à faire, et que l'honneur que j'ai d'être à Votre Altesse Royale m'a imposé une nécessité absolue de lui dédier le premier ouvrage que je mets de moi-même au jour[5]. Ce n'est pas un présent que je lui fais, c'est un devoir dont je m'acquitte; et les hommages ne sont jamais regardés par les choses qu'ils portent. J'ai donc osé, Monseigneur, dédier une bagatelle à Votre Altesse Royale, parce que je n'ai pu m'en dispenser; et, si je me dispense ici de m'étendre sur les belles et glorieuses vérités qu'on pourrait dire d'elle, c'est par la juste appréhension que ces grandes idées ne fissent éclater encore davantage la bassesse de mon offrande. Je me suis imposé silence pour trouver un endroit plus propre à placer de si belles choses; et tout ce que j'ai prétendu dans cette épître, c'est de justifier mon action à 6 toute la France, et d'avoir cette gloire de vous dire à vous-même, Monseigneur, avec toute la soumission possible, que je suis,
De Votre Altesse Royale,
Le très-humble, très-obéissant et très-fidèle serviteur,
J. B. P. Molière.
PERSONNAGES | ACTEURS | ||
SGANARELLE, | } | frères. | Molière. |
ARISTE,[6] | L'Espy. | ||
ISABELLE, | } | sœurs. | Mlle Debrie. |
LÉONOR, | A. Béjart. | ||
LISETTE, suivante de Léonor. | Mme Béjart. | ||
VALÈRE, amant d'Isabelle. | La Grange. | ||
ERGASTE, valet de Valère. | Duparc. | ||
UN COMMISSAIRE. | Debrie. | ||
UN NOTAIRE. | |||
La scène est à Paris, sur une place publique. |
ACTE PREMIER
SCÈNE I.—SGANARELLE, ARISTE.
SGANARELLE.
ARISTE.
SGANARELLE.
ARISTE.
SGANARELLE.
ARISTE.
SGANARELLE.
ARISTE.
SGANARELLE.
ARISTE.
SGANARELLE.
SCÈNE II.—LÉON, ISABELLE, LISETTE, ARISTE ET SGANARELLE, parlant bas ensemble, sur le devant du théâtre, sans être aperçus.
LÉONOR, à Isabelle.
LISETTE, à Isabelle.
ISABELLE.
LÉONOR.
LISETTE, à Léonor.
ISABELLE.
LISETTE.
SGANARELLE, heurté par Lisette.
LÉONOR.
SGANARELLE, à Léonor.
ARISTE.
SGANARELLE.
ARISTE.
SGANARELLE.
ARISTE.
SGANARELLE.
ARISTE.
SGANARELLE.
ARISTE.
SGANARELLE.
ARISTE.
SGANARELLE.
ISABELLE.
SGANARELLE.
LÉONOR.
SGANARELLE.
LÉONOR.
SGANARELLE.
LÉONOR.
LISETTE.
SGANARELLE, à Ariste.
ARISTE.
SGANARELLE.
ARISTE.
SGANARELLE.
ARISTE.
SGANARELLE.
ARISTE.
SGANARELLE.
ARISTE.
SGANARELLE.
ARISTE.
SGANARELLE.
ARISTE.
SGANARELLE.
ARISTE.
SGANARELLE.
ARISTE.
SGANARELLE.
ARISTE.
SGANARELLE.
ARISTE.
SGANARELLE.
ARISTE.
SGANARELLE.
ARISTE.
SGANARELLE.
SCÈNE III.—LÉONOR, LISETTE, ARISTE, SGANARELLE.
ARISTE.
SGANARELLE.
ARISTE.
SGANARELLE.
LÉONOR.
LISETTE.
SGANARELLE.
ARISTE.
SGANARELLE.
SCÈNE IV[24].—SGANARELLE.
SCÈNE V.—SGANARELLE, VALÈRE, ERGASTE.
VALÈRE, dans le fond du théâtre.
SGANARELLE, se croyant seul.
VALÈRE.
SGANARELLE, se croyant seul.
VALÈRE.
ERGASTE.
SGANARELLE, se croyant seul.
VALÈRE, en s'approchant peu à peu.
SGANARELLE, entendant quelque bruit.
ERGASTE, à Valère.
SGANARELLE, entendant encore du bruit.
ERGASTE, à Valère.
SGANARELLE, sans prendre garde à Valère.
VALÈRE.
SGANARELLE.
VALÈRE.
SGANARELLE.
VALÈRE.
SGANARELLE.
VALÈRE.
SGANARELLE.
VALÈRE.
SGANARELLE.
VALÈRE.
SGANARELLE.
VALÈRE.
SGANARELLE.
VALÈRE.
SGANARELLE.
VALÈRE.
SGANARELLE.
SCÈNE VI.—VALÈRE, ERGASTE.
VALÈRE.
ERGASTE.
VALÈRE.
ERGASTE.
VALÈRE.
ERGASTE.
VALÈRE.
ERGASTE.
VALÈRE.
ERGASTE.
VALÈRE.
ERGASTE.
VALÈRE.
ERGASTE.
ACTE II
SCÈNE I.—SGANARELLE, ISABELLE.
SGANARELLE.
ISABELLE, à part.
SGANARELLE.
ISABELLE.
SGANARELLE.
ISABELLE, en s'en allant.
SCÈNE II.—SGANARELLE.
SCÈNE III.—SGANARELLE, VALÈRE, ERGASTE.
SGANARELLE, à Ergaste, qui est sorti brusquement.
VALÈRE.
SGANARELLE.
VALÈRE.
SGANARELLE.
VALÈRE.
SGANARELLE.
VALÈRE.
SGANARELLE.
VALÈRE.
SGANARELLE.
VALÈRE.
SGANARELLE.
VALÈRE.
SGANARELLE.
VALÈRE.
SGANARELLE.
VALÈRE.
SGANARELLE.
VALÈRE.
SGANARELLE.
VALÈRE.
SGANARELLE.
VALÈRE.
SGANARELLE.
VALÈRE.
SGANARELLE.
VALÈRE.
SGANARELLE.
VALÈRE.
SGANARELLE.
VALÈRE.
SGANARELLE.
VALÈRE.
SGANARELLE.
VALÈRE.
SGANARELLE.
VALÈRE.
SGANARELLE.
VALÈRE.
SGANARELLE.
VALÈRE.
SGANARELLE.
VALÈRE, bas.
SGANARELLE, bas, à part.
ERGASTE, bas à Valère.
SGANARELLE, à part.
VALÈRE, bas à Ergaste.
ERGASTE, bas.
SCÈNE IV.—SGANARELLE.
SCÈNE V.—SGANARELLE, ISABELLE.
ISABELLE, bas, en entrant.
SGANARELLE.
ISABELLE.
SGANARELLE.
ISABELLE.
SGANARELLE.
ISABELLE.
SGANARELLE.
ISABELLE.
SGANARELLE.
ISABELLE.
SGANARELLE.
ISABELLE.
SGANARELLE.
ISABELLE.
SGANARELLE.
ISABELLE.
SGANARELLE.
SCÈNE VI.—SGANARELLE.
SCÈNE VII.—SGANARELLE, ERGASTE.
ERGASTE.
SGANARELLE.
SCÈNE VIII.—ERGASTE, VALÈRE.
VALÈRE.
ERGASTE.
VALÈRE lit.
«Cette lettre vous surprendra sans doute, et l'on peut trouver bien hardi pour moi, et le dessein de vous l'écrire, et la manière de vous la faire tenir; mais je me vois dans un état à ne plus garder de mesure. La juste horreur d'un mariage dont je suis menacée dans six jours me fait hasarder toutes choses; et, dans la résolution de m'en affranchir par quelque voie que ce soit, j'ai cru que je devois plutôt vous choisir que le désespoir. Ne croyez pas pourtant que vous soyez redevable de tout à ma mauvaise destinée; ce n'est pas la contrainte où je me trouve qui a fait naître les sentiments que j'ai pour vous; mais c'est elle qui en précipite le témoignage, et qui me fait passer sur des formalités où la bienséance du sexe oblige. Il ne tiendra qu'à vous que je sois à vous bientôt, et j'attends seulement que vous m'ayez marqué les intentions de votre amour, pour vous faire savoir la résolution que j'ai prise; mais, surtout, songez que le temps presse, et que deux cœurs qui s'aiment doivent s'entendre à demi mot.»ERGASTE.
VALÈRE.
ERGASTE.
SCÈNE IX.—VALÈRE, ERGASTE, SGANARELLE.
SGANARELLE, se croyant seul.
VALÈRE.
SGANARELLE.
VALÈRE.
SGANARELLE.
VALÈRE.
SGANARELLE.
VALÈRE.
SGANARELLE.
VALÈRE.
SGANARELLE.
VALÈRE.
SGANARELLE.
VALÈRE.
SGANARELLE.
ERGASTE, à Valère.
SCÈNE X.—SGANARELLE.
Il me fait grand'pitié,SCÈNE XI.—SGANARELLE, ISABELLE.
SGANARELLE.
ISABELLE, bas.
SGANARELLE.
ISABELLE.
SGANARELLE.
ISABELLE.
SGANARELLE.
ISABELLE.
SGANARELLE.
ISABELLE.
SGANARELLE.
ISABELLE.
SGANARELLE.
ISABELLE.
SGANARELLE.
ISABELLE.
SGANARELLE.
ISABELLE.
SGANARELLE.
ISABELLE.
SGANARELLE.
ISABELLE.
SGANARELLE.
SCÈNE XII.—SGANARELLE.
SCÈNE XIII.—VALÈRE, SGANARELLE, ERGASTE.
VALÈRE.
SGANARELLE.
VALÈRE.
SGANARELLE.
VALÈRE.
SGANARELLE.
VALÈRE.
SGANARELLE.
SCÈNE XIV.—ISABELLE, SGANARELLE, VALÈRE, ERGASTE.
ISABELLE.
SGANARELLE.
ISABELLE, à Valère.
VALÈRE.
ISABELLE.
SGANARELLE.
ISABELLE.
SGANARELLE.
ISABELLE.
SGANARELLE.
ISABELLE.
SGANARELLE.
ISABELLE.
SGANARELLE.
ISABELLE.
SGANARELLE.
VALÈRE.
ISABELLE.
SGANARELLE.
ISABELLE.
SGANARELLE.
ISABELLE.
VALÈRE.
ISABELLE.
SGANARELLE, à Valère.
VALÈRE.
SGANARELLE.
SCÈNE XV.—ISABELLE, SGANARELLE.
SGANARELLE.
ISABELLE.
SGANARELLE.
ISABELLE.
SGANARELLE.
ISABELLE.
SGANARELLE.
ISABELLE, à part.
ACTE III
SCÈNE I.—ISABELLE.
SCÈNE II.—SGANARELLE, ISABELLE.
SGANARELLE, parlant à ceux qui sont dans sa maison.
ISABELLE.
SGANARELLE.
ISABELLE.
SGANARELLE.
ISABELLE.
SGANARELLE.
ISABELLE.
SGANARELLE.
ISABELLE.
SGANARELLE.
ISABELLE.
SGANARELLE.
ISABELLE.
SGANARELLE.
ISABELLE.
SGANARELLE.
ISABELLE.
SGANARELLE.
ISABELLE.
SGANARELLE.
ISABELLE.
SGANARELLE.
ISABELLE.
SGANARELLE, seul.
ISABELLE, dans la maison.
SGANARELLE.
ISABELLE, en sortant[46].
SGANARELLE.
ISABELLE, à part.
SGANARELLE, à part.
SCÈNE III.—VALÈRE, ISABELLE, SGANARELLE.
VALÈRE, sortant brusquement.
ISABELLE, à Valère.
SGANARELLE.
ISABELLE, à Valère.
VALÈRE.
SGANARELLE, à part.
VALÈRE.
SCÈNE IV.—SGANARELLE.
SCÈNE V.—SGANARELLE, UN COMMISSAIRE, UN NOTAIRE, UN LAQUAIS, avec un flambeau.
LE COMMISSAIRE.
SGANARELLE.
LE COMMISSAIRE.
SGANARELLE.
LE COMMISSAIRE.
SGANARELLE.
LE COMMISSAIRE.
SGANARELLE.
LE NOTAIRE.
LE COMMISSAIRE.
SGANARELLE.
LE COMMISSAIRE.
SGANARELLE.
SCÈNE VI.—ARISTE, SGANARELLE.
ARISTE.
SGANARELLE.
ARISTE.
SGANARELLE.
ARISTE.
SGANARELLE.
ARISTE.
SGANARELLE.
ARISTE.
SGANARELLE.
ARISTE.
SGANARELLE.
ARISTE.
SGANARELLE.
ARISTE.
SGANARELLE.
ARISTE.
SGANARELLE.
ARISTE.
SGANARELLE.
ARISTE.
SGANARELLE.
ARISTE.
SGANARELLE.
ARISTE.
SGANARELLE.
SCÈNE VII.—SGANARELLE, ARISTE, UN COMMISSAIRE, UN NOTAIRE.
LE COMMISSAIRE.
ARISTE.
LE COMMISSAIRE.
SCÈNE VIII.—VALÈRE, UN COMMISSAIRE, UN NOTAIRE, SGANARELLE, ARISTE.
VALÈRE, à la fenêtre de sa maison.
SGANARELLE.
ARISTE, à Valère.
SGANARELLE, à Ariste.
ARISTE.
SGANARELLE.
ARISTE.
SGANARELLE.
VALÈRE.
ARISTE, à Sganarelle.
SGANARELLE.
LE COMMISSAIRE.
VALÈRE.
SGANARELLE.
ARISTE.
SGANARELLE.
ARISTE.
SGANARELLE.
ARISTE.
SGANARELLE.
ARISTE.
SGANARELLE.
LE COMMISSAIRE.
SGANARELLE, à Ariste.
SCÈNE IX.—LÉONOR, SGANARELLE, ARISTE, LISETTE.
LÉONOR.
LISETTE.
LÉONOR.
SGANARELLE, à Ariste.
ARISTE.
LÉONOR.
ARISTE.
SGANARELLE.
LÉONOR.
SCÈNE X.—ISABELLE, VALÈRE, LÉONOR, ARISTE, SGANARELLE, UN COMMISSAIRE, UN NOTAIRE, LISETTE, ERGASTE.
ISABELLE.
VALÈRE, à Sganarelle.
ARISTE.
LISETTE.
LÉONOR.
ERGASTE.
SGANARELLE, sortant de l'accablement dans lequel il étoit plongé.
ERGASTE.
ARISTE.
LISETTE, au parterre.
FIN DE L'ÉCOLE DES MARIS.
REPRÉSENTÉE POUR LA PREMIÈRE FOIS, A VAUX, LE 16 AOÛT 1661; DEVANT LA COUR, A FONTAINEBLEAU, LE 27 AOÛT 1661; ET SUR LE THÉATRE DU PALAIS-ROYAL, A PARIS, LE 4 NOVEMBRE 1661.
Mazarin a cessé de vivre. Le gouvernement du jeune roi s'établit. La cour s'organise; tout se concentre autour du trône. Savants, courtisans, guerriers, coquettes, gens d'intrigue, saluent à l'envi la grande étoile monarchique qui se lève. «N'ayez plus de premier ministre,» avait dit Mazarin à Louis XIV. C'était bien ce que se proposait le monarque.
Une seule autorité, celle de Fouquet, pouvait tenir en échec l'autorité souveraine. Sa ruine fut résolue, non-seulement, comme le dit Louis XIV lui-même, «parce qu'il continuoit des dépenses excessives, fortifioit des places et vouloit se rendre l'arbitre souverain de l'État,» mais pour avoir brigué, à prix d'or, le cœur de mademoiselle de la Vallière; étourdi, généreux, d'un esprit facile et prompt à se flatter, il ne se doutait pas qu'on devait l'arrêter au milieu de la grande fête qu'il allait donner, le 16 août 1661, 59 dans sa maison de Vaux. Il ne songeait qu'à éblouir la France et la cour; sa magnificence rendit ses ennemis implacables et le roi irréconciliable.
Lebrun fut chargé de peindre les décorations, Torelli de disposer les machines; Molière, devenu l'homme indispensable, depuis le succès de l'École des Maris, de Sganarelle, et des Précieuses, reçut l'ordre de composer la pièce et de la faire représenter. On lui donna quinze jours pour cela. Au fond d'une allée de sapins éclairée par mille flambeaux, au milieu d'autres larges allées
la comédie des Fâcheux fut représentée. L'ordre secret d'arrestation lancé contre le surintendant fut suspendu; et l'on alla, dit encore le journaliste,
L'esquisse, improvisée en quinze jours par Molière, apprise en trois jours par sa troupe, était un chef-d'œuvre en son genre. Il avait puisé, pour l'accomplir, dans son érudition, dans ses souvenirs et dans sa passion. Les contre-temps de la vie, la difficulté d'atteindre un but désiré; 60 les nouveaux ridicules d'une cour pleine de mouvement et de jeunesse; les originaux qui se montraient en relief au milieu de ce monde élégant, voilà le sujet de l'œuvre. Molière savait qu'en France, pays de sociabilité par excellence, un original est un fâcheux qui déplaît à tout le monde; il savait aussi qu'une discipline sociale, stricte et brillante à la fois, allait bientôt s'établir et bannir les originaux comme autant d'ennemis publics. Dans un vieux canevas italien, le Case svaliggiate, ovvero gli interrompimenti di Pantalone, se trouve le rôle de Pantalon qui, sur le point, comme dit la Fontaine, «de se rendre à une assignation amoureuse», est interrompu par toute sorte de gens. Molière s'en empare. Il se rappelle aussi la vive satire où Horace[54] punit le bavard qui l'a escorté malgré lui; et l'autre satire où Mathurin Régnier[55] raille cet importun qui l'a suivi jusque chez sa maîtresse. Sur ces premières assises l'édifice léger s'élève. Molière fait entrer en scène, et en première ligne, Armande, l'enfant coquette, d'une beauté si attrayante et qui allait le martyriser; Armande, habituée aux hommages, et qui s'accommode mal de la jalousie de Molière et de ses fureurs; puis la belle mademoiselle Duparc, danseuse célèbre et beauté à la mode, au port de reine; mademoiselle Debrie, d'une humeur plus indulgente et moins bien partagée de la nature; enfin, lui-même, Éraste, bouillant d'amour, sur le point d'épouser celle qu'il aime, entravé par mille obstacles, arrêté par mille fâcheux et réussissant à les mettre en fuite. Il dispose, on le voit, de ses acteurs, comme le peintre des couleurs de sa palette; il y mêle, artiste passionné, ce qu'il a de plus intime, son propre sang et ses propres larmes.
Pour consoler la jalouse Madeleine, beauté de quarante-trois ans, majestueuse encore et qui n'a point de rôle dans 61 l'ouvrage, elle sera la Naïade sortant d'une coquille de nacre aux yeux de l'assemblée; elle annoncera l'œuvre du poëte et semblera la reine du magnifique séjour[56].
Que de difficultés vaincues! Le champ devient libre, et Molière s'y élance avec une hardiesse et un tact incomparables. Depuis la représentation des Précieuses, il a entre les mains des notes critiques et des portraits de caractères que lui livrent, sur leurs rivaux et leurs amis, tous les gens de la cour. Il en use, et il fait un choix parmi les ridicules qui lui sont signalés. Le roi lui-même, après la représentation, daigne lui indiquer un original qu'il a oublié, le chasseur forcené, M. de Soyecourt. Il devient ainsi de plein droit le premier ministre comique de Louis XIV, l'organe de ses vues, le régulateur moral de la société renouvelée.
Celui qui, dans l'École des Maris et les Précieuses, a frappé les hargneux, les pédantes et les mécontents de l'ancienne cour, attaque cette fois, d'une main légère, mais sûre, les écervelés de la cour nouvelle, leurs rencontres bruyantes, leurs cris quand ils s'embrassent, la prétention des faiseurs de projets, l'audace des solliciteurs, tout ce qui devait être insupportable au nouveau maître. Initié aux secrets de Saint-Germain et aux faiblesses du roi que mademoiselle de la Vallière captivait, le poëte glisse obscurément dans les scènes d'amour quelques paroles attendries sur les secrètes douceurs que le «mystère réserve aux cœurs bien épris.» Le jeune souverain voyait ses intérêts servis, sa politique sociale aidée et devinée, jusqu'aux fibres secrètes de son cœur délicatement touchées 62 par ce comédien modeste. La protection du roi, depuis ce moment, n'abandonna plus Molière. Comme la Fontaine, comme Boileau, Louis XIV comprit «que c'était là son homme.» Dès lors Molière poursuivit librement sa carrière, à titre d'aide de camp, si l'on peut parler ainsi, de ce roi qui pétrissait la cour et la France dans un moule d'unité brillante. Marquis et tartufes ne purent prévaloir.
Les Fâcheux, improvisés par le grand artiste, manquaient d'intrigue et d'intérêt. Il créa pour cette pièce à tiroirs de nouvelles ressources et comme une harmonie nouvelle: peintre, musicien, danseur, décorateur, il distribua ses groupes, composa la scène, arrangea les plans, moins au point de vue du drame proprement dit que sous celui de l'art plastique. A l'instar des Italiens, qu'il aima toujours, il fit entrer des danseuses sur la scène, et mêla au dialogue du drame l'action vive du ballet. C'était donner à son œuvre un horizon pittoresque et la grâce animée d'un tableau demi-flamand, comme le faisait Karl Dujardin.
Ce petit chef-d'œuvre fut admiré des courtisans, qui se jouaient eux-mêmes; non-seulement ils avaient donné les notes et préparé la comédie; mais le théâtre était de plain-pied avec les spectateurs; «de côté et d'autre, mêmes hommes, mêmes canons, mêmes plumes, mêmes postures, excepté que, du côté où le ridicule a été copié, on se tait, on écoute; et que, là où il figure imité, on parle, on agit, on fait rire[57].»
Celui qui donnait la fête, le rival de Louis XIV, fut arrêté un mois après; le nouveau siècle avançait dans sa voie, l'unité royale se dessinait, et l'autorité du poëte comique grandissait avec elle.
AU ROI
Sire,
J'ajoute une scène à la comédie; et c'est une espèce de fâcheux, assez insupportable, un homme qui dédie un livre. Votre Majesté en sait des nouvelles plus que personne de son royaume, et ce n'est pas d'aujourd'hui qu'elle se voit en butte à la furie des épîtres dédicatoires. Mais, bien que je suive l'exemple des autres, et me mette moi-même au rang de ceux que j'ai joués, j'ose dire toutefois à Votre Majesté que ce que j'en ai fait n'est pas tant pour lui présenter un livre que pour avoir lieu de lui rendre grâces du succès de cette comédie. Je le dois, Sire, ce succès qui a passé mon attente, non-seulement à cette glorieuse approbation dont Votre Majesté honora d'abord la pièce, et qui a entraîné si hautement celle de tout le monde, mais encore à l'ordre qu'elle me donna d'y ajouter un caractère de fâcheux, dont elle eut la bonté de m'ouvrir les idées elle-même, et qui a été trouvé partout le plus beau morceau de l'ouvrage. Il faut avouer, Sire, que je n'ai jamais rien fait, avec tant de facilité, ni si promptement, que cet endroit où Votre Majesté me commanda de travailler. J'avois une joie à lui obéir qui me valoit bien mieux qu'Apollon et toutes les Muses; et je conçois par là ce que je serois capable d'exécuter pour une comédie entière, si j'étois inspiré par de pareils commandements. Ceux qui sont nés en un rang élevé peuvent se proposer l'honneur de servir Votre Majesté dans les grands emplois; mais, pour moi, toute la gloire où je puis aspirer, c'est de la réjouir. Je borne là l'ambition de mes souhaits; et je crois qu'en quelque façon ce n'est pas être inutile à la France que de contribuer[58] quelque chose au divertissement de son roi. Quand je n'y réussirai pas, ce ne sera jamais par un défaut de zèle ni d'étude, mais 64 seulement par un mauvais destin qui suit assez souvent les meilleures intentions, et qui, sans doute affligeroit sensiblement.
Sire,
De Votre Majesté,
Le très-humble, très-obéissant, et très-fidèle serviteur et sujet,
J.-B. P. Molière.
AVERTISSEMENT
Jamais entreprise au théâtre ne fut si précipitée que celle-ci, et c'est une chose, je crois, toute nouvelle, qu'une comédie ait été conçue, faite, apprise, et représentée en quinze jours. Je ne dis pas cela pour me piquer de l'impromptu, et en prétendre de la gloire, mais seulement pour prévenir certaines gens, qui pourroient trouver à redire que je n'aie pas mis ici toutes les espèces de fâcheux qui se trouvent. Je sais que le nombre en est grand, et à la cour et dans la ville; et que, sans épisodes, j'eusse bien pu en composer une comédie de cinq actes bien fournis, et avoir encore de la matière de reste. Mais, dans le peu de temps qui me fut donné, il m'étoit impossible de faire un grand dessein, et de rêver beaucoup sur le choix de mes personnages et sur la disposition de mon sujet. Je me réduisis donc à ne toucher qu'un petit nombre d'importuns, et je pris ceux qui s'offrirent d'abord à mon esprit, et que je crus les plus propres à réjouir les augustes personnes devant qui j'avois à paraître; et, pour lier promptement toutes ces choses ensemble, je me servis du premier nœud que je pus trouver. Ce n'est pas mon dessein d'examiner maintenant si tout cela pouvoit être mieux, et si tous ceux qui s'y sont divertis 65 ont ri selon les règles. Le temps viendra de faire imprimer mes remarques sur les pièces que j'aurai faites, et je ne désespère pas de faire voir un jour, en grand auteur, que je puis citer Aristote et Horace. En attendant cet examen, qui peut-être ne viendra point, je m'en remets assez aux décisions de la multitude, et je tiens aussi difficile de combattre un ouvrage que le public approuve que d'en défendre un qu'il condamne.
Il n'y a personne qui ne sache pour quelle réjouissance la pièce fut composée; et cette fête a fait un tel éclat, qu'il n'est pas nécessaire d'en parler; mais il ne sera pas hors de propos de dire deux paroles des ornements qu'on a mêlés avec la comédie.
Le dessein étoit de donner un ballet aussi; et, comme il n'y avoit qu'un petit nombre choisi de danseurs excellents, on fut contraint de séparer les entrées de ce ballet, et l'avis fut de les jeter dans les entr'actes de la comédie, afin que ces intervalles donnassent temps aux mêmes baladins de revenir sous d'autres habits: de sorte que, pour ne point rompre aussi le fil de la pièce par ces manières d'intermèdes, on s'avisa de les coudre au sujet du mieux que l'on put, et de ne faire qu'une seule chose du ballet et de la comédie: mais, comme le temps étoit fort précipité, et que tout cela ne fut pas réglé entièrement par une même tête, on trouvera peut-être quelques endroits du ballet qui n'entrent pas dans la comédie aussi naturellement que d'autres. Quoi qu'il en soit, c'est un mélange qui est nouveau pour nos théâtres, et dont on pourroit chercher quelques autorités dans l'antiquité; et, comme tout le monde l'a trouvé agréable, il peut servir d'idée à d'autres choses qui pourroient être méditées avec plus de loisir.
D'abord que la toile fut levée, un des acteurs, comme vous pourriez dire moi, parut sur le théâtre en habit de ville, et, s'adressant au roi avec le visage d'un homme surpris, fit des excuses en désordre sur ce qu'il se trouvoit là seul, et manquoit de temps et d'acteurs pour donner à Sa Majesté le divertissement qu'elle sembloit attendre. En même temps, au milieu de vingt jets d'eau naturels, s'ouvrit cette coquille que tout le monde a vue; et l'agréable naïade[59] qui parut dedans s'avança au bord 66 du théâtre, et, d'un air héroïque, prononça les vers que M. Pellisson avoit faits[60] et qui servent de prologue.
PROLOGUE
Le théâtre représente un jardin orné de termes et de plusieurs jets d'eau.
UNE NAÏADE, sortant des eaux dans une coquille.
Plusieurs dryades, accompagnées de faunes et de satyres, sortent des arbres et des termes.
La naïade emmène avec elle, pour la comédie, une partie des gens qu'elle a fait paroître, pendant que le reste se met à danser aux sons des hautbois, qui se joignent aux violons.
PERSONNAGES | ACTEURS | ||
DAMIS, tuteur d'Orphise. | L'Espy. | ||
ORPHISE. | Mlle Molière. | ||
ÉRASTE, amoureux d'Orphise. | Molière. | ||
ALCIDOR, | fâcheux. | ||
LISANDRE, | La Grange. | ||
ALCANDRE, | |||
ALCIPPE, | |||
ORANTE, | Mlle Duparc. | ||
CLIMÈNE, | Mlle Debrie. | ||
DORANTE, | |||
CARITIDÈS, | |||
ORMIN, | |||
FILINTE, | |||
LA MONTAGNE, valet d'Éraste. | Duparc. | ||
L'ÉPINE, valet de Damis. | |||
LA RIVIÈRE, et deux autres valets d'Éraste. | |||
La scène est à Paris. |
ACTE PREMIER
SCÈNE I.—ÉRASTE, LA MONTAGNE.
ÉRASTE.
LA MONTAGNE.
ÉRASTE.
LA MONTAGNE.
ÉRASTE.
LA MONTAGNE.
ÉRASTE.
LA MONTAGNE.
ÉRASTE.
LA MONTAGNE.
ÉRASTE.
LA MONTAGNE.
ÉRASTE.
LA MONTAGNE.
ÉRASTE.
LA MONTAGNE.
ÉRASTE.
LA MONTAGNE.
ÉRASTE.
LA MONTAGNE.
ÉRASTE.
LA MONTAGNE.
ÉRASTE.
LA MONTAGNE.
ÉRASTE, après avoir attendu.
LA MONTAGNE.
ÉRASTE.
LA MONTAGNE.
ÉRASTE.
LA MONTAGNE.
ÉRASTE.
LA MONTAGNE, laissant tomber le chapeau.
ÉRASTE.
LA MONTAGNE.
ÉRASTE.
SCÈNE II.—ORPHISE, ALCIDOR, ÉRASTE, LA MONTAGNE.
Orphise traverse le fond du théâtre, Alcidor lui donne la main.
ÉRASTE.
Il la salue comme elle passe, et elle en passant détourne la tête.
SCÈNE III.—ÉRASTE, LA MONTAGNE.
ÉRASTE.
LA MONTAGNE.
ÉRASTE.
LA MONTAGNE.
ÉRASTE.
LA MONTAGNE, revenant sur ses pas.
ÉRASTE.
LA MONTAGNE, revenant sur ses pas.
ÉRASTE.
LA MONTAGNE, revenant sur ses pas.
ÉRASTE.
SCÈNE IV.—ÉRASTE.
SCÈNE V.—LISANDRE, ÉRASTE.
LISANDRE.
ÉRASTE.
LISANDRE.
ÉRASTE.
LISANDRE.
ÉRASTE.
LISANDRE.
ÉRASTE.
LISANDRE.
ÉRASTE.
LISANDRE.
ÉRASTE.
LISANDRE.
ÉRASTE.
LISANDRE.
SCÈNE VI.—ÉRASTE.
SCÈNE VII.—ÉRASTE, LA MONTAGNE.
LA MONTAGNE.
ÉRASTE.
LA MONTAGNE.
ÉRASTE.
SCÈNE VIII.—ORPHISE, ÉRASTE, LA MONTAGNE.
ORPHISE.
ÉRASTE.
ORPHISE, riant.
ÉRASTE.
ORPHISE.
ÉRASTE.
ORPHISE.
ÉRASTE.
ORPHISE.
SCÈNE IX.—ALCANDRE, ORPHISE, ÉRASTE, LA MONTAGNE.
ALCANDRE.
SCÈNE X.—ALCANDRE, ÉRASTE, LA MONTAGNE.
ALCANDRE.
ÉRASTE, après avoir été quoique temps sans parler.
SCÈNE XI.—ÉRASTE, LA MONTAGNE.
ÉRASTE.
LA MONTAGNE.
ÉRASTE.
BALLET DU PREMIER ACTE
PREMIÈRE ENTRÉE.
Des joueurs de mail, en criant Gare! l'obligent à se retirer; et, comme il veut revenir lorsqu'ils ont fait,
SECONDE ENTRÉE.
Des curieux viennent, qui tournent autour de lui pour le connoître, et font qu'il se retire encore pour un moment.
ACTE II
SCÈNE I.—ÉRASTE.
SCÈNE II.—ALCIPPE, ÉRASTE.
ALCIPPE.
ÉRASTE, à part.
ALCIPPE.
ÉRASTE.
ALCIPPE.
ÉRASTE.
ALCIPPE.
ÉRASTE.
SCÈNE III.—ÉRASTE, LA MONTAGNE.
ÉRASTE.
LA MONTAGNE.
ÉRASTE.
LA MONTAGNE.
ÉRASTE.
LA MONTAGNE.
ÉRASTE.
LA MONTAGNE.
ÉRASTE.
LA MONTAGNE.
ÉRASTE.
LA MONTAGNE.
ÉRASTE.
LA MONTAGNE.
ÉRASTE.
LA MONTAGNE.
ÉRASTE.
LA MONTAGNE.
ÉRASTE.
LA MONTAGNE.
ÉRASTE.
SCÈNE IV.—ORANTE, CLIMÈNE, ÉRASTE, dans un coin du théâtre sans être aperçu.
ORANTE.
CLIMÈNE.
ORANTE.
CLIMÈNE.
ORANTE, apercevant Éraste.
ÉRASTE.
ORANTE.
ÉRASTE.
ORANTE.
CLIMÈNE, à Orante.
ÉRASTE, à part.
ORANTE à Climène.
CLIMÈNE.
ORANTE.
CLIMÈNE.
ORANTE.
CLIMÈNE.
ORANTE.
CLIMÈNE.
ORANTE.
CLIMÈNE.
ORANTE.
CLIMÈNE.
ORANTE.
Orphise paroît dans le fond du théâtre, et voit Éraste entre Orante et Climène.
ÉRASTE.
CLIMÈNE.
ÉRASTE.
SCÈNE V.—ORPHISE, ÉRASTE.
ÉRASTE, apercevant Orphise, et allant au-devant d'elle.
ORPHISE.
ÉRASTE.
ORPHISE.
SCÈNE VI.—ÉRASTE.
SCÈNE VII.—DORANTE, ÉRASTE.
DORANTE[81].
ÉRASTE.
DORANTE.
ÉRASTE.
DORANTE.
ÉRASTE.
DORANTE.
ÉRASTE, seul.
BALLET DU DEUXIÈME ACTE.
PREMIÈRE ENTRÉE.
Des joueurs de boule l'arrêtent pour mesurer un coup dont ils sont en dispute. Il se défait d'eux avec peine, et leur laisse danser un pas composé de toutes les postures qui sont ordinaires à ce jeu.
DEUXIÈME ENTRÉE.
De petits frondeurs les viennent interrompre, qui sont chassés ensuite.
TROISIÈME ENTRÉE.
Par des savetiers et des savetières, leurs pères, et autres, qui sont aussi chassés à leur tour.
QUATRIÈME ENTRÉE.
Par un jardinier qui danse seul, et se retire pour faire place au troisième acte.
ACTE III
SCÈNE I.—ÉRASTE, LA MONTAGNE.
ÉRASTE.
LA MONTAGNE.
ÉRASTE.
LA MONTAGNE.
ÉRASTE.
LA MONTAGNE.
ÉRASTE.
SCÈNE II.—CARITIDÈS, ÉRASTE.
CARITIDÈS.
ÉRASTE.
CARITIDÈS.
ÉRASTE.
CARITIDÈS.
ÉRASTE.
CARITIDÈS.
ÉRASTE.
CARITIDÈS.
ÉRASTE.
CARITIDÈS.
ÉRASTE.
CARITIDÈS.
ÉRASTE.
CARITIDÈS.
ÉRASTE.
CARITIDÈS.
ÉRASTE.
CARITIDÈS.
AU ROI
«Sire,
»Votre très-humble, très-obéissant, très-fidèle et très-savant sujet et serviteur Caritidès, François de nation, Grec de profession, ayant considéré les grands et notables abus qui se commettent aux inscriptions des enseignes des maisons, boutiques, cabarets, jeux de boule, et autres lieux de votre bonne ville de Paris, en ce que certains ignorants, compositeurs desdites inscriptions, renversent, 97 par une barbare, pernicieuse et détestable orthographe, toute sorte de sens et raison, sans aucun égard d'étymologie, analogie, énergie, ni allégorie quelconque, au grand scandale de la république des lettres et de la nation françoise, qui se décrie et déshonore, par lesdits abus et fautes grossières envers les étrangers, et notamment envers les Allemands, curieux lecteurs et inspecteurs des dites inscriptions.»
ÉRASTE.
CARITIDÈS.
ÉRASTE.
CARITIDÈS continue.
«Supplie humblement Votre Majesté de créer, pour le bien de son État et la gloire de son empire, une charge de contrôleur, intendant, correcteur, réviseur et restaurateur général desdites inscriptions, et d'icelle honorer le suppliant, tant en considération de son rare et éminent savoir que des grands et signalés services qu'il a rendus à l'État et à Votre dite Majesté, en françois, latin, grec, hébreu, syriaque, chaldéen, arabe...»
ÉRASTE, l'interrompant.
CARITIDÈS.
ÉRASTE.
SCÈNE III.—ORMIN, ÉRASTE.
ORMIN.
ÉRASTE.
ORMIN.
ÉRASTE, bas, à part.
ORMIN.
ÉRASTE.
ORMIN.
ÉRASTE.
ORMIN.
ÉRASTE.
ORMIN.
ÉRASTE.
ORMIN.
ÉRASTE.
ORMIN.
ÉRASTE.
SCÈNE IV.—FILINTE, ÉRASTE.
FILINTE.
ÉRASTE.
FILINTE.
ÉRASTE.
FILINTE.
ÉRASTE.
FILINTE.
ÉRASTE, à part.
FILINTE.
ÉRASTE.
FILINTE.
ÉRASTE.
FILINTE.
ÉRASTE.
FILINTE.
ÉRASTE.
FILINTE.
ÉRASTE.
FILINTE.
ÉRASTE.
FILINTE.
ÉRASTE.
FILINTE.
ÉRASTE.
SCÈNE V.—DAMIS, L'ÉPINE, ÉRASTE, LA RIVIÈRE ET SES COMPAGNONS.
DAMIS, à part.
ÉRASTE, à part.
DAMIS, à l'Épine.
LA RIVIÈRE, à ses compagnons.
DAMIS, à l'Épine.
LA RIVIÈRE, attaquant Damis avec ses compagnons.
ÉRASTE.
DAMIS.
ÉRASTE, revenant.
DAMIS.
ÉRASTE.
DAMIS.
SCÈNE VI.—ORPHISE, DAMIS, ÉRASTE.
ORPHISE, sortant de chez elle avec un flambeau.
DAMIS.
ORPHISE.
ÉRASTE.
DAMIS.
ÉRASTE.
SCÈNE VII.—DAMIS, ORPHISE, ÉRASTE, L'ÉPINE.
L'ÉPINE.
ÉRASTE.
BALLET DU TROISIÈME ACTE.
PREMIÈRE ENTRÉE.
Des suisses, avec des hallebardes, chassent tous les masques fâcheux et se retirent ensuite pour laisser danser à leur aise.
DERNIÈRE ENTRÉE.
Quatre bergers et une bergère, qui, au sentiment de tous ceux qui l'ont vue, ferme le divertissement d'assez bonne grâce.
FIN DES FACHEUX
REPRÉSENTÉE POUR LA PREMIÈRE FOIS, A PARIS, LE 26 DÉCEMBRE 1662, SUR LE THÉATRE DU PALAIS-ROYAL.
Voici Molière marié. L'imperfection de l'espèce humaine, plus vive et plus flagrante dans l'association de deux êtres dépendant l'un de l'autre, lui apparaît redoutable. Il a quarante et un ans et sa femme en a dix-huit; il est sombre et contemplatif: elle est coquette et sans principes. Il ne porte pas même le nom de son père, Poquelin; après tout, ce n'est qu'un acteur.
Jolie, admirée et vaine, fille de gentilhomme, elle est entourée de seigneurs dont les titres et les prétentions brillent comme leur épée. L'éducation d'Armande s'est faite dans la vie nomade, sur les grandes routes et à travers les villes que visitait la troupe de ses parents et de Molière. C'était cette petite Armande que depuis treize années il avait bercée sur ses genoux, dont il avait développé l'esprit, qu'il avait formée pour la scène, c'était elle qui prenait son essor du côté des marquis, de la coquetterie et du luxe, et se souciait peu des conseils donnés par ce directeur de troupe enseveli dans ses vieux livres ou dans l'étude de ses rôles, et qui lui était toujours apparu comme un père ou un tuteur.
Molière pleura; cela lui arrivait souvent, il l'avoue lui-même dans une lettre à le Vayer. On a même avancé que, ne pouvant chasser de sa maison les marquis, ni armer sa femme contre les séductions hardies qui venaient l'assiéger, il fut saisi de désespoir peu de temps après le mariage, et suivit le roi en Lorraine; fait qui n'a rien de possible, puisque le roi ne partit pour la Lorraine qu'au commencement de l'année 1663.
Quoi qu'il en soit, en 1662 le ménage est déjà troublé. Armande ne paraîtra plus dans la nouvelle œuvre que médite le poëte. Molière a beaucoup souffert; et, ce qui est le propre du génie, il aperçoit le côté comique de sa souffrance.
Dévoré de douloureuses passions, se reprochant sa faiblesse, impuissant à se vaincre, comprenant l'imperfection de l'humanité et l'irrésistible entraînement de la coquetterie féminine, il prit une résolution étrange: il se joua lui-même et railla l'involontaire amour dont il était obsédé. Cette situation prête à l'œuvre nouvelle un accent chaud et coloré. Il se sacrifie et se condamne, lui qui a si résolument affronté le mariage dans ses conditions les plus défavorables. Il reprend avec plus de vigueur encore le combat de la jeunesse contre le vieil âge, de la nature contre la société, de l'indulgence contre la rigueur, de la femme contre ses maîtres.
Déjà Cervantès, dans sa charmante nouvelle du Jaloux, et après lui Scarron, dans sa Précaution inutile, avaient établi que la plus ignorante sait attirer dans ses piéges le plus habile, et que, pour avoir épousé une niaise on n'en est pas moins exposé à tous les dangers de l'hyménée. Molière féconde ce germe antique. Au centre de son œuvre paraît le tuteur qui prend mille soins inutiles pour refréner la folle licence et conquérir une jeune proie. C'est un égoïste et même un cynique; il exige des autres 108 une moralité qui lui profite et se réserve l'exploitation de l'immoralité qui lui plaît. Docte et passé maître en fait de ruses, sûr de lui comme tous les vieux Machiavels, despote dans la vie privée, sans respect pour la liberté d'autrui ou pour les droits de la faiblesse, théoricien de la prudence, homme à maximes, il a des remèdes pour toutes choses. Ce n'est ni un vrai croyant ni un honnête homme. Le fond de son âme est sans charité et sans pudeur, le fond de sa pensée est sans principe et sans équité. Il n'a pas de pitié pour la faiblesse, ne croit à rien d'honnête, récolte volontiers les récits graveleux et compte sur sa ruse pour n'être pas trompé. Malgré cette politique méticuleuse, ses domestiques se moquent de lui; la moindre absence met sa maison dans le désordre, et la proie qu'il convoite finit par lui échapper. Ce vieillard madré qui prétend au bel air ne se contente plus du nom d'Arnolphe; il veut être M. de la Souche. Riche et voulant jouer l'homme de cour, il imagine que tout doit céder aux rubriques de sa finesse demi-séculaire et prétend bien ne pas entrer dans la confrérie de Saint-Arnolphe (nom des maris trompés au moyen âge). Aussi se sert-il de la religion pour protéger son vice et fait-il retentir les menaces de l'enfer dans l'espoir d'enchaîner à sa décrépitude cette jeunesse florissante devenue son esclave au nom de Dieu et de la loi. Agréable dupe à voir tomber dans ses propres filets! Épris d'une passion vive, il devient tragique dans sa défaite, quand, devant la nature, ses instincts et ses forces vives, toutes les ruses du vieillard et tous ses travaux disparaissent et s'éclipsent. Du côté de Sganarelle, stratagèmes prémédités, lascivités de la pensée, personnalité cynique; du côté de la jeunesse, générosité, délicatesse, amour véritable. La fille élevée dans l'ignorance brise sans le moindre effort les réseaux du vieil oiseleur; et, ce qui est une admirable 109 combinaison inventée par Cervantès et perfectionnée par Molière, le cynisme du tuteur obscène encourage l'amant et le pousse au succès.
Imaginez l'étonnement et l'effroi des anciens à la vue de cette audace et la joie de la jeune cour! Molière annonce et prépare la place supérieure que la femme, contenue pendant tout le moyen âge dans les limites restreintes, allait assumer dans la civilisation nouvelle. Il veut que, pour être les compagnes de l'homme, elles prennent le sentiment de leur dignité; l'avilissement du faible, sa servitude, le soin de le tenir au moyen de l'ignorance dans l'infériorité et l'obscurité, ne profitent (dit le poëte) ni à sa vertu ni à la sûreté du maître. C'est donc le mouvement ascensionnel des femmes que Molière protége à ses propres dépens, il est vrai. Dans le ridicule Arnolphe, qui ne peut poser sa main ridée sur ce papillon aux ailes légères, il y a plus d'un trait emprunté à la passion de Molière et à ses douleurs.
Les commentateurs se sont épuisés en recherches pour vérifier les sources auxquelles Molière a puisé pour compléter son œuvre. Enquête difficile. Une assimilation constante venait grossir incessamment le trésor de son génie. Gauloise de ton, d'un sel puissant, d'une vigueur d'ironie extraordinaire, l'œuvre nouvelle rappelle à la fois Rabelais, Scarron, les Quinze joies du mariage, les Facéties de Straparole, Mathurin Régnier, et la Célestina espagnole de Rojas. L'art le plus délicat a su y introduire la célèbre entremetteuse du moyen âge sans blesser la décence, puisque c'est l'ingénue qui parle innocemment des vices qu'elle ignore et de la vicieuse qu'elle ne comprend pas.
Cette nouvelle bataille fut gagnée avec plus d'éclat que les précédentes. L'ironie et la tendresse, l'énergique satire de l'humanité, ravissaient les esprits libres et jeunes. 110 Élégants, marquis, précieuses, tout ce qui se piquait de délicatesse repoussait Molière comme un cynique bouffon. Parler de tarte à la crème, de grés jeté par la fenêtre et d'enfants faits par l'oreille, fi donc! Le duc de la Feuillade, qui donnait le ton aux beaux de la cour, ne répondait, lorsqu'on venait lui demander son opinion sur la pièce nouvelle, que ces mots dédaigneusement jetés: Tarte à la crème. Les partisans de la décence reléguaient Molière parmi les bateleurs. Les austères condamnaient les sermons d'Arnolphe comme attentatoires à la religion. L'ancienne tragédie, la vieille littérature, se croyaient blessées. On désertait l'hôtel de Bourgogne; Corneille vieillissant, que défendait son frère Thomas, s'indignait que des bouffonneries attirassent plus de monde que Sertorius, Chimène et les Horaces. Le polygraphe Sorel, qui s'était fait appeler le sieur de Lisle; le spirituel et méchant de Visé, défenseur des marquis; l'ingénieux Boursault, qui, pour agréer aux précieuses, s'était mis à la tête du parti des ruelles, marchaient résolument contre ce bouffon qui les éclipsait. Avec tous les avantages et toute la gloire de la conquête, Molière en avait les déboires et les douleurs. A la première représentation, l'on vit la société d'autrefois se réveiller, surgir, prendre un corps, et tout ce que Molière combattait apparaître sous la figure d'un nommé Clapisson, qui représenta à lui seul l'armée des ennemis de Molière. «Il écouta, dit l'auteur, toute la pièce avec un sérieux le plus sombre du monde. Tout ce qui égayoit les autres ridoit son front; à tous les éclats de rire, il haussoit les épaules et regardoit le parterre en pitié. Quelquefois aussi, le regardant en dépit, il lui disoit tout haut: Ris donc, parterre, ris donc! Ce fut une seconde comédie que le chagrin de ce philosophe; il l'a donnée en galant homme à toute l'assemblée; et chacun demeure d'accord qu'on ne pouvoit pas mieux jouer qu'il fit.» Déchiré et porté 111 aux nues, objet de toutes les conversations, texte de plusieurs ouvrages où son génie était controversé, Molière eut pour lui Boileau, la Fontaine et Louis XIV, qui rit jusqu'à s'en tenir les côtes, dit le journaliste Loret.
Le jansénisme comprit la terrible portée de cette bouffonnerie prétendue. Le prince de Conti, devenu dévot, passa du côté des assaillants: «Rien, dit-il dans son Traité de la comédie et des spectacles, n'est plus scandaleux que la sixième scène du second acte.» Fénelon, hostile à la sensualité matérialiste; Jean-Jacques Rousseau, qui a toujours conservé la trace de l'austérité calviniste; Bourdaloue, défenseur sévère des principes chrétiens; Bossuet enfin, apôtre et dictateur du catholicisme gallican, s'élevèrent contre Molière. «Voilà, s'écrièrent-ils, comme le fit plus tard Geoffroy le journaliste, l'homme qui a donné à son siècle une impulsion nouvelle, qui a ébranlé les vieilles mœurs et brisé les entraves qui retenaient chacun dans la dépendance de son état et de ses devoirs.»
Molière, à la tête d'un nouveau parti qui était celui de l'avenir, sentit à la fois sa force et sa faiblesse. Non-seulement il rechercha la protection de Henriette d'Angleterre, qui accepta la dédicace de l'Ecole des femmes, mais il eut recours au roi, qui lui permit de se défendre et même le lui ordonna. La Critique de l'Ecole des femmes, dédiée à la reine mère, et l'Impromptu de Versailles, exécuté par le commandement exprès du monarque, ne sont en réalité que deux bataillons de réserve que Molière fit marcher pour soutenir l'Ecole des femmes[106].
A MADAME[107]
Madame,
Je suis le plus embarrassé homme du monde, lorsqu'il me faut dédier un livre; et je me trouve si peu fait au style d'épître dédicatoire, que je ne sais par où sortir de celle-ci. Un autre auteur, qui seroit en ma place, trouveroit d'abord cent belles choses à dire de Votre Altesse Royale, sur ce titre de l'Ecole des Femmes et l'offre qu'il vous en feroit. Mais, pour moi, Madame, je vous avoue mon faible. Je ne sais point cet art de trouver des rapports entre des choses si peu proportionnées; et, quelque belles lumières que mes confrères les auteurs me donnent tous les jours sur de pareils sujets, je ne vois point ce que Votre Altesse Royale pourroit avoir à démêler avec la comédie que je lui présente. On n'est pas en peine, sans doute, comment il faut faire pour vous louer. La matière, Madame, ne saute que trop aux yeux; et, de quelque côté qu'on vous regarde, on rencontre gloire sur gloire, et qualités sur qualités. Vous en avez, Madame, du côté du rang et de la naissance, qui vous font respecter de toute la terre. Vous en avez du côté des grâces, et de l'esprit et du corps, qui vous font admirer de toutes les personnes qui vous voient. Vous en avez du côté de l'âme, qui, si l'on ose parler ainsi, vous font aimer de tous ceux qui ont l'honneur d'approcher de vous: je veux dire cette douceur pleine de charmes dont vous daignez tempérer la fierté des grands titres que vous portez; cette bonté toute obligeante, cette affabilité généreuse que vous faites paroître pour tout le monde. Et ce sont particulièrement ces dernières pour qui je suis, et dont je sens fort bien que je ne me pourrai taire quelque jour. Mais encore une fois, Madame, je ne sais point le biais de faire entrer ici des vérités si éclatantes; et ce sont choses, à mon avis, 113 et d'une trop vaste étendue, et d'un mérite trop relevé, pour les vouloir renfermer dans une épître et les mêler avec des bagatelles. Tout bien considéré, Madame, je ne vois rien à faire ici pour moi que de vous dédier simplement ma comédie, et de vous assurer, avec tout le respect qu'il m'est possible, que je suis,
De Votre Altesse Royale,
Madame,
Le très-humble, très-obéissant,
et très-obligé serviteur,
J.-B.-P. Molière.
PRÉFACE
Bien des gens ont frondé d'abord cette comédie; mais les rieurs ont été pour elle, et tout le mal qu'on en a pu dire n'a pu faire qu'elle n'ait eu un succès dont je me contente.
Je sais qu'on attend de moi dans cette impression quelque préface qui réponde aux censeurs, et rende raison de mon ouvrage; et, sans doute, que je suis assez redevable à toutes les personnes qui lui ont donné leur approbation pour me croire obligé de défendre leur jugement contre celui des autres; mais il se trouve qu'une grande partie des choses que j'aurois à dire sur ce sujet est déjà dans une dissertation que j'ai faite en dialogue, et dont je ne sais encore ce que je ferai.
L'idée de ce dialogue, ou, si l'on veut, de cette petite comédie[108], me vint après les deux ou trois premières représentations de ma pièce.
Je la dis, cette idée, dans une maison où je me trouvai un soir; et d'abord une personne de qualité, dont l'esprit est assez connu dans le monde[109], et qui me fait l'honneur 114 de m'aimer, trouva le projet assez à son gré, non-seulement pour me solliciter d'y mettre la main, mais encore pour l'y mettre lui-même; et je fus étonné que, deux jours après, il me montrât toute l'affaire exécutée d'une manière à la vérité beaucoup plus galante et plus spirituelle que je ne puis faire, mais où je trouvai des choses trop avantageuses pour moi; et j'eus peur que, si je produisais cet ouvrage sur notre théâtre, on ne m'accusât d'abord d'avoir mendié les louanges qu'on m'y donnoit. Cependant cela m'empêcha, par quelque considération, d'achever ce que j'avois commencé. Mais tant de gens me pressent tous les jours de le faire, que je ne sais ce qui en sera; et cette incertitude est cause que je ne mets point dans cette préface ce qu'on verra dans la Critique, en cas que je me résolve à la faire paroître. S'il faut que cela soit, je le dis encore, ce sera seulement pour venger le public du chagrin délicat de certaines gens; car, pour moi, je m'en tiens assez vengé par la réussite de ma comédie; et je souhaite que toutes celles que je pourrai faire soient traitées par eux comme celle-ci, pourvu que le reste suive de même.
PERSONNAGES | ACTEURS |
ARNOLPHE, autrement M. de la Souche. | Molière. |
AGNÈS, jeune fille innocente, élevée par Arnolphe. | Mlle Debrie. |
HORACE, amant d'Agnès. | La Grange. |
ALAIN, paysan, valet d'Arnolphe. | Brécourt. |
GEORGETTE, paysanne, servante d'Arnolphe. | Mme Béjart. |
CHRYSALDE, ami d'Arnolphe. | L'Espy. |
ENRIQUE, beau-frère de Chrysalde. | |
ORONTE, père d'Horace, et grand ami d'Arnolphe. | Debrie. |
UN NOTAIRE. | |
La scène est dans une place de ville. |
ACTE PREMIER
SCÈNE I.—CHRYSALDE, ARNOLPHE.
CHRYSALDE.
ARNOLPHE.
CHRYSALDE.
ARNOLPHE.
CHRYSALDE.
ARNOLPHE.
CHRYSALDE.
ARNOLPHE.
CHRYSALDE.
ARNOLPHE.
CHRYSALDE.
ARNOLPHE.
CHRYSALDE.
ARNOLPHE.
CHRYSALDE.
ARNOLPHE.
CHRYSALDE.
ARNOLPHE.
CHRYSALDE.
ARNOLPHE.
CHRYSALDE.
ARNOLPHE.
CHRYSALDE.
ARNOLPHE.
CHRYSALDE.
ARNOLPHE.
CHRYSALDE.
ARNOLPHE.
CHRYSALDE.
ARNOLPHE.
CHRYSALDE.
ARNOLPHE.
CHRYSALDE, à part, en s'en allant.
ARNOLPHE, seul.
SCÈNE II.—ARNOLPHE, ALAIN, GEORGETTE, dans la maison.
ALAIN.
ARNOLPHE.
ALAIN.
ARNOLPHE.
ALAIN.
GEORGETTE.
ALAIN.
GEORGETTE.
ALAIN.
GEORGETTE.
ALAIN.
ARNOLPHE.
GEORGETTE.
ARNOLPHE.
GEORGETTE.
ALAIN.
GEORGETTE.
ALAIN.
GEORGETTE.
ALAIN.
ARNOLPHE.
GEORGETTE.
ALAIN.
GEORGETTE.
ALAIN.
GEORGETTE.
ALAIN.
GEORGETTE.
ALAIN.
GEORGETTE.
ARNOLPHE.
ALAIN, en entrant.
GEORGETTE, en entrant.
ALAIN.
ARNOLPHE, recevant un coup d'Alain.
ALAIN.
ARNOLPHE.
ALAIN.
ARNOLPHE.
ALAIN.
ARNOLPHE, ôtant le chapeau d'Alain pour la troisième fois, et le jetant par terre.
ALAIN.
ARNOLPHE, à Alain.
SCÈNE III.—ARNOLPHE, GEORGETTE.
ARNOLPHE.
GEORGETTE.
ARNOLPHE.
GEORGETTE.
ARNOLPHE.
GEORGETTE.
SCÈNE IV.—ARNOLPHE, AGNÈS, ALAIN, GEORGETTE.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
SCÈNE V.—ARNOLPHE.
SCÈNE VI.—HORACE, ARNOLPHE.
ARNOLPHE.
HORACE.
ARNOLPHE.
HORACE.
ARNOLPHE.
HORACE.
ARNOLPHE.
HORACE.
ARNOLPHE.
HORACE.
ARNOLPHE.
HORACE.
ARNOLPHE.
HORACE.
ARNOLPHE.
HORACE.
ARNOLPHE.
HORACE.
ARNOLPHE.
HORACE.
ARNOLPHE.
HORACE.
ARNOLPHE.
HORACE.
ARNOLPHE.
HORACE.
ARNOLPHE, à part.
HORACE.
ARNOLPHE.
HORACE.
ARNOLPHE, en riant.
HORACE, lui montrant le logis d'Agnès.
ARNOLPHE, à part.
HORACE.
ARNOLPHE, à part.
HORACE.
ARNOLPHE.
HORACE.
ARNOLPHE.
HORACE.
ARNOLPHE.
HORACE.
ARNOLPHE, se croyant seul.
HORACE, revenant.
ARNOLPHE, se croyant seul.
HORACE, revenant.
ARNOLPHE, croyant qu'Horace revient encore.
SCÈNE VII.—ARNOLPHE.
ACTE II
SCÈNE I.—ARNOLPHE.
SCÈNE II.—ARNOLPHE, ALAIN, GEORGETTE.
ALAIN.
ARNOLPHE.
GEORGETTE.
ARNOLPHE.
GEORGETTE, tombant aux genoux d'Arnolphe.
ALAIN, à part.
ARNOLPHE, à part.
ALAIN ET GEORGETTE.
GEORGETTE, retombant aux genoux d'Arnolphe.
ALAIN, retombant aux genoux d'Arnolphe.
ARNOLPHE, à part.
SCÈNE III.—ALAIN, GEORGETTE.
GEORGETTE.
ALAIN.
GEORGETTE.
ALAIN.
GEORGETTE.
ALAIN.
GEORGETTE.
ALAIN.
GEORGETTE.
ALAIN.
GEORGETTE.
ALAIN.
GEORGETTE.
ALAIN.
GEORGETTE.
ALAIN.
SCÈNE IV.—ARNOLPHE, ALAIN, GEORGETTE.
ARNOLPHE, à part.
SCÈNE V.—ARNOLPHE, AGNÈS, ALAIN, GEORGETTE.
ARNOLPHE.
SCÈNE VI.—ARNOLPHE, AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE, après avoir un peu rêvé.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE, bas, à part.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE, à part.
AGNÈS.
ARNOLPHE, à part.
AGNÈS.
ARNOLPHE, bas, à part.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE, bas, à part.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE, à part.
AGNÈS.
ARNOLPHE, reprenant haleine.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE, bas, à part.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS, riant.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
ACTE III
SCÈNE I.—ARNOLPHE, AGNÈS, ALAIN, GEORGETTE.
ARNOLPHE.
GEORGETTE.
ALAIN.
ARNOLPHE.
SCÈNE II.—ARNOLPHE, AGNÈS.
ARNOLPHE, assis.
AGNÈS, lit.
LES MAXIMES DU MARIAGE
OU LES DEVOIRS DE LA FEMME MARIÉE
AVEC SON EXERCICE JOURNALIER.
PREMIÈRE MAXIME.
ARNOLPHE.
AGNÈS, poursuit.
DEUXIÈME MAXIME.
TROISIÈME MAXIME.
QUATRIÈME MAXIME.
CINQUIÈME MAXIME.
SIXIÈME MAXIME.
SEPTIÈME MAXIME.
HUITIÈME MAXIME.
NEUVIÈME MAXIME.
DIXIÈME MAXIME.
ONZIÈME MAXIME.
ARNOLPHE.
SCÈNE III.—ARNOLPHE.
SCÈNE IV.—HORACE, ARNOLPHE.
HORACE.
Je reviens de chez vous, et le destin me montreARNOLPHE.
HORACE.
ARNOLPHE.
HORACE.
ARNOLPHE.
HORACE.
ARNOLPHE.
HORACE.
ARNOLPHE.
HORACE.
ARNOLPHE.
HORACE.
ARNOLPHE.
HORACE.
ARNOLPHE.
HORACE.
ARNOLPHE.
HORACE.
ARNOLPHE.
HORACE.
ARNOLPHE.
HORACE.
ARNOLPHE.
HORACE.
ARNOLPHE.
HORACE.
ARNOLPHE.
HORACE.
ARNOLPHE.
HORACE.
ARNOLPHE, avec un ris forcé.
HORACE.
ARNOLPHE, bas, à part.
HORACE lit.
«Je veux vous écrire, et je suis bien en peine par où je m'y prendrai. J'ai des pensées que je désirerois que vous sussiez; mais je ne sais comment faire pour vous les dire, et je me défie de mes paroles. Comme je commence à connoître qu'on m'a toujours tenue dans l'ignorance, j'ai peur de mettre quelque chose qui ne soit pas bien, et d'en dire plus que je ne devrois. En vérité, je ne sais ce que vous m'avez fait; mais je sens que je suis fâchée à mourir de ce qu'on me fait faire contre vous, que j'aurai toutes les peines du monde à me passer de vous, et que je serois bien aise d'être à vous. Peut-être qu'il y a du mal à dire cela; mais enfin je ne puis m'empêcher de le dire, et je voudrois que cela se pût faire sans qu'il y en eût. On me dit fort que tous les jeunes hommes sont des trompeurs, qu'il ne les faut point écouter, et que tout ce que vous me dites n'est que pour m'abuser; mais je vous assure que je n'ai pu encore me figurer cela de vous; et je suis si touchée de vos paroles, que je ne saurois croire qu'elles soient menteuses. Dites-moi franchement ce qui en est; car, enfin, comme je suis sans malice, vous auriez le plus grand tort du monde si vous me trompiez, et je pense que j'en mourrois de déplaisir.»
ARNOLPHE, à part.
HORACE.
ARNOLPHE.
HORACE.
ARNOLPHE.
HORACE.
ARNOLPHE.
HORACE.
ARNOLPHE.
HORACE.
SCÈNE V.—ARNOLPHE.
ACTE IV
SCÈNE I.—ARNOLPHE.
SCÈNE II.—UN NOTAIRE, ARNOLPHE.
LE NOTAIRE.
ARNOLPHE, se croyant seul, et sans voir ni entendre le notaire.
LE NOTAIRE.
ARNOLPHE, se croyant seul.
LE NOTAIRE.
ARNOLPHE, se croyant seul.
LE NOTAIRE.
ARNOLPHE, se croyant seul.
LE NOTAIRE.
ARNOLPHE, se croyant seul.
LE NOTAIRE.
ARNOLPHE, se croyant seul.
LE NOTAIRE.
ARNOLPHE, se croyant seul.
LE NOTAIRE.
ARNOLPHE, se croyant seul.
LE NOTAIRE.
ARNOLPHE.
LE NOTAIRE.
ARNOLPHE.
LE NOTAIRE.
ARNOLPHE.
LE NOTAIRE.
ARNOLPHE.
LE NOTAIRE, seul.
SCÈNE III.—LE NOTAIRE, ALAIN, GEORGETTE.
LE NOTAIRE, allant au-devant d'Alain et de Georgette
ALAIN.
LE NOTAIRE.
GEORGETTE.
SCÈNE IV.—ARNOLPHE, ALAIN, GEORGETTE.
ALAIN.
ARNOLPHE.
ALAIN.
ARNOLPHE.
GEORGETTE.
ARNOLPHE.
ALAIN.
GEORGETTE.
ARNOLPHE.
ALAIN.
ARNOLPHE.
GEORGETTE.
ARNOLPHE.
ALAIN.
ARNOLPHE.
GEORGETTE.
ARNOLPHE.
GEORGETTE, le poussant.
ARNOLPHE.
ALAIN, le poussant.
ARNOLPHE.
GEORGETTE, le poussant.
ARNOLPHE.
GEORGETTE.
ALAIN.
ARNOLPHE.
GEORGETTE.
ALAIN.
ARNOLPHE.
ALAIN.
ARNOLPHE.
SCÈNE V.—ARNOLPHE.
SCÈNE VI.—HORACE, ARNOLPHE.
HORACE.
SCÈNE VII.—ARNOLPHE.
SCÈNE VIII.—CHRYSALDE, ARNOLPHE.
CHRYSALDE.
ARNOLPHE.
CHRYSALDE.
ARNOLPHE.
CHRYSALDE.
ARNOLPHE.
CHRYSALDE.
ARNOLPHE.
CHRYSALDE.
ARNOLPHE.
CHRYSALDE.
ARNOLPHE.
CHRYSALDE.
ARNOLPHE.
CHRYSALDE.
ARNOLPHE.
CHRYSALDE.
ARNOLPHE.
CHRYSALDE.
ARNOLPHE.
SCÈNE IX.—ARNOLPHE, ALAIN, GEORGETTE.
ARNOLPHE.
ALAIN.
GEORGETTE.
ARNOLPHE.
ACTE V
SCÈNE I.—ARNOLPHE, ALAIN, GEORGETTE.
ARNOLPHE.
ALAIN.
ARNOLPHE.
SCÈNE II.—HORACE, ARNOLPHE.
HORACE, à part.
ARNOLPHE, se croyant seul.
HORACE.
ARNOLPHE.
HORACE.
ARNOLPHE, bas, à part.
HORACE.
ARNOLPHE.
HORACE.
ARNOLPHE.
HORACE.
ARNOLPHE.
HORACE.
ARNOLPHE, seul.
SCÈNE III.—AGNÈS, ARNOLPHE, HORACE.
HORACE, à Agnès.
AGNÈS, à Horace.
HORACE.
AGNÈS.
HORACE.
AGNÈS.
HORACE.
AGNÈS.
HORACE.
AGNÈS.
HORACE.
AGNÈS.
HORACE.
AGNÈS.
HORACE.
AGNÈS.
HORACE.
AGNÈS.
HORACE, en s'en allant.
SCÈNE IV.—ARNOLPHE, AGNÈS.
ARNOLPHE, caché dans son manteau, et déguisant sa voix.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE, à part.
AGNÈS.
ARNOLPHE, bas à part.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE, à part.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ARNOLPHE.
SCÈNE V.—ARNOLPHE, AGNÈS, ALAIN.
ALAIN.
ARNOLPHE.
SCÈNE VI.—ARNOLPHE, HORACE.
HORACE.
ARNOLPHE.
HORACE.
ARNOLPHE.
HORACE.
ARNOLPHE.
HORACE.
SCÈNE VII.—ENRIQUE, ORONTE, CHRYSALDE, HORACE, ARNOLPHE.
Horace et Arnolphe se retirent dans un coin du théâtre, et parlent bas ensemble.
ENRIQUE, à Chrysalde.
CHRYSALDE.
ARNOLPHE, à part, à Horace.
HORACE, à part, à Arnolphe.
ARNOLPHE, à Horace.
ORONTE, à Arnolphe.
ARNOLPHE.
ORONTE.
ARNOLPHE.
ORONTE.
ARNOLPHE.
ORONTE.
ARNOLPHE.
HORACE, à part.
CHRYSALDE.
ARNOLPHE.
ORONTE.
CHRYSALDE, à Arnolphe.
ARNOLPHE.
ORONTE.
CHRYSALDE.
ARNOLPHE.
HORACE, à part.
ARNOLPHE, se retournant vers Horace.
HORACE, à part.
SCÈNE VIII.—ENRIQUE, ORONTE, CHRYSALDE, HORACE, ARNOLPHE, GEORGETTE.
GEORGETTE.
ARNOLPHE.
HORACE, à part.
ARNOLPHE, à Oronte.
ORONTE.
SCÈNE IX.—AGNÈS, ORONTE, ENRIQUE, ARNOLPHE, HORACE, CHRYSALDE, ALAIN, GEORGETTE.
ARNOLPHE, à Agnès.
AGNÈS.
HORACE.
ARNOLPHE.
AGNÈS.
ORONTE.
ARNOLPHE.
ORONTE.
ARNOLPHE.
ORONTE.
CHRYSALDE.
ARNOLPHE.
CHRYSALDE.
ORONTE.
CHRYSALDE.
ORONTE.
CHRYSALDE.
ORONTE.
CHRYSALDE.
ORONTE.
CHRYSALDE.
ORONTE.
CHRYSALDE, à Arnolphe.
ARNOLPHE, s'en allant tout transporté, et ne pouvant parler.
SCÈNE X.—ENRIQUE, ORONTE, CHRYSALDE, AGNÈS, HORACE.
ORONTE.
HORACE.
ENRIQUE.
CHRYSALDE.
FIN DE L'ÉCOLE DES FEMMES
REPRÉSENTÉE POUR LA PREMIÈRE FOIS, A PARIS, LE 1er JUIN 1663, SUR LE THÉATRE DU PALAIS-ROYAL
Armé par Louis XIV et protégé par lui, Molière continue sa campagne: guerre dans toutes les règles, comédie belliqueuse en sept actes, dont les cinq premiers (l'Ecole des femmes) sont en vers et les deux derniers en prose.
Un abbé Dubuisson, qui faisait autorité, protégeait l'art dramatique et avait pris le nom d'introducteur des «belles ruelles,» dit un jour à Molière qu'il ne ferait peut-être pas mal de mettre en scène ses rivaux et ses ennemis, en leur faisant tenir des discours dont ils se servaient contre lui, et en leur opposant la réfutation d'un homme de bon sens. L'abbé avait essayé ce travail. Molière le lut, approuva l'idée, se l'appropria, l'exécuta lui-même, et de cette conversation de salon où paraissent les précieuses, le chef de la cabale littéraire, Boursault, et celui de la cabale des gens du monde, le duc de la Feuillade, il fit une œuvre charmante. Toute sa théorie dramatique s'y révèle: étudier, caractériser les hommes, les peindre au vif, réjouir et intéresser, n'écouter ni l'affectation des petites-maîtresses, ni le savoir enrouillé des pédants, ni les délicatesses frivoles des gens de cour; saisir la nature et l'humanité; se laisser aller de bonne foi, comme il le dit lui-même, «à ce qui vous prend les entrailles;» enfin créer des règles et non les subir;—voilà le fond de la doctrine. C'est la libre servitude des esprits supérieurs.
Cet admirable et léger dialogue, assez semblable à celui que Shakspeare a placé dans son Hamlet, frappe la critique oblique et doucereuse de Boursault, qui s'en allait par les ruelles détruire la réputation de Molière en protestant de son estime pour le grand écrivain; le dédain suprême du duc de la Feuillade pour les mots populaires semés dans l'École des Femmes; le persiflage de la jeune noblesse et la raillerie des turlupins contre les allures bourgeoises de Sganarelle; l'emphase dramatique des comédiens de l'hôtel de Bourgogne, enfin les prétentions des docteurs qui ne voulaient pas permettre au public de s'égayer autrement que selon la formule. Pédants et austères, marquis et rivaux, précieux et déclamateurs, furent réduits au silence. Ninon de Lenclos et Chapelle, la Fontaine et Boileau, proclamèrent partout la charmante naïveté du grand artiste.
Le rôle d'une maligne et fine créature se détache vivement au milieu des interlocuteurs; elle paraît approuver ce qu'elle raille, et encourage par d'ironiques et doux éloges le développement des ridicules. Ce rôle fut confié à la femme de Molière, Armande, que sans doute remords ou caprice avait rapprochée de son mari. Molière a fait briller dans le rôle de tous les personnages qu'il a confiés à sa femme la vive saillie, la coquetterie involontaire et la pointe caustique qu'il admirait chez Armande. Henriette, Angélique, Élise, Climène, Agnès elle-même, ne sont que les aspects divers du même portrait; c'est toujours la brillante Armande, cette femme douée de tous les charmes et de peu de vertus, l'ange et le démon du contemplatif Molière.
A LA REINE MÈRE[155]
Madame,
Je sais bien que Votre Majesté n'a que faire de toutes nos dédicaces, et que ces prétendus devoirs, dont on lui dit élégamment qu'on s'acquitte envers elle, sont des hommages, à dire vrai, dont elle nous dispenseroit très-volontiers. Mais je ne laisse pas d'avoir l'audace de lui dédier la Critique de l'École des Femmes, et je n'ai pu refuser cette petite occasion de pouvoir témoigner ma joie à Votre Majesté sur cette heureuse convalescence qui redonne à nos vœux la plus grande et la meilleure princesse du monde, et nous permet en elle de longues années d'une santé vigoureuse. Comme chacun regarde les choses du côté de ce qui le touche, je me réjouis, dans cette allégresse générale, de pouvoir encore obtenir l'honneur de divertir Votre Majesté; elle, Madame, qui prouve si bien que la véritable dévotion n'est point contraire aux honnêtes divertissemens; qui, de ses hautes pensées et de ses importantes occupations, descend si humainement dans le plaisir de nos spectacles, et ne dédaigne pas de rire de cette même bouche dont elle prie si bien Dieu. Je flatte, dis-je, mon esprit de l'espérance de cette gloire; j'en attends le moment avec toutes les impatiences du monde; et, quand je jouirai de ce bonheur, ce sera la plus grande joie que puisse recevoir,
Madame,
De Votre Majesté,
Le très-humble, très-obéissant,
et très-obligé serviteur,
J.-B.-P. Molière.
PERSONNAGES | ACTEURS |
URANIE. | Mlle Debrie. |
ÉLISE. | Arm. Béjart. |
CLIMÈNE. | Mlle Duparc. |
LE MARQUIS. | La Grange. |
DORANTE, ou le Chevalier. | Brécourt. |
LYSIDAS, poëte. | Du Croisy. |
GALOPIN, laquais. | |
La scène est à Paris, dans la maison d'Uranie. |
SCÈNE I.—URANIE, ÉLISE.
URANIE.
Quoi! cousine, personne ne t'est venu rendre visite?
ÉLISE.
Personne du monde.
URANIE.
Vraiment, voilà qui m'étonne, que nous avons été seules l'une et l'autre tout aujourd'hui.
ÉLISE.
Cela m'étonne aussi, car ce n'est guère notre coutume; et votre maison, Dieu merci, est le refuge ordinaire de tous les fainéans de la cour.
URANIE.
L'après-dînée, à dire vrai, m'a semblé fort longue.
ÉLISE.
Et moi, je l'ai trouvée fort courte.
URANIE.
C'est que les beaux esprits, cousine, aiment la solitude.
ÉLISE.
Ah! très-humble servante au bel esprit, vous savez que ce n'est pas là que je vise.
URANIE.
Pour moi, j'aime la compagnie, je l'avoue.
ÉLISE.
Je l'aime aussi, mais je l'aime choisie; et la quantité de sottes visites qu'il vous faut essuyer parmi les autres est cause bien souvent que je prends plaisir d'être seule.
URANIE.
La délicatesse est trop grande, de ne pouvoir souffrir que des gens triés.
ÉLISE.
Et la complaisance est trop générale, de souffrir indifféremment toutes sortes de personnes.
URANIE.
Je goûte ceux qui sont raisonnables, et me divertis des extravagans.
ÉLISE.
Ma foi, les extravagans ne vont guère loin sans vous ennuyer, et la plupart de ces gens-là ne sont plus plaisans dès la seconde visite. Mais, à propos d'extravagans, ne voulez-vous pas me défaire de votre marquis incommode? Pensez-vous me le laisser toujours sur les bras, et que je puisse durer à[156] ses turlupinades[157] perpétuelles?
URANIE.
Ce langage est à la mode, et l'on le tourne en plaisanterie[158] à la cour.
ÉLISE.
Tant pis pour ceux qui le font, et qui se tuent tout le jour à parler ce jargon obscur. La belle chose de faire entrer, aux conversations du Louvre, de vieilles équivoques ramassées parmi les boues des halles et de la place Maubert! La jolie façon de plaisanter pour des courtisans, et qu'un homme montre d'esprit lorsqu'il vient vous dire: Madame, vous êtes dans la place Royale, et tout le monde vous voit de trois lieues de Paris, car chacun vous voit de bon œil; à cause que Bonneuil est un village à trois lieues d'ici! Cela n'est-il pas bien galant et bien spirituel? Et ceux qui trouvent ces belles rencontres n'ont-ils pas lieu de s'en glorifier?
URANIE.
On ne dit pas cela aussi comme une chose spirituelle; et la plupart de ceux qui affectent ce langage savent bien eux-mêmes qu'il est ridicule.
ÉLISE.
Tant pis encore, de prendre peine à dire des sottises, et d'être mauvais plaisans de dessein formé. Je les en tiens moins excusables; et, si j'en étois juge, je sais bien à quoi je condamnerois tous ces messieurs les turlupins.
URANIE.
Laissons cette matière qui t'échauffe un peu trop, et disons que Dorante vient bien tard, à mon avis, pour le souper que nous devons faire ensemble.
ÉLISE.
Peut-être l'a-t-il oublié, et que...
SCÈNE II.—URANIE, ÉLISE, GALOPIN.
GALOPIN.
Voilà Climène, madame, qui vient ici pour vous voir.
URANIE.
Eh, mon Dieu! quelle visite!
ÉLISE.
Vous vous plaigniez d'être seule; aussi le ciel vous en punit.
URANIE.
Vite, qu'on aille dire que je n'y suis pas.
GALOPIN.
On a déjà dit que vous y étiez.
URANIE.
Et, qui est le sot qui l'a dit?
GALOPIN.
Moi, madame.
URANIE.
Diantre soit le petit vilain! Je vous apprendrai bien à faire vos réponses de vous-même.
GALOPIN.
Je vais lui dire, madame, que vous voulez être sortie.
URANIE.
Arrêtez, animal! et la laissez monter, puisque la sottise est faite!
GALOPIN.
Elle parle encore à un homme dans la rue.
URANIE.
Ah! cousine, que cette visite m'embarrasse à l'heure qu'il est!
ÉLISE.
Il est vrai que la dame est un peu embarrassante de son naturel; j'ai toujours eu pour elle une furieuse aversion; et n'en déplaise à sa qualité, c'est la plus sotte bête qui se soit jamais mêlée de raisonner.
URANIE.
L'épithète est un peu forte.
ÉLISE.
Allez, allez, elle mérite bien cela, et quelque chose de plus si on lui faisoit justice. Est-ce qu'il y a une personne qui soit plus véritablement qu'elle ce qu'on appelle précieuse, à prendre le mot dans sa plus mauvaise signification?
URANIE.
Elle se défend bien de ce nom, pourtant.
ÉLISE.
Il est vrai; elle se défend du nom, mais non pas de la chose; car, enfin, elle l'est depuis les pieds jusqu'à la tête, et la plus grande façonnière du monde. Il semble que tout son corps soit démonté, et que les mouvements de ses hanches, de ses épaules et de sa tête n'aillent que par ressorts; elle affecte toujours un ton de voix languissant et niais, fait la moue pour montrer une petite bouche, et roule les yeux pour les faire paroître grands.
URANIE.
Doucement donc! Si elle venoit à entendre...
ÉLISE.
Point, point, elle ne monte pas encore. Je me souviens toujours du soir qu'elle eut envie de voir Damon[159], sur la 199 réputation qu'on lui donne, et les choses que le public a vues de lui. Vous connoissez l'homme, et sa naturelle paresse à soutenir la conversation. Elle l'avoit invité à souper comme bel esprit, et jamais il ne parut si sot, parmi une demi-douzaine de gens à qui elle avoit fait fête de lui, et qui le regardoient avec de grands yeux, comme une personne qui ne devoit pas être faite comme les autres. Ils pensoient tous qu'il étoit là pour défrayer la compagnie de bons mots; que chaque parole qui sortoit de sa bouche devoit être extraordinaire; qu'il devoit faire des impromptus sur tout ce qu'on disoit, et ne demander à boire qu'avec une pointe; mais il les trompa fort par son silence, et la dame fut aussi mal satisfaite de lui que je le fus d'elle.
URANIE.
Tais-toi. Je vais la recevoir à la porte de la chambre.
ÉLISE.
Encore un mot. Je voudrois bien la voir mariée avec le marquis dont nous avons parlé. Le bel assemblage que ce seroit d'une précieuse et d'un turlupin!
URANIE.
Veux-tu te taire! La voici.
SCÈNE III.—CLIMÈNE, URANIE, ÉLISE, GALOPIN.
URANIE.
Vraiment, c'est bien tard que...
CLIMÈNE.
Eh! de grâce, ma chère, faites-moi vite donner un siége.
URANIE, à Galopin.
Un fauteuil promptement.
CLIMÈNE.
Ah! mon Dieu!
URANIE.
Qu'est-ce donc?
CLIMÈNE.
Je n'en puis plus!
URANIE.
Qu'avez-vous? 200
CLIMÈNE.
Le cœur me manque.
URANIE.
Sont-ce vapeurs qui vous ont pris?
CLIMÈNE.
Non.
URANIE.
Voulez-vous que l'on vous délace?
CLIMÈNE.
Mon Dieu, non. Ah!
URANIE.
Quel est donc votre mal? et depuis quand vous a-t-il pris?
CLIMÈNE.
Il y a plus de trois heures, et je l'ai rapporté du Palais-Royal[160].
URANIE.
Comment?
CLIMÈNE.
Je viens de voir, pour mes péchés, cette méchante rapsodie de l'École des Femmes. Je suis encore en défaillance du mal de cœur que cela m'a donné, et je pense que je n'en reviendrai de plus de quinze jours.
ÉLISE.
Voyez un peu comme les maladies arrivent sans qu'on y songe!
URANIE.
Je ne sais pas de quel tempérament nous sommes, ma cousine et moi; mais nous fûmes avant-hier à la même pièce, et nous en revînmes toutes deux saines et gaillardes.
CLIMÈNE.
Quoi! vous l'avez vue?
URANIE.
Oui, et écoutée d'un bout à l'autre.
CLIMÈNE.
Et vous n'en avez pas été jusques aux convulsions, ma chère?
URANIE.
Je ne suis pas si délicate, Dieu merci; et je trouve, pour moi, que cette comédie seroit plutôt capable de guérir les gens que de les rendre malades.
CLIMÈNE.
Ah! mon Dieu! que dites-vous là? Cette proposition peut-elle être avancée par une personne qui ait du revenu en sens commun? Peut-on impunément, comme vous faites, rompre en visière à la raison? et, dans le vrai de la chose, est-il un esprit si affamé de plaisanterie, qu'il puisse tâter des fadaises dont cette comédie est assaisonnée? Pour moi, je vous avoue que je n'ai pas trouvé le moindre grain de sel dans tout cela. Les enfants par l'oreille m'ont paru d'un goût détestable; la tarte à la crème m'a affadi le cœur, et j'ai pensé vomir au potage.
ÉLISE.
Mon Dieu! que tout cela est dit élégamment! J'aurais cru que cette pièce étoit bonne; mais madame a une éloquence si persuasive, elle tourne les choses d'une manière si agréable, qu'il faut être de son sentiment, malgré qu'on en ait.
URANIE.
Pour moi, je n'ai pas tant de complaisance, et, pour dire ma pensée, je tiens cette comédie une des plus plaisantes que l'auteur ait produites.
CLIMÈNE.
Ah! vous me faites pitié, de parler ainsi; et je ne saurois vous souffrir cette obscurité de discernement. Peut-on, ayant de la vertu, trouver de l'agrément dans une pièce qui tient sans cesse la pudeur en alarme, et salit à tout moment l'imagination?
ÉLISE.
Les jolies façons de parler que voilà! Que vous êtes, madame, une rude joueuse en critique, et que je plains le pauvre Molière de vous avoir pour ennemie!
CLIMÈNE.
Croyez-moi, ma chère, corrigez de bonne foi votre jugement, 202 et, pour honneur, n'allez point dire par le monde que cette comédie vous ait plu.
URANIE.
Moi, je ne sais pas ce que vous y avez trouvé qui blesse la pudeur.
CLIMÈNE.
Hélas! tout; et je mets en fait qu'une honnête femme ne la sauroit voir sans confusion, tant j'y ai découvert d'ordures et de saletés.
URANIE.
Il faut donc que, pour les ordures, vous ayez des lumières que les autres n'ont pas; car, pour moi, je n'y en ai point vu.
CLIMÈNE.
C'est que vous ne voulez pas y en avoir vu, assurément; car enfin toutes ces ordures, Dieu merci, y sont à visage découvert; elles n'ont pas la moindre enveloppe qui les couvre, et les yeux les plus hardis sont effrayés de leur nudité.
ÉLISE.
Ah!
CLIMÈNE.
Hai, hai, hai.
URANIE.
Mais encore, s'il vous plaît, marquez-moi une de ces ordures que vous dites.
CLIMÈNE.
Hélas! est-il nécessaire de vous les marquer?
URANIE.
Oui. Je vous demande seulement un endroit qui vous ait fort choquée.
CLIMÈNE.
En faut-il d'autre que la scène de cette Agnès, lorsqu'elle dit ce que l'on lui a pris?
URANIE.
Eh bien, que trouvez-vous là de sale?
CLIMÈNE.
Ah!
URANIE.
De grâce!
CLIMÈNE.
Fi!
URANIE.
Mais encore?
CLIMÈNE.
Je n'ai rien à vous dire.
URANIE.
Pour moi, je n'y entends point de mal.
CLIMÈNE.
Tant pis pour vous.
URANIE.
Tant mieux, plutôt, ce me semble. Je regarde les choses du côté qu'on me les montre, et ne les tourne point pour y chercher ce qu'il ne faut pas voir.
CLIMÈNE.
L'honnêteté d'une femme...
URANIE.
L'honnêteté d'une femme n'est pas dans les grimaces. Il sied mal de vouloir être plus sage que celles qui sont sages. L'affectation en cette matière est pire qu'en toute autre; et je ne vois rien de si ridicule que cette délicatesse d'honneur qui prend tout en mauvaise part, donne un sens criminel aux plus innocentes paroles, et s'offense de l'ombre des choses. Croyez-moi, celles qui font tant de façons n'en sont pas estimées plus femmes de bien. Au contraire, leur sévérité mystérieuse et leurs grimaces affectées irritent la censure de tout le monde contre les actions de leur vie. On est ravi de découvrir ce qu'il peut y avoir à redire; et, pour tomber dans l'exemple, il y avoit l'autre jour des femmes à cette comédie, vis-à-vis de la loge où nous étions qui, par les mines qu'elles affectèrent durant toute la pièce, leurs détournements de tête et leurs cachements[161] de visage, firent dire de tous côtés cent sottises de leur conduite, que 204 l'on n'auroit pas dites sans cela; et quelqu'un même des laquais cria tout haut qu'elles étoient plus chastes des oreilles que de tout le reste du corps.
CLIMÈNE.
Enfin, il faut être aveugle dans cette pièce, et ne pas faire semblant d'y voir les choses.
URANIE.
Il ne faut pas y vouloir voir ce qui n'y est pas.
CLIMÈNE.
Ah! je soutiens, encore un coup, que les saletés y crèvent les yeux.
URANIE.
Et moi, je ne demeure pas d'accord de cela.
CLIMÈNE.
Quoi! la pudeur n'est pas visiblement blessée par ce que dit Agnès dans l'endroit dont nous parlons?
URANIE.
Non, vraiment. Elle ne dit pas un mot qui de soi ne soit fort honnête; et, si vous voulez entendre dessous quelque autre chose, c'est vous qui faites l'ordure, et non pas elle, puisqu'elle parle seulement d'un ruban qu'on lui a pris.
CLIMÈNE.
Ah! ruban tant qu'il vous plaira; mais ce le, où elle s'arrête, n'est pas mis pour des prunes. Il vient sur ce le d'étranges pensées. Ce le scandalise furieusement; et, quoi que vous puissiez dire, vous ne sauriez défendre l'insolence de ce le.
ÉLISE.
Il est vrai, ma cousine, je suis pour madame contre ce le. Ce le est insolent au dernier point, et vous avez tort de défendre ce le.
CLIMÈNE.
Il a une obscénité[162] qui n'est pas supportable.
ÉLISE.
Comment dites-vous ce mot-là, madame?
CLIMÈNE.
Obscénité, madame.
ÉLISE.
Ah! mon Dieu! obscénité. Je ne sais pas ce que ce mot veut dire; mais je le trouve le plus joli du monde.
CLIMÈNE.
Enfin, vous voyez comme votre sang prend mon parti.
URANIE.
Eh! mon Dieu, c'est une causeuse qui ne dit pas ce qu'elle pense. Ne vous y fiez pas beaucoup, si vous m'en voulez croire.
ÉLISE.
Ah! que vous êtes méchante, de me vouloir rendre suspecte à madame! Voyez un peu où j'en serais, si elle alloit croire ce que vous dites! Serois-je si malheureuse, madame, que vous eussiez de moi cette pensée?
CLIMÈNE.
Non, non, je ne m'arrête pas à ces paroles, et je vous crois plus sincère qu'elle ne dit.
ÉLISE.
Ah! que vous avez bien raison, madame, et que vous me rendrez justice, quand vous croirez que je vous trouve la plus engageante personne du monde, que j'entre dans tous vos sentiments, et suis charmée de toutes les expressions qui sortent de votre bouche!
CLIMÈNE.
Hélas! je parle sans affectation.
ÉLISE.
On le voit bien, madame, et que tout est naturel en vous. Vos paroles, le ton de votre voix, vos regards, vos pas, votre action et votre ajustement, ont je ne sais quel air de qualité qui enchante les gens. Je vous étudie des yeux et des oreilles; et je suis si remplie de vous, que je tâche d'être votre singe et de vous contrefaire en tout.
CLIMÈNE.
Vous vous moquez de moi, madame!
ÉLISE.
Pardonnez-moi, madame. Qui voudroit se moquer de vous?
CLIMÈNE.
Je ne suis pas un bon modèle, madame.
ÉLISE.
Oh! que si, madame!
CLIMÈNE.
Vous me flattez, madame.
ÉLISE.
Point du tout, madame.
CLIMÈNE.
Épargnez-moi, s'il vous plaît, madame.
ÉLISE.
Je vous épargne aussi, madame, et je ne dis pas la moitié de ce que je pense, madame.
CLIMÈNE.
Ah! mon Dieu! brisons là, de grâce. Vous me jetteriez dans une confusion épouvantable, (à Uranie.) Enfin, nous voilà deux contre vous; et l'opiniâtreté sied si mal aux personnes spirituelles...
SCÈNE IV.—LE MARQUIS, CLIMÈNE, URANIE, ÉLISE, GALOPIN.
GALOPIN, à la porte de la chambre.
Arrêtez, s'il vous plaît, monsieur.
LE MARQUIS.
Tu ne me connois pas, sans doute?
GALOPIN.
Si fait, je vous connois; mais vous n'entrerez pas.
LE MARQUIS.
Ah! que de bruit, petit laquais!
GALOPIN.
Cela n'est pas bien de vouloir entrer malgré les gens.
LE MARQUIS.
Je veux voir ta maîtresse.
GALOPIN.
Elle n'y est pas, vous dis-je.
LE MARQUIS.
La voilà dans la chambre.
GALOPIN.
Il est vrai, la voilà; mais elle n'y est pas.
URANIE.
Qu'est-ce donc qu'il y a là?
LE MARQUIS.
C'est votre laquais, madame, qui fait le sot.
GALOPIN.
Je lui dis que vous n'y êtes pas, madame, et il ne veut pas laisser[163] d'entrer.
URANIE.
Et pourquoi dire à monsieur que je n'y suis pas?
GALOPIN.
Vous me grondâtes l'autre jour de lui avoir dit que vous y étiez.
URANIE.
Voyez cet insolent! Je vous prie, monsieur, de ne pas croire ce qu'il dit. C'est un petit écervelé, qui vous a pris pour un autre.
LE MARQUIS.
Je l'ai bien vu, madame; et, sans votre respect, je lui aurois appris à connoître les gens de qualité.
ÉLISE.
Ma cousine vous est fort obligée de cette déférence.
URANIE, à Galopin.
Un siége donc, impertinent!
GALOPIN.
N'en voilà-t-il pas un?
URANIE.
Approchez-le.
Galopin pousse le siége rudement, et sort.
SCÈNE V.—LE MARQUIS, CLIMÈNE, URANIE, ÉLISE.
LE MARQUIS.
Votre petit laquais madame, a du mépris pour ma personne.
ÉLISE.
Il auroit tort, sans doute.
LE MARQUIS.
C'est peut-être que je paye l'intérêt de ma mauvaise mine. (Il rit.) Hai, hai, hai, hai.
ÉLISE.
L'âge le rendra plus éclairé en honnêtes gens[164].
LE MARQUIS.
Sur quoi en étiez-vous, mesdames, lorsque je vous ai interrompues?
URANIE.
Sur la comédie de l'École des Femmes.
LE MARQUIS.
Je ne fais que d'en sortir.
CLIMÈNE.
Eh bien, monsieur, comment la trouvez-vous, s'il vous plaît?
LE MARQUIS.
Tout à fait impertinente.
CLIMÈNE.
Ah! que j'en suis ravie!
LE MARQUIS.
C'est la plus méchante chose du monde. Comment, diable! à peine ai-je pu trouver place. J'ai pensé être étouffé à la porte, et jamais on ne m'a tant marché sur les pieds. Voyez comme mes canons et mes rubans en sont ajustés, de grâce.
ÉLISE.
Il est vrai que cela crie vengeance contre l'École des Femmes, et que vous la condamnez avec justice.
LE MARQUIS.
Il ne s'est jamais fait, je pense, une si méchante comédie.
URANIE.
Ah! voici Dorante, que nous attendions.
SCÈNE VI.—DORANTE, CLIMÈNE, URANIE, ÉLISE, LE MARQUIS.
DORANTE.
Ne bougez, de grâce, et n'interrompez point votre discours. Vous êtes là sur une matière qui, depuis quatre jours, fait presque l'entretien de toutes les maisons de Paris; et jamais on n'a rien vu de si plaisant que la diversité des jugements qui se font là-dessus. Car, enfin, j'ai ouï condamner cette comédie à certaines gens, par les mêmes choses que j'ai vu d'autres estimer le plus.
URANIE.
Voilà monsieur le marquis qui en dit force mal.
LE MARQUIS.
Il est vrai. Je la trouve détestable, morbleu! détestable, du dernier détestable, ce qu'on appelle détestable!
DORANTE.
Et moi, mon cher marquis, je trouve le jugement détestable.
LE MARQUIS.
Quoi! chevalier, est-ce que tu prétends soutenir cette pièce?
DORANTE.
Oui, je prétends la soutenir.
LE MARQUIS.
Parbleu! je la garantis détestable.
DORANTE.
La caution n'est pas bourgeoise[165]. Mais, marquis, par quelle raison, de grâce, cette comédie est-elle ce que tu dis?
LE MARQUIS.
Pourquoi elle est détestable?
DORANTE.
Oui.
LE MARQUIS.
Elle est détestable, parce qu'elle est détestable.
DORANTE.
Après cela, il n'y a plus rien à dire, voilà son procès fait. Mais encore instruis-nous, et nous dis les défauts qui y sont.
LE MARQUIS.
Que sais-je, moi? je ne me suis pas seulement donné la peine de l'écouter. Mais enfin je sais bien que je n'ai jamais rien vu de si méchant, Dieu me damne! et Dorilas, contre qui j'étois[166], a été de mon avis.
DORANTE.
L'autorité est belle, et te voilà bien appuyé!
LE MARQUIS.
Il ne faut que voir les continuels éclats de rire que le parterre y fait. Je ne veux point d'autre chose pour témoigner qu'elle ne vaut rien.
DORANTE.
Tu es donc, marquis, de ces messieurs du bel air qui ne veulent pas que le parterre ait du sens commun, et qui seroient fâchés d'avoir ri avec lui, fût-ce de la meilleure chose du monde? Je vis l'autre jour sur le théâtre un de nos amis, qui se rendit ridicule par là. Il écouta toute la pièce avec un sérieux le plus sombre du monde; et tout ce qui égayoit les autres ridoit son front. A tous les éclats de risée, il haussoit les épaules, et regardoit le parterre en pitié; et quelquefois aussi, le regardant avec dépit, il lui disoit tout haut: Ris donc, parterre, ris donc! Ce fut une seconde comédie, que le chagrin de notre ami. Il la donna en galant homme à toute l'assemblée, et chacun demeura d'accord qu'on ne pouvait pas mieux jouer qu'il fit. Apprends, marquis, je te prie, et les autres aussi, que le bon sens n'a point de place déterminée à la comédie; que la différence du demi-louis d'or et la pièce de quinze sous ne fait rien du tout au bon goût; que, debout et assis, l'on peut donner un mauvais jugement; et qu'enfin, à le prendre en général, je me fierois assez à l'approbation du parterre, par la raison qu'entre ceux qui le composent il y en a plusieurs 211 qui sont capables de juger d'une pièce selon les règles, et que les autres en jugent par la bonne façon d'en juger, qui est de se laisser prendre aux choses, et de n'avoir ni prévention aveugle, ni complaisance affectée, ni délicatesse ridicule.
LE MARQUIS.
Te voilà donc, chevalier, le défenseur du parterre? Parbleu! je m'en réjouis, et je ne manquerai pas de l'avertir que tu es de ses amis. Hai, hai, hai, hai, hai.
DORANTE.
Ris tant que tu voudras. Je suis pour le bon sens, et ne saurois souffrir les ébullitions de cerveau de nos marquis de Mascarille. J'enrage de voir de ces gens qui se traduisent en ridicule, malgré leur qualité; de ces gens qui décident toujours, et parlent hardiment de toutes choses, sans s'y connoître; qui, dans une comédie, se récrieront aux méchants endroits, et ne branleront pas à ceux qui sont bons; qui, voyant un tableau, ou écoutant un concert de musique, blâment de même et louent tout à contre-sens, prennent par où ils peuvent les termes de l'art qu'ils attrapent et ne manquent jamais de les estropier, et de les mettre hors de place. Eh, morbleu! messieurs, taisez-vous! Quand Dieu ne vous a pas donné la connoissance d'une chose, n'apprêtez point à rire à ceux qui vous entendent parler, et songez qu'en ne disant mot on croira peut-être que vous êtes d'habiles gens.
LE MARQUIS.
Parbleu! chevalier, tu le prends-là...
DORANTE.
Mon Dieu, marquis, ce n'est pas à toi que je parle. C'est à une douzaine de messieurs qui déshonorent les gens de cour par leurs manières extravagantes, et font croire parmi le peuple que nous nous ressemblons tous. Pour moi, je m'en veux justifier le plus qu'il me sera possible; et je les dauberai tant en toutes rencontres, qu'à la fin ils se rendront sages.
LE MARQUIS.
Dis-moi un peu, chevalier, crois-tu que Lysandre ait de l'esprit?
DORANTE.
Oui, sans doute, et beaucoup.
URANIE.
C'est une chose qu'on ne peut pas nier.
LE MARQUIS.
Demande-lui ce qu'il lui semble de l'École des Femmes, tu verras qu'il te dira qu'elle ne lui plaît pas.
DORANTE.
Eh, mon Dieu! il y en a beaucoup que le trop d'esprit gâte, qui voient mal les choses à force de lumière, et même qui seroient bien fâchés d'être de l'avis des autres, pour avoir la gloire de décider.
URANIE.
Il est vrai. Notre ami est de ces gens-là, sans doute. Il veut être le premier de son opinion, et qu'on attende par respect son jugement. Toute approbation qui marche avant la sienne est un attentat sur ses lumières, dont il se venge hautement en prenant le contraire parti. Il veut qu'on le consulte sur toutes les affaires d'esprit; et je suis sûre que si l'auteur lui eût montré sa comédie avant que de la faire voir au public, il l'eût trouvée la plus belle du monde.
LE MARQUIS.
Et que direz-vous de la marquise Araminte, qui la publie partout pour épouvantable, et dit qu'elle n'a jamais pu souffrir les ordures dont elle est pleine?
DORANTE.
Je dirai que cela est digne du caractère qu'elle a pris; et qu'il y a des personnes qui se rendent ridicules, pour vouloir avoir trop d'honneur[167]. Bien qu'elle ait de l'esprit, elle a suivi le mauvais exemple de celles qui, étant sur le retour de l'âge, veulent remplacer de[168] quelque chose ce qu'elles voient qu'elles perdent, et prétendent que les grimaces d'une pruderie scrupuleuse leur tiendront lieu de jeunesse et de beauté. Celle-ci pousse l'affaire plus avant qu'aucune; et l'habileté de son scrupule découvre des saletés ou jamais personne n'en avoit vu. On tient qu'il va, ce scrupule, 213 jusques à défigurer notre langue, et qu'il n'y a point presque de mots dont la sévérité de cette dame ne veuille retrancher ou la tête ou la queue, pour les syllabes déshonnêtes qu'elle y trouve.
URANIE.
Vous êtes bien fou, chevalier.
LE MARQUIS.
Enfin, chevalier, tu crois défendre ta comédie en faisant la satire de ceux qui la condamnent.
DORANTE.
Non pas; mais je tiens que cette dame se scandalise à tort...
ÉLISE.
Tout beau, monsieur le chevalier, il pourroit y en avoir d'autres qu'elle, qui seroient dans les mêmes sentiments.
DORANTE.
Je sais bien que ce n'est pas vous, au moins; et que, lorsque vous avez vu cette représentation...
ÉLISE.
Il est vrai, mais j'ai changé d'avis. (Montrant Climène.) Et madame sait appuyer le sien par des raisons si convaincantes, qu'elle m'a entraînée de son côté.
DORANTE, à Climène.
Ah! madame, je vous demande pardon; et, si vous le voulez, je me dédirai, pour l'amour de vous, de tout ce que j'ai dit.
CLIMÈNE.
Je ne veux pas que ce soit pour l'amour de moi, mais pour l'amour de la raison: car enfin cette pièce, à le bien prendre, est tout à fait indéfendable[169]; et je ne conçois pas...
URANIE.
Ah! voici l'auteur, M. Lysidas. Il vient tout à propos pour cette matière. Monsieur Lysidas, prenez un siége vous-même, et vous mettez là.
SCÈNE VII.—LYSIDAS, CLIMÈNE, URANIE, ÉLISE, DORANTE, LE MARQUIS.
LYSIDAS.
Madame, je viens un peu tard; mais il m'a fallu lire ma pièce chez madame la marquise dont je vous avois parlé; et les louanges qui lui ont été données m'ont retenu une heure plus que je ne croyois.
ÉLISE.
C'est un grand charme que les louanges pour arrêter un auteur.
URANIE.
Asseyez-vous donc, monsieur Lysidas; nous lirons votre pièce après souper.
LYSIDAS.
Tous ceux qui étoient là doivent venir à sa première représentation, et m'ont promis de faire leur devoir comme il faut.
URANIE.
Je le crois. Mais, encore une fois, asseyez-vous, s'il vous plaît. Nous sommes ici sur une matière que je serai bien aise que nous poussions.
LYSIDAS.
Je pense, madame, que vous retiendrez aussi une loge pour ce jour-là?
URANIE.
Nous verrons. Poursuivons, de grâce, notre discours.
LYSIDAS.
Je vous donne avis, madame, qu'elles sont presque toutes retenues.
URANIE.
Voilà qui est bien. Enfin, j'avois besoin de vous lorsque vous êtes venu, et tout le monde étoit ici contre moi.
ÉLISE, à Uranie, montrant Dorante.
Il s'est mis d'abord de votre côté; mais maintenant (montrant Climène) qu'il sait que madame est à la tête du parti contraire, je pense que vous n'avez qu'à chercher un autre secours.
CLIMÈNE.
Non, non, je ne voudrois pas qu'il fît mal sa cour auprès de madame votre cousine, et je permets à son esprit d'être du parti de son cœur.
DORANTE.
Avec cette permission, madame, je prendrai la hardiesse de me défendre.
URANIE.
Mais, auparavant, sachons un peu les sentiments de monsieur Lysidas.
LYSIDAS.
Sur quoi, madame?
URANIE.
Sur le sujet de l'École des Femmes.
LYSIDAS.
Ah! ah!
DORANTE.
Que vous en semble?
LYSIDAS.
Je n'ai rien à dire là-dessus; et vous savez qu'entre nous autres auteurs nous devons parler des ouvrages les uns des autres avec beaucoup de circonspection.
DORANTE.
Mais encore, entre nous, que pensez-vous de cette comédie?
LYSIDAS.
Moi, monsieur?
URANIE.
De bonne foi, dites-nous votre avis.
LYSIDAS.
Je la trouve fort belle.
DORANTE.
Assurément?
LYSIDAS.
Assurément. Pourquoi non? N'est-elle pas en effet la plus belle du monde?
DORANTE.
Hon, hon, vous êtes un méchant diable, monsieur Lysidas; vous ne dites pas ce que vous pensez.
LYSIDAS.
Pardonnez-moi.
DORANTE.
Mon Dieu, je vous connois. Ne dissimulons point.
LYSIDAS.
Moi, monsieur?
DORANTE.
Je vois bien que le bien que vous dites de cette pièce n'est que par honnêteté, et que, dans le fond du cœur, vous êtes de l'avis de beaucoup de gens qui la trouvent mauvaise.
LYSIDAS.
Hai, hai, hai.
DORANTE.
Avouez, ma foi, que c'est une méchante chose que cette comédie.
LYSIDAS.
Il est vrai qu'elle n'est pas approuvée par les connaisseurs.
LE MARQUIS.
Ma foi, chevalier, tu en tiens, et te voilà payé de ta raillerie. Ah, ah, ah, ah, ah!
DORANTE.
Pousse, mon cher marquis, pousse.
LE MARQUIS.
Tu vois que nous avons les savans de notre côté.
DORANTE.
Il est vrai. Le jugement de M. Lysidas est quelque chose de considérable. Mais M. Lysidas veut bien que je ne me rende pas pour cela; et, puisque j'ai bien l'audace de me défendre (montrant Climène) contre les sentiments de madame, il ne trouvera pas mauvais que je combatte les siens.
ÉLISE.
Quoi! vous voyez contre vous madame, M. le marquis et M. Lysidas, et vous osez résister encore? Fi? que cela est de mauvaise grâce!
CLIMÈNE.
Voilà qui me confond, pour moi, que des personnes raisonnables se puissent mettre en tête de donner protection aux sottises de cette pièce.
LE MARQUIS.
Dieu me damne! madame, elle est misérable depuis le commencement jusqu'à la fin.
DORANTE.
Cela est bientôt dit, marquis. Il n'est rien plus aisé que de trancher ainsi; et je ne vois aucune chose qui puisse être à couvert de la souveraineté de tes décisions.
LE MARQUIS.
Parbleu! tous les autres comédiens[170] qui étoient là pour la voir en ont dit tous les maux du monde.
DORANTE.
Ah! je ne dis plus mot; tu as raison, marquis. Puisque les autres comédiens en disent du mal, il faut les en croire assurément. Ce sont tous gens éclairés, et qui parlent sans intérêt. Il n'y a plus rien à dire, je me rends.
CLIMÈNE.
Rendez-vous, ou ne vous rendez pas, je sais fort bien que vous ne me persuaderez point de souffrir les immodesties de cette pièce, non plus que les satires désobligeantes qu'on y voit contre les femmes.
URANIE.
Pour moi, je me garderai bien de m'en offenser, et de prendre rien sur mon compte de tout ce qui s'y dit. Ces sortes de satires tombent directement sur les mœurs, et ne frappent les personnes que par réflexion. N'allons point nous appliquer nous-mêmes les traits d'une censure générale; et profitons de la leçon, si nous pouvons, sans faire semblant qu'on parle à nous. Toutes les peintures ridicules qu'on expose sur les théâtres doivent être regardées sans chagrin de tout le monde. Ce sont miroirs publics, où il ne faut jamais témoigner qu'on se voie; et c'est se taxer hautement d'un défaut que se scandaliser qu'on le reprenne.
CLIMÈNE.
Pour moi, je ne parle pas de ces choses par la part que j'y puisse avoir, et je pense que je vis d'un air dans le 218 monde à ne pas craindre d'être cherchée dans les peintures qu'on fait là des femmes qui se gouvernent mal.
ÉLISE.
Assurément, madame, on ne vous y cherchera point. Votre conduite est assez connue, et ce sont de ces sortes de choses qui ne sont contestées de personne.
URANIE, à Climène.
Aussi, madame, n'ai-je rien dit qui aille à vous; et mes paroles, comme les satires de la comédie, demeurent dans la thèse générale.
CLIMÈNE.
Je n'en doute pas, madame. Mais enfin passons sur ce chapitre. Je ne sais pas de quelle façon vous recevez les injures qu'on dit à notre sexe dans un certain endroit de la pièce; et, pour moi, je vous avoue que je suis dans une colère épouvantable, de voir que cet auteur impertinent nous appelle des animaux.
URANIE.
Ne voyez-vous pas que c'est un ridicule[171] qu'il fait parler?
DORANTE.
Et puis, madame, ne savez-vous pas que les injures des amans n'offensent jamais; qu'il est des amours emportés aussi bien que des doucereux[172]; et qu'en de pareilles occasions les paroles les plus étranges, et quelque chose de pis encore, se prennent bien souvent pour des marques d'affection par celles mêmes qui les reçoivent?
ÉLISE.
Dites tout ce que vous voudrez, je ne saurois digérer cela, non plus que le potage et la tarte à la crème, dont madame a parlé tantôt.
LE MARQUIS.
Ah! ma foi! oui, tarte à la crème! voilà ce que j'avois remarqué tantôt; tarte à la crème! Que je vous suis obligé, madame, de m'avoir fait souvenir de tarte à la crème! Y a-t-il 219 assez de pommes[173] en Normandie pour tarte à la crème? Tarte à la crème, morbleu! tarte à la crème!
DORANTE.
Eh bien, que veux-tu dire? Tarte à la crème!
LE MARQUIS.
Parbleu! tarte à la crème, chevalier!
DORANTE.
Mais encore?
LE MARQUIS.
Tarte à la crème!
DORANTE.
Dis-nous un peu tes raisons.
LE MARQUIS.
Tarte à la crème!
URANIE.
Mais il faut expliquer sa pensée, ce me semble.
LE MARQUIS.
Tarte à la crème, madame!
URANIE.
Que trouvez-vous là à redire?
LE MARQUIS.
Moi, rien. Tarte à la crème!
URANIE.
Ah! je le quitte[174].
ÉLISE.
M. le marquis s'y prend bien, et vous bourre de la belle manière. Mais je voudrois bien que M. Lysidas voulut les achever, et leur donner quelques petits coups de sa façon.
LYSIDAS.
Ce n'est pas ma coutume de rien blâmer, et je suis assez indulgent pour les ouvrages des autres. Mais enfin, sans choquer l'amitié que M. le chevalier témoigne pour l'auteur, on m'avouera que ces sortes de comédies ne sont pas proprement des comédies, et qu'il y a une grande différence 220 de toutes ces bagatelles à la beauté des pièces sérieuses. Cependant tout le monde donne là-dedans aujourd'hui: on ne court plus qu'à cela, et l'on voit une solitude effroyable aux grands ouvrages, lorsque des sottises ont tout Paris. Je vous avoue que le cœur m'en saigne quelquefois, et cela est honteux pour la France.
CLIMÈNE.
Il est vrai que le goût des gens est étrangement gâté là-dessus, et que le siècle s'encanaille[175] furieusement.
ÉLISE.
Celui-là est joli encore: s'encanaille! Est-ce vous qui l'avez inventé, madame?
CLIMÈNE.
Eh!
ÉLISE.
Je m'en suis bien doutée.
DORANTE.
Vous croyez donc, monsieur Lysidas, que tout l'esprit et toute la beauté sont dans les poëmes sérieux, et que les pièces comiques sont des niaiseries qui ne méritent aucune louange?
URANIE.
Ce n'est pas mon sentiment, pour moi. La tragédie, sans doute, est quelque chose de beau quand elle est bien touchée; mais la comédie a ses charmes, et je tiens que l'une n'est pas moins difficile à faire que l'autre.
DORANTE.
Assurément, madame; et quand, pour la difficulté, vous mettriez un peu plus du côté de la comédie, peut-être vous ne vous abuseriez pas. Car, enfin, je trouve qu'il est bien plus aisé de se guinder sur de grands sentiments, de braver en vers la fortune, accuser les destins, et dire des injures aux dieux, que d'entrer comme il faut dans le ridicule des hommes, et de rendre agréablement sur le théâtre les défauts de tout le monde. Lorsque vous peignez des héros, vous faites ce que vous voulez. Ce sont des portraits à 221 plaisir, où l'on ne cherche point de ressemblance; et vous n'avez qu'à suivre les traits d'une imagination qui se donne l'essor, et qui souvent laisse le vrai pour attraper le merveilleux. Mais, lorsque vous peignez les hommes, il faut peindre d'après nature. On veut que ces portraits ressemblent; et vous n'avez rien fait, si vous n'y faites reconnaître les gens de votre siècle. En un mot, dans les pièces sérieuses, il suffit, pour n'être point blâmé, de dire des choses qui soient de bon sens et bien écrites; mais ce n'est pas assez dans les autres, il y faut plaisanter; et c'est une étrange entreprise que celle de faire rire les honnêtes gens.
CLIMÈNE.
Je crois être du nombre des honnêtes gens; et cependant je n'ai pas trouvé le mot pour rire dans tout ce que j'ai vu.
LE MARQUIS.
Ma foi, ni moi non plus.
DORANTE.
Pour toi, marquis, je ne m'en étonne pas. C'est que tu n'y as point trouvé de turlupinades.
LYSIDAS.
Ma foi, monsieur, ce qu'on y rencontre ne vaut guère mieux, et toutes les plaisanteries y sont assez froides, à mon avis.
DORANTE.
La cour n'a pas trouvé cela.
LYSIDAS.
Ah! monsieur, la cour!
DORANTE.
Achevez, monsieur Lysidas. Je vois bien que vous voulez dire que la cour ne se connoît pas à ces choses; et c'est le refuge ordinaire de vous autres messieurs les auteurs, dans le mauvais succès de vos ouvrages, que d'accuser l'injustice du siècle et le peu de lumières des courtisans. Sachez, s'il vous plaît, monsieur Lysidas, que les courtisans ont d'aussi bons yeux que d'autres; qu'on peut être habile avec un point de Venise[176] et des plumes, aussi bien qu'avec une perruque 222 courte et un petit rabat uni; que la grande épreuve de toutes vos comédies, c'est le jugement de la cour; que c'est son goût qu'il faut étudier pour trouver l'art de réussir; qu'il n'y a point de lieu où les décisions soient si justes; et, sans mettre en ligne de compte tous les gens savans qui y sont, que du simple bon sens naturel et du commerce de tout le beau monde on s'y fait une manière d'esprit qui, sans comparaison, juge plus finement des choses que tout le savoir enrouillé[177] des pédans.
URANIE.
Il est vrai que, pour peu qu'on y demeure, il vous passe là tous les jours assez de choses devant les yeux pour acquérir quelque habitude de les connoître, et surtout pour ce qui est de la bonne et mauvaise plaisanterie.
DORANTE.
La cour a quelques ridicules, j'en demeure d'accord, et je suis, comme on voit, le premier à les fronder. Mais, ma foi, il y en a un grand nombre parmi les beaux esprits de profession; et, si l'on joue quelques marquis, je trouve qu'il y a bien plus de quoi jouer les auteurs, et que ce seroit une chose plaisante à mettre sur le théâtre que leurs grimaces savantes et leurs raffinemens ridicules, leur vicieuse coutume d'assassiner les gens de leurs ouvrages, leur friandise de louanges, leurs ménagements de pensées, leur trafic de réputation, et leurs ligues offensives et défensives, aussi bien que leurs guerres d'esprit, et leurs combats de prose et de vers.
LYSIDAS.
Molière est bien heureux, monsieur, d'avoir un protecteur aussi chaud que vous. Mais, enfin, pour venir au fait, il est question de savoir si sa pièce est bonne, et je m'offre d'y montrer partout cent défauts visibles.
URANIE.
C'est une étrange chose de vous autres, messieurs les poëtes, que vous condamniez toujours les pièces où tout le monde court, et ne disiez jamais du bien que de celles où 223 personne ne va. Vous montrez pour les unes une haine invincible, et pour les autres une tendresse qui n'est pas concevable.
DORANTE.
C'est qu'il est généreux de se ranger du côté des affligés.
URANIE.
Mais, de grâce, monsieur Lysidas, faites-nous voir ces défauts, dont je ne me suis point aperçue.
LYSIDAS.
Ceux qui possèdent Aristote et Horace voient d'abord, madame, que cette comédie pèche contre toutes les règles de l'art.
URANIE.
Je vous avoue que je n'ai aucune habitude avec ces messieurs-là, et que je ne sais point les règles de l'art.
DORANTE.
Vous êtes de plaisantes gens avec vos règles, dont vous embarrassez les ignorans, et nous étourdissez tous les jours! Il semble, à vous ouïr parler, que ces règles de l'art soient les plus grands mystères du monde; et, cependant, ce ne sont que quelques observations aisées, que le bon sens a faites sur ce qui peut ôter le plaisir que l'on prend à ces sortes de poëmes; et le même bon sens qui a fait autrefois ces observations les fait aisément tous les jours, sans le secours d'Horace et d'Aristote. Je voudrois bien savoir si la grande règle de toutes les règles n'est pas de plaire, et si une pièce de théâtre qui a attrapé son but n'a pas suivi un bon chemin. Veut-on que tout un public s'abuse sur ces sortes de choses, et que chacun n'y soit pas juge du plaisir qu'il y prend?
URANIE.
J'ai remarqué une chose de ces messieurs-là: c'est que ceux qui parlent le plus des règles, et qui les savent mieux que les autres, font des comédies que personne ne trouve belles.
DORANTE.
Et c'est ce qui marque, madame, comme on doit s'arrêter peu à leurs disputes embarrassées, car enfin, si les pièces qui sont selon les règles ne plaisent pas, et que celles qui 224 plaisent ne soient pas selon les règles, il faudrait, de nécessité, que les règles eussent été mal faites. Moquons-nous donc de cette chicane où ils veulent assujettir le goût du public, et ne consultons dans une comédie que l'effet qu'elle fait sur nous. Laissons-nous aller de bonne foi aux choses qui nous prennent par les entrailles, et ne cherchons point de raisonnement pour nous empêcher d'avoir du plaisir.
URANIE.
Pour moi, quand je vois une comédie, je regarde seulement si les choses me touchent; et, lorsque je m'y suis bien divertie, je ne vais point demander si j'ai eu tort, et si les règles d'Aristote me défendoient de rire.
DORANTE.
C'est justement comme un homme qui auroit trouvé une sauce excellente, et qui voudroit examiner si elle est bonne, sur les préceptes du Cuisinier françois.
URANIE.
Il est vrai; et j'admire les raffinemens de certaines gens sur des choses que nous devons sentir par nous-mêmes.
DORANTE.
Vous avez raison, madame, de les trouver étranges, tous ces raffinemens mystérieux. Car enfin, s'ils ont lieu, nous voilà réduits à ne nous plus croire; nos propres sens seront esclaves en toutes choses; et, jusques au manger et au boire, nous n'oserons plus trouver rien de bon sans le congé de messieurs les experts.
LYSIDAS.
Enfin, monsieur, toute votre raison, c'est que l'École des Femmes a plu; et vous ne vous souciez point qu'elle ne soit pas dans les règles pourvu...
DORANTE.
Tout beau, monsieur Lysidas, je ne vous accorde pas cela. Je dis bien que le grand art est de plaire, et que cette comédie ayant plu à ceux pour qui elle est faite, je trouve que c'est assez pour elle, et qu'elle doit peu se soucier du reste. Mais, avec cela, je soutiens qu'elle ne pèche contre aucune des règles dont vous parlez. Je les ai lues, Dieu merci, autant qu'un autre; et je ferois voir aisément que 225 peut-être n'avons-nous point de pièce au théâtre plus régulière que celle-là.
ÉLISE.
Courage, monsieur Lysidas! nous sommes perdus si vous reculez.
LYSIDAS.
Quoi! monsieur, la protase, l'épitase et la péripétie...
DORANTE.
Ah! monsieur Lysidas, vous nous assommez avec vos grands mots! Ne paroissez point si savant, de grâce! Humanisez votre discours, et parlez pour être entendu. Pensez-vous qu'un nom grec donne plus de poids à vos raisons? Et ne trouveriez-vous pas qu'il fût aussi beau de dire l'exposition du sujet, que la protase; le nœud, que l'épitase; et le dénoûment, que la péripétie?
LYSIDAS.
Ce sont termes de l'art, dont il est permis de se servir. Mais, puisque ces mots blessent vos oreilles, je m'expliquerai d'une autre façon, et je vous prie de répondre positivement à trois ou quatre choses que je vais dire. Peut-on souffrir une pièce qui pèche contre le nom propre des pièces de théâtre? Car enfin le nom de poëme dramatique vient d'un mot grec qui signifie agir, pour montrer que la nature de ce poëme consiste dans l'action; et dans cette comédie-ci il ne se passe point d'actions, et tout consiste en des récits que vient faire ou Agnès ou Horace.
LE MARQUIS.
Ah! ah! chevalier.
CLIMÈNE.
Voilà qui est spirituellement remarqué, et c'est prendre le fin des choses.
LYSIDAS.
Est-il rien de si peu spirituel, ou, pour mieux dire, rien de si bas, que quelques mots où tout le monde rit, et surtout celui des enfans par l'oreille?
CLIMÈNE.
Fort bien.
ÉLISE.
Ah!
LYSIDAS.
La scène du valet et de la servante au dedans de la maison n'est-elle pas d'une longueur ennuyeuse, et tout à fait impertinente?
LE MARQUIS.
Cela est vrai.
CLIMÈNE.
Assurément.
ÉLISE.
Il a raison.
LYSIDAS.
Arnolphe ne donne-t-il pas trop librement son argent à Horace? Et, puisque c'est le personnage ridicule de la pièce, falloit-il lui faire l'action d'un honnête homme?
LE MARQUIS.
Bon. La remarque est encore bonne.
CLIMÈNE.
Admirable.
ÉLISE.
Merveilleuse.
LYSIDAS.
Le sermon et les maximes ne sont-ils pas des choses ridicules, et qui choquent même le respect que l'on doit à nos mystères?
LE MARQUIS.
C'est bien dit.
CLIMÈNE.
Voilà parlé comme il faut.
ÉLISE.
Il ne se peut rien de mieux.
LYSIDAS.
Et ce M. de la Souche, enfin, qu'on nous fait un homme d'esprit, et qui paroît si sérieux en tant d'endroits, ne descend-il point dans[178] quelque chose de trop comique et de trop outré au cinquième acte, lorsqu'il explique à Agnès la violence de son amour, avec ces roulements d'yeux 227 extravagants, ces soupirs ridicules, et ces larmes niaises qui font rire tout le monde?
LE MARQUIS.
Morbleu! merveille!
CLIMÈNE.
Miracle!
ÉLISE.
Vivat, monsieur Lysidas!
LYSIDAS.
Je laisse cent mille autres choses, de peur d'être ennuyeux.
LE MARQUIS.
Parbleu! chevalier, te voilà mal ajusté.
DORANTE.
Il faut voir.
LE MARQUIS.
Tu as trouvé ton homme, ma foi.
DORANTE.
Peut-être.
LE MARQUIS.
Réponds, réponds, réponds, réponds.
DORANTE.
Volontiers. Il...
LE MARQUIS.
Réponds donc, je te prie.
DORANTE.
Laisse-moi donc faire. Si...
LE MARQUIS.
Parbleu! je te défie de répondre.
DORANTE.
Oui, si tu parles toujours.
CLIMÈNE.
De grâce, écoutons ses raisons.
DORANTE.
Premièrement, il n'est pas vrai de dire que toute la pièce n'est qu'en récits. On y voit beaucoup d'actions qui se passent sur la scène; et les récits eux-mêmes y sont des actions, suivant la constitution du sujet; d'autant qu'ils sont tous faits innocemment, ces récits, à la personne intéressée, qui, par là, entre à tous coups dans une confusion à réjouir 228 les spectateurs, et prend, à chaque nouvelle, toutes les mesures qu'il peut, pour se parer du malheur qu'il craint.
URANIE.
Pour moi, je trouve que la beauté du sujet de l'Ecole des Femmes consiste dans cette confidence perpétuelle; et, ce qui me paroît assez plaisant, c'est qu'un homme qui a de l'esprit, et qui est averti de tout par une innocente qui est sa maîtresse[179], et par un étourdi qui est son rival, ne puisse avec cela éviter ce qui lui arrive.
LE MARQUIS.
Bagatelle, bagatelle!
CLIMÈNE.
Foible réponse.
ÉLISE.
Mauvaises raisons.
DORANTE.
Pour ce qui est des enfants par l'oreille, ils ne sont plaisans que par réflexion à Arnolphe; et l'auteur n'a pas mis cela pour être de soi un bon mot, mais seulement pour une chose qui caractérise l'homme et peint d'autant mieux son extravagance, puisqu'il rapporte une sottise triviale qu'a dite Agnès, comme la chose la plus belle du monde et qui lui donne une joie inconcevable.
LE MARQUIS.
C'est mal répondre.
CLIMÈNE.
Cela ne satisfait point.
ÉLISE.
C'est ne rien dire.
DORANTE.
Quant à l'argent qu'il donne librement, outre que la lettre de son meilleur ami lui est une caution suffisante, il n'est pas incompatible qu'une personne soit ridicule en de certaines choses, et honnête homme en d'autres. Et pour la scène d'Alain et de Georgette dans le logis, que quelques-uns ont trouvée longue et froide, il est certain qu'elle n'est pas sans raison; et, de même qu'Arnolphe se trouve attrapé pendant son voyage par la pure innocence de sa maîtresse, 229 il demeure au retour longtemps à sa porte par l'innocence de ses valets, afin qu'il soit partout puni par les choses qu'il a crues faire la sûreté de ses précautions.
LE MARQUIS.
Voilà des raisons qui ne valent rien.
CLIMÈNE.
Tout cela ne fait que blanchir.
ÉLISE.
Cela fait pitié.
DORANTE.
Pour le discours moral que vous appelez un sermon, il est certain que de vrais dévots qui l'ont ouï n'ont pas trouvé qu'il choquât ce que vous dites; et sans doute que ces paroles d'enfer et de chaudières bouillantes sont assez justifiées par l'extravagance d'Arnolphe et par l'innocence de celle à qui il parle. Et, quant au transport amoureux du cinquième acte, qu'on accuse d'être trop outré et trop comique, je voudrois bien savoir si ce n'est pas faire la satire des amans, et si les honnêtes gens même et les plus sérieux, en de pareilles occasions, ne font pas des choses...
LE MARQUIS.
Ma foi, chevalier, tu ferois mieux de te taire.
DORANTE.
Fort bien. Mais enfin, si nous nous regardions nous-mêmes, quand nous sommes bien amoureux...
LE MARQUIS.
Je ne veux pas seulement t'écouter.
DORANTE.
Écoute-moi si tu veux. Est-ce que dans la violence de la passion...
LE MARQUIS.
La, la, la, la, lare, la, la, la, la, la, la.
Il chante.
DORANTE.
Quoi!
LE MARQUIS.
La, la, la, la, lare, la, la, la, la, la, la.
DORANTE.
Je ne sais pas si...
LE MARQUIS.
La la, la, la, lare, la, la, la, la, la, la.
URANIE.
Il me semble que...
LE MARQUIS.
La, la, la, la, lare, la, la, la, la, la, la, la, la, la, la.
URANIE.
Il se passe des choses assez plaisantes dans notre dispute. Je trouve qu'on en pourroit bien faire une petite comédie, et que cela ne seroit pas trop mal à la queue de l'École des Femmes.
DORANTE.
Vous avez raison.
LE MARQUIS.
Parbleu! chevalier, tu jouerois là-dedans un rôle qui ne te seroit pas avantageux.
DORANTE.
Il est vrai, marquis.
CLIMÈNE.
Pour moi, je souhaiterois que cela se fît, pourvu qu'on traitât l'affaire comme elle s'est passée.
ÉLISE.
Et moi, je fournirois de bon cœur mon personnage.
LYSIDAS.
Je ne refuserois pas le mien, que je pense.
URANIE.
Puisque chacun en seroit content, chevalier, faites un mémoire de tout, et le donnez à Molière, que vous connoissez, pour le mettre en comédie.
CLIMÈNE.
Il n'aurait garde, sans doute, et ce ne serait pas des vers à sa louange.
URANIE.
Point, point; je connais son humeur: il ne se soucie[180] pas qu'on fronde ses pièces, pourvu qu'il y vienne du monde.
DORANTE.
Oui. Mais quel dénoûment pourroit-il trouver à ceci? Car 231 il ne saurait y avoir ni mariage, ni reconnaissance; et je ne sais point par où l'on pourroit faire finir la dispute.
URANIE.
Il faudroit rêver quelque incident pour cela.
SCÈNE VIII.—CLIMÈNE, URANIE, ÉLISE, DORANTE, LE MARQUIS, LYSIDAS, GALOPIN.
GALOPIN.
Madame, on a servi sur table.
DORANTE.
Ah! voilà justement ce qu'il faut pour le dénoûment que nous cherchions, et l'on ne peut rien trouver de plus naturel. On disputera fort et ferme de part et d'autre, comme nous avons fait, sans que personne se rende; un petit laquais viendra dire qu'on a servi, on se lèvera, et chacun ira souper.
URANIE.
La comédie ne peut pas mieux finir, et nous ferons bien d'en demeurer là.
FIN DE LA CRITIQUE DE L'ÉCOLE DES FEMMES
REPRÉSENTÉE POUR LA PREMIÈRE FOIS A VERSAILLES, LE 14 OCTOBRE 1663, ET A PARIS SUR LE THÉATRE DU PALAIS-ROYAL, LE 4 NOVEMBRE SUIVANT.
On voulait détruire Molière. On le jouait à l'hôtel de Bourgogne sous son costume, avec sa perruque, avec ses tics naturels et sous son propre nom. Les petits gentilshommes, furieux d'être signalés comme turlupins et de voir le marquis de Mascarille remplacer le bouffon de la comédie espagnole, le gracioso, l'attendaient à la porte du théâtre afin de punir ce «garçon nommé Molière». On préparait la requête contre son inceste, que devait présenter, au mois de décembre suivant, le gros Monfleury. Le duc de la Feuillade, dont Molière avait bafoué la critique dédaigneuse, n'avait feint de l'embrasser que pour déchirer le visage du comédien, que les boutons de son pourpoint mirent en sang. Enfin Boursault, devenu l'organe des dévots scrupuleux, l'acusait d'athéisme; au milieu de cette émeute universelle, de cette sédition soulevée contre son génie, il n'avait pour appui que ce génie même, le public et la main royale.
La guerre soutenue par lui, non-seulement amusait la royauté, mais la servait. L'affaiblissement de la noblesse, le niveau passe sur la bourgeoisie et la gentilhommerie de race, ridicule jeté sur tout ce qui s'éloignait de la convenance, peut-être aussi certaines exécutions personnelles que le roi n'indiquait pas, mais qui étaient loin de lui 233 déplaire, tout cela donnait à Molière liberté et même autorité. Il en usa, comme critique moraliste, avec une verve hardie qui semble excessive à Voltaire et que l'on a inculpée à tort. Ses représailles étaient justes. Si Boursault fut joué par lui, Boursault, qui lui avait donné l'exemple, devait subir la loi du talion. Tous les jours on traînait Molière sur le théâtre, et lui-même, allant s'asseoir près des acteurs, comme c'était la coutume, il avait dû subir le spectacle de sa propre parodie et de la caricature odieuse que ses ennemis faisaient en public de sa personne et de ses mœurs. Dans ce duel à bout portant il eût été puéril d'opposer un fleuret boutonné à l'épée ou à la lance.
Le roi lui avait donné huit jours pour répliquer plus vertement encore à ses ennemis. Déjà, dans la Critique de l'École des Femmes, il avait ouvert à deux battants un salon contemporain. L'Impromptu de Versailles introduisit le public dans les coulisses de son propre théâtre, révélant d'un seul coup les rivalités littéraires, les ridicules de cette vie à part, les prétentions des gens de plume et les jalousies de métier. Toujours hardi à déchirer l'enveloppe et la formule qui cachent les réalités, il se mit en jeu lui-même, entouré de sa troupe; il fit comparaître devant le public Boursault, les amateurs et les importuns. Après avoir confessé ses infortunes de mari, il dit ses infortunes de directeur.
Buckingham dans la Répétition[181], où le poëte Dryden joue un rôle si plaisant sous le nom de «poëte Dulaurier;» Shéridan, qui a mis en scène, dans sa petite pièce du Critique, Cumberland orné du sobriquet de sir Fretful Plagiary; enfin, notre Casimir Delavigne, ont essayé tour à tour de reproduire la vie intérieure des acteurs modernes et de faire la comédie de la comédie. La palme est restée à Molière, plus net, plus précis et plus comique qu'eux tous.
La pension de Molière fut augmentée. Ses ennemis attendirent une occasion meilleure. L'admiration et l'estime 234 couronnèrent l'audacieux. Rien ne prouve mieux l'état sain et vigoureux des âmes à cette époque que ce parti pris par la masse du public en faveur du moraliste satirique. Les ridicules et les vices se débattaient et se plaignaient, mais ils avaient le dessous. Dans un temps plus énervé, ils se plaindraient encore... et ils triompheraient.
REMERCIMENT AU ROI
PERSONNAGES |
MOLIÈRE, marquis ridicule. |
BRÉCOURT, homme de qualité. |
LA GRANGE, marquis ridicule. |
DU CROISY, poëte. |
LA THORILLIÈRE, marquis fâcheux. |
BÉJART, homme qui fait le Nécessaire. |
Mlle DUPARC, marquise façonnière. |
Mlle BÉJART, prude. |
Mlle DEBRIE, sage coquette. |
Mlle DU CROISY, peste doucereuse. |
Mlle HERVÉ, servante précieuse. |
Quatre Nécessaire. |
La scène est à Versailles, dans la salle de la comédie. |
SCÈNE I.—MOLIÈRE, BRÉCOURT, LA GRANGE, DU CROISY, MESDEMOISELLES DUPARC, BÉJART, DEBRIE, MOLIÈRE, DU CROISY, HERVÉ.
MOLIÈRE, seul, parlant à ses camarades, qui sont derrière le théâtre.
Allons donc, messieurs et mesdames, vous moquez-vous avec votre longueur, et ne voulez-vous pas tous venir ici? La peste soit des gens! Holà, ho! monsieur de Brécourt!
BRÉCOURT, derrière le théâtre.
Quoi?
MOLIÈRE.
Monsieur de la Grange!
LA GRANGE, derrière le théâtre.
Qu'est-ce?
MOLIÈRE.
Monsieur du Croisy!
DU CROISY, derrière le théâtre.
Plaît-il?
MOLIÈRE.
Mademoiselle Duparc!
MADEMOISELLE DUPARC, derrière le théâtre.
Eh bien?
MOLIÈRE.
Mademoiselle Béjart!
MADEMOISELLE BÉJART, derrière le théâtre.
Qu'y a-t-il?
MOLIÈRE.
Mademoiselle Debrie!
MADEMOISELLE DEBRIE, derrière le théâtre.
Que veut-on?
MOLIÈRE.
Mademoiselle du Croisy!
MADEMOISELLE DU CROISY, derrière le théâtre.
Qu'est-ce que c'est?
MOLIÈRE.
Mademoiselle Hervé!
MADEMOISELLE HERVÉ, derrière le théâtre.
On y va.
MOLIÈRE.
Je crois que je deviendrai fou avec tous ces gens-ci! Eh! (Brécourt, la Grange, du Croisy entrent.) Têtebleu, messieurs! me voulez-vous faire enrager[182] aujourd'hui?
BRÉCOURT.
Que voulez-vous qu'on fasse? Nous ne savons pas nos rôles, et c'est nous faire enrager vous-même que de nous obliger à jouer de la sorte.
MOLIÈRE.
Ah! les étranges animaux à conduire que des comédiens!
Mesdemoiselles Béjart, Duparc, Debrie, Molière, du Croisy et Hervé arrivent.
MADEMOISELLE BÉJART.
Eh bien, nous voilà. Que prétendez-vous faire?
MADEMOISELLE DUPARC.
Quelle est votre pensée?
MADEMOISELLE DEBRIE.
De quoi est-il question?
MOLIÈRE.
De grâce, mettons-nous ici; et, puisque nous voilà tous habillés, et que le roi ne doit venir de deux heures, employons ce temps à répéter notre affaire et voir la manière dont il faut jouer les choses.
LA GRANGE.
Le moyen de jouer ce qu'on ne sait pas?
MADEMOISELLE DUPARC.
Pour moi, je vous déclare que je ne me souviens pas d'un mot de mon personnage.
MADEMOISELLE DEBRIE.
Je sais bien qu'il me faudra souffler le mien d'un bout à l'autre.
MADEMOISELLE BÉJART.
Et moi, je me prépare fort à tenir mon rôle à la main.
MADEMOISELLE MOLIÈRE.
Et moi aussi.
MADEMOISELLE HERVÉ.
Pour moi, je n'ai pas grand'chose à dire.
MADEMOISELLE DU CROISY.
Ni moi non plus; mais, avec cela, je ne répondrois point de ne point manquer.
DU CROISY.
J'en voudrois être quitte pour dix pistoles.
BRÉCOURT.
Et moi, pour vingt bons coups de fouet, je vous assure.
MOLIÈRE.
Vous voilà tous bien malades, d'avoir un méchant rôle à jouer! Et que feriez-vous donc si vous étiez en ma place?
MADEMOISELLE BÉJART.
Qui, vous? vous n'êtes pas à plaindre; car, ayant fait la pièce, vous n'avez pas peur d'y manquer.
MOLIÈRE.
Eh! n'ai-je à craindre que le manquement de mémoire? Ne comptez-vous pour rien l'inquiétude d'un succès qui ne regarde que moi seul? Et pensez-vous que ce soit une petite affaire que d'exposer quelque chose de comique devant une assemblée comme celle-ci? que d'entreprendre de faire des personnes qui nous impriment le respect et ne rient que quand elles veulent? Est-il auteur qui ne doive trembler lorsqu'il en vient à cette épreuve? Et n'est-ce pas à moi de dire que je voudrois en être quitte pour toutes les choses du monde?
MADEMOISELLE BÉJART.
Si cela vous faisoit trembler, vous prendriez mieux vos précautions, et n'auriez pas entrepris en huit jours ce que vous avez fait.
MOLIÈRE.
Le moyen de m'en défendre, quand un roi me l'a commandé?
MADEMOISELLE BÉJART.
Le moyen? Une respectueuse excuse fondée sur l'impossibilité de la chose dans le peu de temps qu'on vous donne; et tout autre, en votre place, ménageroit mieux sa réputation, et se seroit bien gardé de se commettre comme vous faites. Où en serez-vous, je vous prie, si l'affaire réussit mal; et quel avantage pensez-vous qu'en prendront tous vos ennemis?
MADEMOISELLE DEBRIE.
En effet, il falloit s'excuser avec respect envers le roi, ou demander du temps davantage.
MOLIÈRE.
Mon Dieu! mademoiselle, les rois n'aiment rien tant qu'une prompte obéissance, et ne se plaisent point du tout à trouver des obstacles. Les choses ne sont bonnes que dans le temps qu'ils les souhaitent; et leur en vouloir reculer le divertissement est en ôter pour eux toute la grâce. Ils veulent des plaisirs qui ne se fassent point attendre, et les 241 moins préparés leur sont toujours les plus agréables. Nous ne devons jamais nous regarder dans ce qu'ils désirent de nous; nous ne sommes que pour leur plaire; et, lorsqu'ils nous ordonnent quelque chose, c'est à nous à profiter vite de l'envie où ils sont. Il vaut mieux s'acquitter mal de ce qu'ils nous demandent que de ne s'en acquitter pas assez tôt; et, si l'on a la honte de n'avoir pas bien réussi, on a toujours la gloire d'avoir obéi vite à leurs commandemens. Mais songeons à répéter, s'il vous plaît.
MADEMOISELLE BÉJART.
Comment prétendez-vous que nous fassions, si nous ne savons pas nos rôles?
MOLIÈRE.
Vous les saurez, vous dis-je; et, quand même vous ne les sauriez pas tout à fait, ne pouvez-vous pas y suppléer de votre esprit, puisque c'est de la prose et que vous savez votre sujet?
MADEMOISELLE BÉJART.
Je suis votre servante. La prose est pis encore que les vers.
MADEMOISELLE MOLIÈRE.
Voulez-vous que je vous dise? vous devriez faire une comédie où vous auriez joué tout seul.
MOLIÈRE.
Taisez-vous, ma femme, vous êtes une bête!
MADEMOISELLE MOLIÈRE.
Grand merci, monsieur mon mari. Voilà ce que c'est! Le mariage change bien les gens, et vous ne m'auriez pas dit cela il y a dix-huit mois.
MOLIÈRE.
Taisez-vous, je vous prie!
MADEMOISELLE MOLIÈRE.
C'est une chose étrange qu'une petite cérémonie soit capable de nous ôter toutes nos belles qualités, et qu'un mari et un galant regardent la même personne avec des yeux si différens.
MOLIÈRE.
Que de discours!
MADEMOISELLE MOLIÈRE.
Ma foi, si je faisois une comédie, je la ferais sur ce sujet, je justifierois les femmes de bien des choses dont on les accuse, et je ferois craindre aux maris la différence qu'il y a de leurs manières brusques aux civilités des galans.
MOLIÈRE.
Ah! laissons cela. Il n'est pas question de causer maintenant; nous avons autre chose à faire.
MADEMOISELLE BÉJART.
Mais, puisqu'on vous a commandé de travailler sur le sujet de la critique qu'on a faite contre vous, que n'avez-vous fait cette comédie des comédiens dont vous nous avez parlé il y a longtemps? C'était une affaire toute trouvée et qui venoit fort bien à la chose; et d'autant mieux qu'ayant entrepris de vous peindre, ils[183] vous ouvraient l'occasion de les peindre aussi, et que cela auroit pu s'appeler leur portrait, à bien plus juste titre que tout ce qu'ils ont fait ne peut être appelé le vôtre. Car vouloir contrefaire un comédien dans un rôle comique, ce n'est pas le peindre lui-même, c'est peindre d'après lui les personnages qu'il représente, et se servir des mêmes traits et des mêmes couleurs qu'il est obligé d'employer aux différens tableaux des caractères ridicules qu'il imite d'après nature; mais contrefaire un comédien dans des rôles sérieux, c'est le peindre par des défauts qui sont entièrement de lui, puisque ces sortes de personnages ne veulent ni les gestes ni les tons de voix ridicules dans lesquels on le reconnoît.
MOLIÈRE.
Il est vrai; mais j'ai mes raisons pour ne pas le faire, et je n'ai pas cru, entre nous, que la chose en valût la peine, et puis il falloit plus de temps pour exécuter cette idée. Comme leurs jours[184] de comédie sont les mêmes que les nôtres, à peine ai-je été les voir que trois ou quatre fois depuis que nous sommes à Paris; je n'ai attrapé de leur manière de réciter que ce qui m'a d'abord sauté aux yeux, et j'aurois 243 eu besoin de les étudier davantage pour faire des portraits bien ressemblans.
MADEMOISELLE DUPARC.
Pour moi, j'en ai reconnu quelques-uns dans votre bouche.
MADEMOISELLE DEBRIE.
Je n'ai jamais ouï parler de cela.
MOLIÈRE.
C'est une idée qui m'avoit passé une fois par la tête, et que j'ai laissée là comme une bagatelle, une badinerie, qui peut-être n'auroit pas fait rire.
MADEMOISELLE DEBRIE.
Dites-la-moi un peu, puisque vous l'avez dite aux autres.
MOLIÈRE.
Nous n'avons pas le temps maintenant.
MADEMOISELLE DEBRIE.
Seulement deux mots.
MOLIÈRE.
J'avois songé une comédie[185] où il y auroit eu un poëte, que j'aurois représenté moi-même, qui seroit venu pour offrir une pièce à une troupe de comédiens nouvellement arrivée de la campagne. «Avez-vous, auroit-il dit, des acteurs et des actrices qui soient capables de bien faire valoir un ouvrage? car ma pièce est une pièce...—Eh! monsieur, auroient répondu les comédiens, nous avons des hommes et des femmes qui ont été trouvés raisonnables partout où nous avons passé.—Et qui fait les rois parmi vous?—Voilà un acteur qui s'en démêle[186] parfois.—Qui? ce jeune homme bien fait? Vous moquez-vous? Il faut un roi qui soit gros et gras comme quatre[187]; un roi, morbleu! qui soit entripaillé[188] comme il faut; un roi d'une vaste circonférence, et qui puisse remplir un trône de la belle manière. La belle 244 chose qu'un roi d'une taille galante! Voilà déjà un grand défaut. Mais que je l'entende un peu réciter une douzaine de vers.» Là-dessus le comédien auroit récité, par exemple, quelques vers du roi, de Nicomède:
le plus naturellement qu'il lui auroit été possible. Et le poëte: «Comment! vous appelez cela réciter? C'est se railler; il faut dire les choses avec emphase. Écoutez-moi:
Voyez-vous cette posture? Remarquez bien cela. Là, appuyez comme il faut le dernier vers. Voilà ce qui attire l'approbation, et fait faire le brouhaha.—Mais, monsieur, auroit répondu le comédien, il me semble qu'un roi, qui s'entretient tout seul avec son capitaine des gardes, parle un peu plus humainement, et ne prend guère ce ton de démoniaque.—Vous ne savez ce que c'est. Allez-vous-en réciter comme vous faites, vous verrez si vous ferez faire aucun ah! Voyons un peu une scène d'amant et d'amante.» Là-dessus une comédienne et un comédien auroient fait une scène ensemble, qui est celle de Camille et du Curiace,
tout de même que l'autre, et le plus naturellement qu'ils auroient pu. Et le poëte aussitôt: «Vous vous moquez, vous ne faites rien qui vaille, et voici comme il faut réciter cela:
Il imite mademoiselle de Beauchâteau, comédienne de l'hôtel de Bourgogne.
Voyez-vous comme cela est naturel et passionné! Admirez ce visage riant qu'elle conserve dans les plus grandes afflictions.» Enfin, voilà l'idée; et il aurait parcouru de même tous les acteurs et toutes les actrices.
MADEMOISELLE DEBRIE.
Je trouve cette idée assez plaisante, et j'en ai reconnu[189] là dès le premier vers. Continuez, je vous prie.
MOLIÈRE, imitant Beauchâteau, comédien de l'hôtel de Bourgogne dans les stances du Cid.
Et celui-ci, le reconnoîtrez-vous bien dans Pompée, de Sertorius?
Il contrefait Hauteroche, comédien de l'hôtel de Bourgogne.
MADEMOISELLE DEBRIE.
Je le reconnois un peu, je pense.
MOLIÈRE.
Et celui-ci?
Imitant de Villiers, comédien de l'hôtel de Bourgogne.
MADEMOISELLE DEBRIE.
Oui, je sais qui c'est; mais il y en a quelques-uns d'entre eux, je crois, que vous auriez peine à contrefaire.
MOLIÈRE.
Mon Dieu! il n'y en a point qu'on ne pût attraper par quelque endroit, si je les avois bien étudiés. Mais vous me faites perdre un temps qui nous est cher. Songeons à nous, de grâce, et ne nous amusons point davantage à discourir. (A la Grange.) Vous, prenez garde à bien représenter avec moi votre rôle de marquis.
MADEMOISELLE MOLIÈRE.
Toujours des marquis!
MOLIÈRE.
Oui, toujours des marquis. Qui diable voulez-vous qu'on prenne pour un caractère agréable de théâtre? Le marquis aujourd'hui est le plaisant de la comédie; et, comme dans toutes les comédies anciennes on voit toujours un valet bouffon qui fait rire les auditeurs, de même, dans toutes 246 nos pièces de maintenant, il faut toujours un marquis ridicule qui divertisse la compagnie.
MADEMOISELLE BÉJART.
Il est vrai, on ne s'en sauroit passer.
MOLIÈRE.
Pour vous, mademoiselle...
MADEMOISELLE DUPARC.
Mon Dieu! pour moi, je m'acquitterai fort mal de mon personnage, et je ne sais pas pourquoi vous m'avez donné ce rôle de façonnière[190].
MOLIÈRE.
Mon Dieu! mademoiselle, voilà comme vous disiez lorsque l'on vous donna celui de la Critique de l'Ecole des femmes; cependant vous vous en êtes acquittée à merveille, et tout le monde est demeuré d'accord qu'on ne peut pas mieux faire que vous avez fait. Croyez-moi, celui-ci sera de même, et vous le jouerez mieux que vous ne pensez.
MADEMOISELLE DUPARC.
Comment cela se pourrait-il faire? Car il n'y a point de personne au monde qui soit moins façonnière que moi.
MOLIÈRE.
Cela est vrai; et c'est en quoi vous faites mieux voir que vous êtes excellente comédienne, de bien représenter un personnage qui est si contraire à votre humeur. Tâchez donc de bien prendre, tous, le caractère de vos rôles, et de vous figurer que vous êtes ce que vous représentez.
A du Croisy.
Vous faites le poëte, vous, et vous devez vous remplir de ce personnage, marquer cet air pédant qui se conserve parmi le commerce du beau monde, ce ton de voix sentencieux et cette exactitude de prononciation qui appuie sur toutes les syllabes, et ne laisse échapper aucune lettre de la plus sévère orthographe.
A Brécourt.
Pour vous, vous faites un honnête homme de cour, comme vous avez déjà fait dans la Critique de l'Ecole des femmes, c'est-à-dire que vous devez prendre un air posé, un ton de 247 voix naturel, et gesticuler le moins qu'il vous sera possible.
A la Grange.
Pour vous, je n'ai rien à vous dire.
A mademoiselle Béjart.
Vous, vous représentez une de ces femmes qui, pourvu qu'elles ne fassent point l'amour, croient que tout le reste leur est permis; de ces femmes qui se retranchent toujours fièrement sur leur pruderie, regardent un chacun de haut en bas, et veulent que toutes les plus belles qualités que possèdent les autres ne soient rien en comparaison d'un misérable honneur dont personne ne se soucie. Ayez toujours ce caractère devant les yeux, pour en bien faire les grimaces.
A mademoiselle Debrie.
Pour vous, faites une de ces femmes qui pensent être les plus vertueuses personnes du monde, pourvu qu'elles sauvent les apparences; de ces femmes qui croient que le péché n'est que dans le scandale, qui veulent conduire doucement les affaires qu'elles ont sur le pied d'attachement honnête, et appellent amis ce que les autres nomment galans. Entrez bien dans ce caractère.
A mademoiselle Molière.
Vous, vous faites le même personnage que dans la Critique, et je n'ai rien à vous dire, non plus qu'à mademoiselle Duparc.
A mademoiselle du Croisy.
Pour vous, vous représentez une de ces personnes qui prêtent doucement des charités[191] à tout le monde; de ces femmes qui donnent toujours le petit coup de langue en passant, et seroient bien fâchées d'avoir souffert qu'on eût dit du bien du prochain. Je crois que vous ne vous acquitterez pas mal de ce rôle.
A mademoiselle Hervé.
Et pour vous, vous êtes la soubrette de la précieuse, qui se mêle de temps en temps dans la conversation, et attrape, comme elle peut, tous les termes de sa maîtresse. Je vous 248 dis tous vos caractères, afin que vous vous les imprimiez fortement dans l'esprit. Commençons maintenant à répéter, et voyons comme cela ira. Ah! voici justement un fâcheux! Il ne nous fallait plus que cela!
SCÈNE II.—LA THORILLIÈRE, MOLIÈRE, BRÉCOURT, LA GRANGE, DU CROISY, mesdemoiselles DUPARC, BÉJART, DEBRIE, MOLIÈRE, DU CROISY, HERVÉ.
LA THORILLIÈRE.
Bonjour, monsieur Molière.
MOLIÈRE.
Monsieur, votre serviteur. (A part.) La peste soit de l'homme!
LA THORILLIÈRE.
Comment vous en va[192]?
MOLIÈRE.
Fort bien, pour vous servir. (Aux actrices.) Mesdemoiselles, ne...
LA THORILLIÈRE.
Je viens d'un lieu où j'ai bien dit du bien de vous.
MOLIÈRE.
Je vous suis obligé. (A part.) Que le diable t'emporte! (Aux acteurs.) Ayez un peu de soin...
LA THORILLIÈRE.
Vous jouez une pièce nouvelle aujourd'hui?
MOLIÈRE.
Oui, monsieur. (Aux actrices.) N'oubliez pas...
LA THORILLIÈRE.
C'est le roi qui vous l'a fait faire?
MOLIÈRE.
Oui, monsieur. (Aux acteurs.) De grâce, songez...
LA THORILLIÈRE.
Comment l'appelez-vous?
MOLIÈRE.
Oui, monsieur.
LA THORILLIÈRE.
Je vous demande comment vous la nommez.
MOLIÈRE.
Ah! ma foi, je ne sais. (Aux actrices.) Il faut, s'il vous plaît, que vous...
LA THORILLIÈRE.
Comment serez-vous habillés?
MOLIÈRE.
Comme vous voyez. (Aux acteurs.) Je vous prie...
LA THORILLIÈRE.
Quand commencerez-vous?
MOLIÈRE.
Quand le roi sera venu. (A part.) Au diantre le questionneur!
LA THORILLIÈRE.
Quand croyez-vous qu'il vienne?
MOLIÈRE.
La peste m'étouffe, monsieur, si je le sais!
LA THORILLIÈRE.
Savez-vous point...
MOLIÈRE.
Tenez, monsieur, je suis le plus ignorant homme du monde. Je ne sais rien de tout ce que vous pourrez me demander, je vous jure. (A part.) J'enrage! Ce bourreau vient avec un air tranquille vous faire des questions, et ne se soucie pas qu'on ait en tête d'autres affaires.
LA THORILLIÈRE.
Mesdemoiselles, votre serviteur.
MOLIÈRE.
Ah! bon, le voilà d'un autre côté!
LA THORILLIÈRE, à mademoiselle de Croisy.
Vous voilà belle comme un petit ange. (En regardant mademoiselle Hervé.) Jouez-vous toutes deux aujourd'hui?
MADEMOISELLE DE CROISY.
Oui, monsieur.
LA THORILLIÈRE.
Sans vous, la comédie ne vaudroit pas grand'chose.
MOLIÈRE, bas aux actrices.
Vous ne voulez pas faire en aller cet homme-là?
MADEMOISELLE DEBRIE, à la Thorillière.
Monsieur, nous avons ici quelque chose à répéter ensemble.
LA THORILLIÈRE.
Ah! parbleu, je ne veux pas vous empêcher; vous n'avez qu'à poursuivre.
MADEMOISELLE DEBRIE.
Mais...
LA THORILLIÈRE.
Non, non, je serois fâché d'incommoder personne. Faites librement ce que vous avez à faire.
MADEMOISELLE DEBRIE.
Oui; mais...
LA THORILLIÈRE.
Je suis homme sans cérémonie, vous dis-je; et vous pouvez répéter ce qui vous plaira.
MOLIÈRE.
Monsieur, ces demoiselles ont peine à vous dire qu'elles souhaiteroient fort que personne ne fût ici pendant cette répétition.
LA THORILLIÈRE.
Pourquoi? il n'y a point de danger[193] pour moi.
MOLIÈRE.
Monsieur, c'est une coutume qu'elles observent, et vous aurez plus de plaisir quand les choses vous surprendront.
LA THORILLIÈRE.
Je m'en vais donc dire que vous êtes prêts.
MOLIÈRE.
Point du tout, monsieur; ne vous hâtez pas, de grâce!
SCÈNE III.—MOLIÈRE, BRÉCOURT, LA GRANGE, DU CROISY; MESDEMOISELLES DUPARC, BÉJART, DEBRIE, MOLIÈRE, DU CROISY, HERVÉ.
MOLIÈRE.
Ah! que le monde est plein d'impertinens! Or sus, commençons. Figurez-vous donc premièrement que la scène est 251 dans l'antichambre du roi; car c'est un lieu où il se passe tous les jours des choses assez plaisantes. Il est aisé de faire venir là toutes les personnes qu'on veut, et on peut trouver des raisons même pour y autoriser la venue des femmes que j'introduis. La comédie s'ouvre par deux marquis qui se rencontrent.
A la Grange.
Souvenez-vous bien, vous, de venir, comme je vous ai dit, là, avec cet air qu'on nomme le bel air, peignant votre perruque, et grondant une petite chanson entre vos dents. La, la, la, la, la, la. Rangez-vous donc, vous autres, car il faut du terrain à deux marquis; et ils ne sont pas gens à tenir leur personne dans un petit espace. (A la Grange.) Allons, parlez.
LA GRANGE.
«Bonjour, marquis.»
MOLIÈRE.
Mon Dieu! ce n'est point là le ton d'un marquis; il faut le prendre un peu plus haut; et la plupart de ces messieurs affectent une manière de parler particulière, pour se distinguer du commun: Bonjour, marquis. Recommencez donc.
LA GRANGE.
«Bonjour, marquis.
MOLIÈRE.
»Ah! marquis; ton serviteur.
LA GRANGE.
»Que fais-tu là?
MOLIÈRE.
»Parbleu! tu vois; j'attends que tous ces messieurs aient bouché la porte, pour présenter là mon visage.
LA GRANGE.
»Têtebleu! quelle foule! Je n'ai garde de m'y aller frotter, et j'aime bien mieux entrer des derniers.
MOLIÈRE.
»Il y a là vingt gens qui sont fort assurés de n'entrer point, et qui ne laissent pas de se presser et d'occuper toutes les avenues de la porte.
LA GRANGE.
»Crions nos deux noms à l'huissier, afin qu'il nous appelle.
MOLIÈRE.
»Cela est bon pour toi; mais, pour moi, je ne veux pas être joué par Molière.
LA GRANGE.
»Je pense pourtant, marquis, que c'est toi qu'il joue dans la Critique.
MOLIÈRE.
»Moi? Je suis ton valet; c'est toi-même en propre personne.
LA GRANGE.
»Ah! ma foi, tu es bon de m'appliquer ton personnage.
MOLIÈRE.
»Parbleu! je te trouve plaisant de me donner ce qui t'appartient.
LA GRANGE, riant.
»Ah! ah! ah! cela est drôle!
MOLIÈRE, riant.
»Ah! ah! ah! cela est bouffon!
LA GRANGE.
»Quoi! tu veux soutenir que ce n'est pas toi qu'on joue dans le marquis de la Critique?
MOLIÈRE.
»Il est vrai, c'est moi. Détestable, morbleu! détestable! tarte à la crème! C'est moi, c'est moi, assurément c'est moi.
LA GRANGE.
»Oui, parbleu! c'est toi, tu n'as que faire de railler; et, si tu veux, nous gagerons, et verrons qui a raison des deux.
MOLIÈRE.
»Et que veux-tu gager encore?
LA GRANGE.
»Je gage cent pistoles que c'est toi.
MOLIÈRE.
»Et moi, cent pistoles que c'est toi.
LA GRANGE.
»Cent pistoles comptant?
MOLIÈRE.
»Comptant. Quatre-vingt-dix pistoles sur Amyntas,[194] et dix pistoles comptant.
LA GRANGE.
»Je le veux.
MOLIÈRE.
»Cela est fait.
LA GRANGE.
»Ton argent court grand risque.
MOLIÈRE.
»Le tien est bien aventuré.
LA GRANGE.
»A qui nous en rapporter?
MOLIÈRE.
»Voici un homme qui nous jugera. (A Brécourt.) Chevalier...
BRÉCOURT.
»Quoi?»
MOLIÈRE.
Bon! voilà l'autre qui prend le ton de marquis! vous ai-je pas dit que vous faites un rôle où l'on doit parler naturellement?
BRÉCOURT.
Il est vrai.
MOLIÈRE.
Allons donc. «Chevalier...
BRÉCOURT.
»Quoi?
MOLIÈRE.
»Juge-nous un peu sur une gageure que nous avons faite.
BRÉCOURT.
»Et quelle?
MOLIÈRE.
»Nous disputons qui est le marquis de la Critique de Molière; il gage que c'est moi, et moi je gage que c'est lui.
BRÉCOURT.
»Et moi, je juge que ce n'est ni l'un ni l'autre. Vous êtes fous tous deux de vouloir vous appliquer ces sortes de choses; et voilà de quoi j'ouïs l'autre jour se plaindre Molière, parlant à des personnes qui le chargeoient de même chose que vous. Il disoit que rien ne lui donnoit du déplaisir comme d'être accusé de regarder quelqu'un dans les portraits qu'il fait; que son dessein est de peindre les mœurs sans vouloir toucher aux personnes, et que tous les personnages qu'il représente sont des personnages en l'air, et des fantômes proprement[195], qu'il habille à sa fantaisie, pour réjouir les spectateurs; qu'il seroit bien fâché d'y avoir jamais marqué qui que ce soit; et que, si quelque chose étoit capable de le dégoûter de faire des comédies, c'étoient les ressemblances qu'on y vouloit toujours trouver, et dont ses ennemis tâchoient malicieusement d'appuyer la pensée, pour lui rendre de mauvais offices auprès de certaines personnes à qui il n'a jamais pensé. Et, en effet, je trouve qu'il a raison: car pourquoi vouloir, je vous prie, appliquer tous ses gestes et toutes ses paroles, et chercher à lui faire des affaires en disant hautement: Il joue un tel, lorsque ce sont des choses qui peuvent convenir à cent personnes? Comme l'affaire de la comédie est de représenter en général tous les défauts des hommes, et principalement des hommes de notre siècle, il est impossible à Molière de faire aucun caractère qui ne rencontre quelqu'un dans le monde; et, s'il faut qu'on l'accuse d'avoir songé toutes les personnes où l'on peut trouver les défauts qu'il peint, il faut, sans doute, qu'il ne fasse plus de comédies.
MOLIÈRE.
»Ma foi, chevalier, tu veux justifier Molière, et épargner notre ami que voilà.
LA GRANGE.
»Point du tout. C'est toi qu'il épargne; et nous trouverons d'autres juges.
MOLIÈRE.
»Soit. Mais, dis-moi chevalier, crois-tu que ton Molière est épuisé maintenant, et qu'il ne trouvera plus de matière pour...
BRÉCOURT.
»Plus de matière? Eh! mon pauvre marquis, nous lui en fournirons toujours assez; et nous ne prenons guère le chemin de nous rendre sages pour[196] tout ce qu'il fait et tout ce qu'il dit.»
MOLIÈRE.
Attendez, il faut marquer davantage tout cet endroit. Écoutez-le dire un peu. «Et qu'il ne trouvera plus de matière pour...—plus de matière? Eh! mon pauvre marquis, nous lui en fournirons toujours assez, et nous ne prenons guère le chemin de nous rendre sages pour tout ce qu'il fait et tout ce qu'il dit. Crois-tu qu'il ait épuisé dans ses comédies tout le ridicule des hommes? Et, sans sortir de la cour, n'a-t-il pas encore vingt caractères de gens où il n'a point touché? N'a-t-il pas, par exemple, ceux qui se font les plus grandes amitiés du monde, et, qui le dos tourné, font galanterie de se déchirer l'un l'autre? N'a-t-il pas ces adulateurs à outrance, ces flatteurs insipides, qui n'assaisonnent d'aucun sel les louanges qu'ils donnent, et dont toutes les flatteries ont une douceur fade qui fait mal au cœur à ceux qui les écoutent? N'a-t-il pas ces lâches courtisans de la faveur, ces perfides adorateurs de la fortune, qui vous encensent dans la prospérité, et vous accablent dans la disgrâce? N'a-t-il pas ceux qui sont toujours mécontens de la cour, ces suivans inutiles, ces incommodes assidus, ces gens, dis-je, qui, pour services, ne peuvent compter que des importunités, et qui veulent que l'on les récompense d'avoir obsédé le prince dix ans durant? N'a-t-il pas ceux qui caressent également tout le monde, qui promènent leurs civilités à droite et à gauche, et courent à tous ceux qu'ils voient avec les mêmes embrassades et les mêmes protestations d'amitié?—Monsieur, votre très-humble serviteur. Monsieur, 256 je suis tout à votre service. Tenez-moi des vôtres, mon cher. Faites état de moi, monsieur, comme du plus chaud de vos amis. Monsieur, je suis ravi de vous embrasser. Ah! monsieur, je ne vous voyois pas! Faites-moi la grâce de m'employer. Soyez persuadé que je suis entièrement à vous. Vous êtes l'homme du monde que je révère le plus. Il n'y a personne que j'honore à l'égal de vous. Je vous conjure de le croire. Je vous supplie de n'en point douter. Serviteur. Très-humble valet.—Va, va, marquis, Molière aura toujours plus de sujets qu'il n'en voudra; et tout ce qu'il a touché jusqu'ici n'est rien que bagatelle au prix de ce qui reste.» Voilà à peu près comme cela doit être joué.
BRÉCOURT.
C'est assez.
MOLIÈRE.
Poursuivez.
BRÉCOURT.
«Voici Climène et Élise.»
MOLIÈRE, à mesdemoiselles Duparc et Molière.
Là-dessus vous arriverez toutes deux. (A mademoiselle Duparc.) Prenez bien garde, vous, à vous déhancher comme il faut et à faire bien des façons. Cela vous contraindra un peu; mais qu'y faire? Il faut parfois se faire violence.
MADEMOISELLE MOLIÈRE.
«Certes, madame, je vous ai reconnue de loin, et j'ai bien vu à votre air que ce ne pouvoit être une autre que vous.
MADEMOISELLE DUPARC.
»Vous voyez. Je viens attendre ici la sortie d'un homme avec qui j'ai une affaire à démêler.
MADEMOISELLE MOLIÈRE.
»Et moi de même.»
MOLIÈRE.
Mesdames, voilà des coffres qui vous serviront de fauteuils.
MADEMOISELLE DUPARC.
«Allons, madame, prenez place, s'il vous plaît.
MADEMOISELLE MOLIÈRE.
»Après vous madame.»
MOLIÈRE.
Bon. Après ces petites cérémonies muettes, chacun prendra et parlera assis, hors les marquis, qui tantôt se lèveront, et tantôt s'assoiront, suivant leur inquiétude naturelle. «Parbleu! chevalier, tu devrois faire prendre médecine à tes canons.
BRÉCOURT.
»Comment?
MOLIÈRE.
»Ils se portent fort mal.
BRÉCOURT.
»Serviteur à la turlupinade!
MADEMOISELLE MOLIÈRE.
»Mon Dieu! madame, que je vous trouve le teint d'une blancheur éblouissante, et les lèvres d'une couleur de feu surprenante!
MADEMOISELLE DUPARC.
»Ah! que dites-vous là, madame? Ne me regardez point, je suis du dernier laid aujourd'hui.
MADEMOISELLE MOLIÈRE.
»Eh! madame, levez un peu votre coiffe.
MADEMOISELLE DUPARC.
»Fi! je suis épouvantable, vous dis-je, et je me fais peur à moi-même.
MADEMOISELLE MOLIÈRE.
»Vous êtes si belle!
MADEMOISELLE DUPARC.
»Point, point.
MADEMOISELLE MOLIÈRE.
»Montrez-vous.
MADEMOISELLE DUPARC.
»Ah! fi donc! je vous prie.
MADEMOISELLE MOLIÈRE.
»De grâce!
MADEMOISELLE DUPARC.
»Mon Dieu, non.
MADEMOISELLE MOLIÈRE.
»Si fait.
MADEMOISELLE DUPARC.
»Vous me désespérez.
MADEMOISELLE MOLIÈRE.
»Un moment.
MADEMOISELLE DUPARC.
»Hai!
MADEMOISELLE MOLIÈRE.
»Résolûment, vous vous montrerez. On ne peut point se passer de vous voir.
MADEMOISELLE DUPARC.
»Mon Dieu, que vous êtes une étrange personne! vous voulez furieusement ce que vous voulez.
MADEMOISELLE MOLIÈRE.
»Ah! madame, vous n'avez aucun désavantage à paroître au grand jour, je vous jure! Les méchantes gens, qui assuroient que vous mettiez quelque chose[197]! Vraiment, je les démentirai bien maintenant.
MADEMOISELLE DUPARC.
»Hélas! je ne sais pas seulement ce qu'on appelle mettre quelque chose. Mais où vont ces dames?
MADEMOISELLE DEBRIE.
»Vous voulez bien, mesdames, que nous vous donnions en passant la plus agréable nouvelle du monde? Voilà M. Lysidas qui vient de nous avertir qu'on a fait une pièce contre Molière, que les grands comédiens vont jouer.
MOLIÈRE.
»Il est vrai, on me l'a voulu lire; et c'est un nommé Br... Brou... Brossaut qui l'a faite.
DU CROISY.
»Monsieur, elle est affichée sous le nom de Boursault. Mais, à vous dire le secret, bien des gens ont mis la main à cet ouvrage, et l'on en doit concevoir une assez haute attente. Comme tous les auteurs et tous les comédiens regardent Molière comme leur plus grand ennemi, nous nous sommes tous unis pour le desservir. Chacun de nous a donné un coup de pinceau à son portrait; mais nous nous sommes bien gardés d'y mettre nos noms; il lui auroit été trop glorieux de succomber, aux yeux du monde, sous les efforts de tout le Parnasse; et, pour rendre sa défaite 259 plus ignominieuse, nous avons voulu choisir tout exprès un auteur sans réputation.
MADEMOISELLE DUPARC.
»Pour moi, je vous avoue que j'en ai toutes les joies imaginables.
MOLIÈRE.
»Et moi aussi. Par la sambleu! le railleur sera raillé; il aura sur les doigts, ma foi!
MADEMOISELLE DUPARC.
»Cela lui apprendra à vouloir satiriser tout. Comment! cet impertinent ne veut pas que les femmes aient de l'esprit! Il condamne toutes nos expressions élevées, et prétend que nous parlions toujours terre à terre!
MADEMOISELLE DEBRIE.
»Le langage n'est rien; mais il censure tous nos attachemens, quelque innocens qu'ils puissent être; et, de la façon qu'il en parle, c'est être criminelle que d'avoir du mérite.
MADEMOISELLE DU CROISY.
»Cela est insupportable. Il n'y a pas une femme qui puisse plus rien faire. Que ne laisse-t-il en repos nos maris, sans leur ouvrir les yeux, et leur faire prendre garde à des choses dont ils ne s'avisent pas?
MADEMOISELLE BÉJART.
»Passe pour tout cela; mais il satirise même les femmes de bien, et ce méchant plaisant leur donne le titre d'honnêtes diablesses.
MADEMOISELLE MOLIÈRE.
»C'est un impertinent. Il faut qu'il en ait tout le soûl.
DU CROISY.
»La représentation de cette comédie, madame, aura besoin d'être appuyée; et les comédiens de l'hôtel...
MADEMOISELLE DUPARC.
»Mon Dieu! qu'ils n'appréhendent rien. Je leur garantis le succès de leur pièce, corps pour corps.
MADEMOISELLE MOLIÈRE
»Vous avez raison, madame. Trop de gens sont intéressés à la trouver belle. Je vous laisse à penser si tout ceux qui se croient satirisés par Molière ne prendront pas l'occasion 260 de se venger de lui en applaudissant à cette comédie.
BRÉCOURT, ironiquement.
»Sans doute; et pour moi je réponds de douze marquis, de six précieuses, de vingt coquettes et de trente cocus, qui ne manqueront pas d'y battre les mains.
MADEMOISELLE MOLIÈRE.
»En effet. Pourquoi aller offenser toutes ces personnes-là, et particulièrement les cocus, qui sont les meilleures gens du monde?
MOLIÈRE.
»Par la sambleu! on m'a dit qu'on le va dauber, lui et toutes ses comédies, de la belle manière; et que les comédiens et les auteurs, depuis le cèdre jusqu'à l'hysope, sont diablement animés contre lui.
MADEMOISELLE MOLIÈRE.
»Cela lui sied fort bien. Pourquoi fait-il de méchantes pièces que tout Paris va voir, et où il peint si bien les gens, que chacun s'y connoît? Que ne fait-il des comédies comme celles de M. Lysidas? il n'auroit personne contre lui, et tous les auteurs en diroient du bien. Il est vrai que de semblables comédies n'ont pas ce grand concours de monde; mais, en revanche, elles sont toujours bien écrites, personne n'écrit contre elles, et tous ceux qui les voient meurent d'envie de les trouver belles.
DU CROISY.
»Il est vrai que j'ai l'avantage de ne point faire d'ennemis, et que tous mes ouvrages ont l'approbation des savans.
MADEMOISELLE MOLIÈRE.
»Vous faites bien d'être content de vous. Cela vaut mieux que tous les applaudissements du public, et que tout l'argent qu'on sauroit gagner aux pièces de Molière. Que vous importe qu'il vienne du monde à vos comédies, pourvu qu'elles soient approuvées par messieurs vos confrères?
LA GRANGE.
»Mais quand jouera-t-on le Portrait du Peintre?
DU CROISY.
»Je ne sais; mais je me prépare fort à paroître des premiers sur les rangs, pour crier: Voilà qui est beau!
MOLIÈRE.
»Et moi de même, parbleu!
LA GRANGE.
»Et moi aussi, Dieu me sauve!
MADEMOISELLE DUPARC.
»Pour moi, j'y payerai de ma personne comme il faut; et je réponds d'une bravoure d'approbation qui mettra en déroute tous les jugemens ennemis. C'est bien la moindre chose que nous devions faire, que d'épauler de nos louanges le vengeur de nos intérêts!
MADEMOISELLE MOLIÈRE.
»C'est fort bien dit.
MADEMOISELLE DEBRIE.
»Et ce qu'il nous faut faire toutes.
MADEMOISELLE BÉJART.
»Assurément.
MADEMOISELLE DU CROISY.
»Sans doute.
MADEMOISELLE HERVÉ.
»Point de quartier à ce contrefaiseur de gens.
MOLIÈRE.
»Ma foi, chevalier, mon ami, il faudra que ton Molière se cache.
BRÉCOURT.
»Qui? lui! Je te promets, marquis, qu'il fait dessein d'aller sur le théâtre rire, avec tous les autres, du portrait qu'on a fait de lui.
MOLIÈRE.
»Parbleu! ce sera donc du bout des dents qu'il rira.
BRÉCOURT.
»Va, va, peut-être qu'il y trouvera plus de sujets de rire que tu ne penses. On m'a montré la pièce; et comme tout ce qu'il y a d'agréable sont[198] effectivement les idées qui ont été prises de Molière, la joie que cela pourra donner n'aura pas lieu de lui déplaire, sans doute; car, pour l'endroit où l'on s'efforce de le noircir, je suis le plus trompé du monde si cela est approuvé de personne; et, quant à tous les gens 262 qu'ils ont tâché d'animer contre lui, sur ce qu'il fait, dit-on, des portraits trop ressemblans, outre que cela est de fort mauvaise grâce, je ne vois rien de plus ridicule et de plus mal repris; et je n'avois pas cru jusqu'ici que ce fût un sujet de blâme pour un comédien que de peindre trop bien les hommes.
LA GRANGE.
»Les comédiens m'ont dit qu'ils l'attendoient sur la réponse, et que...
BRÉCOURT.
»Sur la réponse? ma foi, je le trouverois un grand fou s'il se mettoit en peine de répondre à leurs invectives. Tout le monde sait assez de quel motif elles peuvent partir, et la meilleure réponse qu'il leur puisse faire, c'est une comédie qui réussisse comme toutes ses autres. Voilà le vrai moyen de se venger d'eux comme il faut; et, de l'humeur dont je le connois, je suis fort assuré qu'une pièce nouvelle qui leur enlèvera le monde les fâchera bien plus que toutes les satires qu'on pourroit faire de leurs personnes.
MOLIÈRE.
»Mais chevalier...»
MADEMOISELLE BÉJART.
Souffrez que j'interrompe pour un peu la répétition. (A Molière.) Voulez-vous que je vous dise? Si j'avois été en votre place, j'aurois poussé les choses autrement. Tout le monde attend de vous une réponse vigoureuse; et, après la manière dont on m'a dit que vous étiez traité dans cette comédie, vous étiez en droit de tout dire contre les comédiens, et vous devriez n'en épargner aucun.
MOLIÈRE.
J'enrage de vous ouïr parler de la sorte, et voilà votre manie, à vous autres femmes. Vous voudriez que je prisse feu d'abord contre eux, et qu'à leur exemple, j'allasse éclater promptement en invectives et en injures. Le bel honneur que j'en pourrois tirer, et le grand dépit que je leur ferois! Ne se sont-ils pas préparés de bonne volonté à ces sortes de choses? et lorsqu'ils ont délibéré s'ils joueroient le Portrait du Peintre, sur la crainte d'une riposte, quelques-uns d'entre eux n'ont-ils pas répondu: «Qu'il nous rende toutes les 263 injures qu'il voudra, pourvu que nous gagnions de l'argent?» N'est-ce pas là la marque d'une âme fort sensible à la honte? et ne me vengerois-je pas bien d'eux, en leur donnant ce qu'ils veulent bien recevoir?
MADEMOISELLE DEBRIE.
Ils se sont fort plaints, toutefois, de trois ou quatre mots que vous avez dits d'eux dans la Critique et dans vos Précieuses.
MOLIÈRE.
Il est vrai, ces trois ou quatre mots sont fort offensans, et ils ont grande raison de les citer. Allez, allez, ce n'est pas cela: le plus grand mal que je leur ai fait, c'est que j'ai eu le bonheur de plaire un peu plus qu'ils n'auroient voulu; et tout leur procédé, depuis que nous sommes venus à Paris, a trop marqué ce qui les touche. Mais laissons-les faire tant qu'ils voudront; toutes leurs entreprises ne doivent point m'inquiéter. Ils critiquent mes pièces, tant mieux; et Dieu me garde d'en faire jamais qui leur plaisent; ce seroit une mauvaise affaire pour moi.
MADEMOISELLE DEBRIE.
Il n'y a pas grand plaisir pourtant à voir déchirer ses ouvrages.
MOLIÈRE.
Et qu'est-ce que cela me fait? N'ai-je pas obtenu de ma comédie tout ce que j'en voulois obtenir, puisqu'elle a eu le bonheur d'agréer aux augustes personnes à qui particulièrement je m'efforce de plaire? N'ai-je pas lieu d'être satisfait de sa destinée, et toutes leurs censures ne viennent-elles pas trop tard? Est-ce moi, je vous prie, que cela regarde maintenant? et, lorsqu'on attaque une pièce qui a eu du succès, n'est-ce pas attaquer plutôt le jugement de ceux qui l'ont approuvée que l'art de celui qui l'a faite?
MADEMOISELLE DEBRIE.
Ma foi, j'aurois joué ce petit monsieur l'auteur, qui se mêle d'écrire contre des gens qui ne songent pas à lui.
MOLIÈRE.
Vous êtes folle. Le beau sujet à divertir la cour, que M. Boursault! Je voudrois bien savoir de quelle façon on pourroit l'ajuster pour le rendre plaisant; et si, quand on le 264 berneroit sur un théâtre, il seroit assez heureux pour faire rire le monde. Ce lui seroit trop d'honneur que d'être joué devant une auguste assemblée; il ne demanderoit pas mieux, et il m'attaque de gaieté de cœur pour se faire connoître, de quelque façon que ce soit. C'est un homme qui n'a rien à perdre, et les comédiens ne me l'ont déchaîné que pour m'engager à une sotte guerre, et me détourner, par cet artifice, des autres ouvrages que j'ai à faire; et cependant vous êtes assez simples pour donner toutes dans ce panneau. Mais enfin, j'en ferai ma déclaration publiquement. Je ne prétends faire aucune réponse à toutes leurs critiques et leurs contre-critiques. Qu'ils disent tous les maux du monde de mes pièces, j'en suis d'accord. Qu'ils s'en saisissent après nous; qu'ils les retournent comme un habit pour les mettre sur leur théâtre, et tâchent à profiter de quelque agrément qu'on y trouve et d'un peu de bonheur que j'ai, j'y consens, ils en ont besoin; et je serai bien aise de contribuer à les faire subsister, pourvu qu'ils se contentent de ce que je puis leur accorder avec bienséance. La courtoisie doit avoir des bornes; et il y a des choses qui ne font rire ni les spectateurs, ni celui dont on parle. Je leur abandonne de bon cœur mes ouvrages, ma figure, mes gestes, mes paroles, mon ton de voix et ma façon de réciter pour en faire et dire tout ce qu'il leur plaira, s'ils en peuvent tirer quelque avantage. Je ne m'oppose point à toutes ces choses, et je serai ravi que cela puisse réjouir le monde; mais, en leur abandonnant tout cela, ils me doivent faire la grâce de me laisser le reste, et de ne point toucher à des matières de la nature de celles sur lesquelles on m'a dit qu'ils m'attaquoient dans leurs comédies. C'est de quoi je prierai civilement cet honnête monsieur qui se mêle d'écrire pour eux, et voilà toute la réponse qu'ils auront de moi.
MADEMOISELLE BÉJART.
Mais enfin...
MOLIÈRE.
Mais enfin, vous me feriez devenir fou. Ne parlons point de cela davantage; nous nous amusons à faire des discours au lieu de répéter notre comédie. Où en étions-nous? Je ne m'en souviens plus.
MADEMOISELLE DEBRIE.
Vous en étiez à l'endroit...
MOLIÈRE.
Mon Dieu! j'entends du bruit; c'est le roi qui arrive, assurément; et je vois bien que nous n'aurons pas le temps de passer outre. Voilà ce que c'est de s'amuser! Oh! bien, faites donc, pour le reste, du mieux qu'il vous sera possible.
MADEMOISELLE BÉJART.
Par ma foi, la frayeur me prend; et je ne saurois aller jouer mon rôle, si je ne le répète tout entier.
MOLIÈRE.
Comment! vous ne sauriez aller jouer votre rôle?
MADEMOISELLE BÉJART.
Non.
MADEMOISELLE DUPARC.
Ni moi, le mien.
MADEMOISELLE DEBRIE.
Ni moi non plus.
MADEMOISELLE MOLIÈRE.
Ni moi.
MADEMOISELLE HERVÉ.
Ni moi.
MADEMOISELLE DU CROISY.
Ni moi.
MOLIÈRE.
Que pensez-vous donc faire? Vous moquez-vous toutes de moi?
SCÈNE IV.—BÉJART, MOLIÈRE, LA GRANGE, DU CROISY, MESDEMOISELLES DUPARC, BÉJART, DEBRIE, MOLIÈRE, DU CROISY, HERVÉ.
BÉJART.
Messieurs, je viens vous avertir que le roi est venu, et qu'il attend que vous commenciez.
MOLIÈRE.
Ah! monsieur, vous me voyez dans la plus grande peine du monde; je suis désespéré à l'heure que je vous parle! Voici des femmes qui s'effrayent et qui disent qu'il leur faut 266 répéter leurs rôles avant que d'aller commencer. Nous demandons, de grâce, encore un moment. Le roi a de la bonté, et il sait que la chose a été précipitée.
SCÈNE V.—MOLIÈRE, LA GRANGE, DU CROISY, MESDEMOISELLES DU PARC, BÉJART, DEBRIE, MOLIÈRE, DU CROISY, HERVÉ.
MOLIÈRE.
Eh! de grâce, tâchez de vous remettre; prenez courage, je vous prie.
MADEMOISELLE DUPARC.
Vous devez vous aller excuser.
MOLIÈRE.
Comment m'excuser?
SCÈNE VI.—MOLIÈRE, LA GRANGE, DU CROISY, MESDEMOISELLES DUPARC, BÉJART, DEBRIE, MOLIÈRE, DU CROISY, HERVÉ, UN NÉCESSAIRE[199].
LE NÉCESSAIRE.
Messieurs, commencez donc.
MOLIÈRE.
Tout à l'heure, monsieur. Je crois que je perdrai l'esprit de cette affaire-ci, et...
SCÈNE VII.—MOLIÈRE, LA GRANGE, DU CROISY, MESDEMOISELLES DUPARC, BÉJART, DEBRIE, MOLIÈRE, DU CROISY, HERVÉ, UN NÉCESSAIRE, UN SECOND NÉCESSAIRE.
LE SECOND NÉCESSAIRE.
Messieurs, commencez donc.
MOLIÈRE.
Dans un moment, monsieur. (A ses camarades.) Eh quoi donc! voulez-vous que j'aie l'affront?
SCÈNE VIII.—MOLIÈRE, LA GRANGE, DU CROISY, MESDEMOISELLES DUPARC, BÉJART, DEBRIE, MOLIÈRE, DU CROISY, HERVÉ, UN NÉCESSAIRE, UN SECOND NÉCESSAIRE, UN TROISIÈME NÉCESSAIRE.
LE TROISIÈME NÉCESSAIRE.
Messieurs, commencez donc.
MOLIÈRE.
Oui, monsieur, nous y allons. Eh! que de gens se font de fête et viennent dire: Commencez donc, à qui le roi ne l'a pas commandé!
SCÈNE IX.—MOLIÈRE, LA GRANGE, DU CROISY, MESDEMOISELLES DUPARC, BÉJART, DEBRIE, MOLIÈRE, DU CROISY, HERVÉ, UN NÉCESSAIRE, UN SECOND NÉCESSAIRE, UN TROISIÈME NÉCESSAIRE, UN QUATRIÈME NÉCESSAIRE.
LE QUATRIÈME NÉCESSAIRE.
Messieurs, commencez donc.
MOLIÈRE.
Voilà qui est fait, monsieur. (A ses camarades.) Quoi donc! recevrai-je la confusion...
SCÈNE X.—BÉJART, MOLIÈRE, LA GRANGE, DU CROISY, MESDEMOISELLES DUPARC, BÉJART, DEBRIE, MOLIÈRE, DU CROISY, HERVÉ.
MOLIÈRE.
Monsieur, vous venez pour nous dire de commencer, mais...
BÉJART.
Non, messieurs; je viens pour vous dire qu'on a dit au roi l'embarras où vous vous trouviez, et que, par une bonté toute particulière, il remet votre nouvelle comédie à une autre fois, et se contente, pour aujourd'hui, de la première que vous pourrez donner.
MOLIÈRE.
Ah! monsieur, vous me redonnez la vie! Le roi nous fait la plus grande grâce du monde de nous donner du temps pour ce qu'il avoit souhaité, et nous allons tous le remercier des extrêmes bontés qu'il nous fait paroître.
FIN DE L'IMPROMPTU DE VERSAILLES.
REPRÉSENTÉE AU LOUVRE LES 29 ET 31 JANVIER 1664, ET SUR LE THÉATRE DU PALAIS-ROYAL, LE 15 FÉVRIER SUIVANT.
Molière est devenu le maître des cérémonies comiques de Louis XIV. Dès que le roi veut amuser sa cour, c'est à Molière qu'il s'adresse; à peine lui laisse-t-il le temps de créer des personnages, de tracer des caractères, d'inventer une action. Il faut des danses, une comédie, de la musique, et que tout sorte de terre, improvisé pour ainsi dire. Bien en prenait à Molière, qui avait alors quarante-deux ans, d'avoir vécu dans l'observation et l'étude attentive du monde et des hommes, de se trouver maître absolu d'une troupe excellente, et d'être placé sous la protection immédiate et vigilante du monarque; il n'aurait pu, dans des conditions différentes, accomplir les tours de force qui lui étaient imposés.
Vers la fin de 1663, Louis XIV, devenu l'idole de sa cour et surtout des femmes, voulut danser un pas de ballet avec ses seigneurs, et, sans s'inquiéter du reste, il ordonna à Molière d'improviser un ballet. Molière obéit. Le 29 janvier 1664, le Ballet du roi, en trois actes, fut exécuté sur le théâtre de la cour, au Louvre.
C'est celui que nous donnons plus bas, et qui, divisé en trois actes, permit au roi, sous le costume d'un Égyptien, de déployer, devant la cour et mademoiselle de la Vallière elle-même, les grâces de son élégance naturelle. La célèbre Bergerotta, la première cantatrice de l'époque, chanta des couplets espagnols en partie avec quatre 270 autres concertans espagnols et italiens; et un petit grotesque italien, Lulli, qui devait parcourir une si éclatante carrière, parut à la tête d'une bande joyeuse et d'un burlesque charivari.
Quand il fallut extraire, au bénéfice du public, une comédie de ce ballet, Molière supprima la division des actes, la danse, les chants, tout l'appareil pittoresque, et fit du Ballet du roi le Mariage forcé tel que nous le possédons aujourd'hui. Il y reste encore des traces de la première conception de l'auteur. C'est une esquisse italienne des plus vives et des plus colorées; les Égyptiens qui dansent contrastent vivement avec les figures aristotéliques de Marphurius et de Pancrace, et le sentiment de l'harmonie, que Molière possédait au plus haut degré, accorde dans un fantasque ensemble le caprice de Callot, la satire de Rabelais et la verve des bouffons.
Non que Molière cesse d'être philosophe. C'est toujours la sévérité doctorale du vieux monde que Molière poursuit de son ironie et de son mépris; c'est le fanatisme pédantesque dictant l'arrêt de mort prononcé en 1624 par le parlement de Paris contre les ennemis d'Aristote; ce sont les retardataires de l'Université et de la Sorbonne; c'est Marphurius qui doute de tout, c'est Pancrace qui dogmatise sur tout. Molière va rechercher dans la Jalousie du Barbouillé les vieilles armes qu'il a fourbies contre eux dans sa première jeunesse. Il attaque aussi, comme il l'a déjà fait, l'inégalité des âges dans l'union conjugale, les vieillards qui veulent pour femmes des jeunes filles, la contrainte imposée aux penchants naturels, l'esclavage des femmes et la servitude en général. Il ne ménage pas davantage la colère hargneuse des savants, le pédantisme ridicule, l'inhabileté aux choses de la vie, la morale ignoble qui se fait des vertus de ses cupidités, ou la sensualité décrépite de ce bourgeois qui veut avoir des petits sortis de lui. Il signale, avec une liberté gauloise empruntée à Rabelais, les terribles résultats de cette servitude de la femme dans sa jeunesse; le père qui se débarrasse de sa fille au moyen d'une dot, la fille qui se débarrasse de son père et de son esclavage au moyen d'un mari.
Voltaire a tort de critiquer la bouffonnerie excessive de cette œuvre, qui n'est autre chose que la continuation philosophique des idées de Molière. Il a puisé çà et là dans les faits contemporains des souvenirs et des motifs dont il a disposé selon son génie. Il s'est souvenu des frères Hamilton, poursuivant de Londres à Douvres le comte de Grammont et lui criant de loin:
«—N'avez-vous rien oublié à Londres?
»—Pardonnez-moi, j'ai oublié d'épouser votre sœur, et j'y retourne.»
Un certain marquis de la Trousse, qui ne souffrait pas d'être regardé de travers, et qui, avant de tuer son homme, l'accablait de politesses; enfin les nouveaux efforts des vieux docteurs pour écraser judiciairement la philosophie de Descartes, étaient présents à l'esprit de Molière, qui, chaque jour plus puissant, devenait pour eux plus cruel et plus terrible.
Armande ne joua point dans cet impromptu, où mademoiselle Duparc, objet ravissant et de belle taille, dit Loret,
Le succès du ballet fut ratifié, le 15 février suivant, par le Bourgeois, comme s'exprime encore Loret, et la faveur dont jouissait Molière à la cour s'accrut encore de son succès populaire.
PERSONNAGES | ACTEURS | ||
SGANARELLE. | Molière. | ||
GÉRONIMO. | la Thorillière. | ||
DORIMÈNE, jeune coquette, promise à Sganarelle. | Mlle Duparc. | ||
ALCANTOR, père de Dorimène. | Béjart. | ||
ALCIDAS, frère de Dorimène. | La Grange. | ||
LYCASTE, amant de Dorimène. | |||
PANCRACE, docteur aristotélicien. | Brécourt. | ||
MARPHURIUS, docteur pyrrhonien. | Du Croisy. | ||
Deux Égyptiennes. | { | Mlle Béjart. | |
Mlle Debrie. | |||
La scène est sur une place publique. |
SCÈNE I.—SGANARELLE, parlant à ceux qui sont dans sa maison.
Je suis de retour dans un moment. Que l'on ait bien soin du logis, et que tout aille comme il faut. Si l'on m'apporte de l'argent, que l'on me vienne querir vite chez le seigneur Géronimo: et, si l'on vient m'en demander, qu'on dise que je suis sorti, et que je ne dois revenir de toute la journée.
SCÈNE II.—SGANARELLE, GÉRONIMO.
GÉRONIMO, ayant entendu les dernières paroles de Sganarelle.
Voilà un ordre fort prudent.
SGANARELLE.
Ah! seigneur Géronimo, je vous trouve à propos, et j'allois chez vous vous chercher.
GÉRONIMO.
Et pour quel sujet, s'il vous plaît?
SGANARELLE.
Pour vous communiquer une affaire que j'ai en tête, et vous prier de m'en dire votre avis.
GÉRONIMO.
Très-volontiers. Je suis bien aise de cette rencontre, et nous pouvons parler ici en toute liberté.
SGANARELLE.
Mettez donc dessus[200], s'il vous plaît. Il s'agit d'une chose de conséquence, que l'on m'a proposé; et il est bon de ne rien faire sans le conseil de ses amis.
GÉRONIMO.
Je vous suis obligé de m'avoir choisi pour cela. Vous n'avez qu'à me dire ce que c'est.
SGANARELLE.
Mais, auparavant, je vous conjure de ne me point flatter du tout, et de me dire nettement votre pensée.
GÉRONIMO.
Je le ferai, puisque vous le voulez.
SGANARELLE.
Je ne vois rien de plus condamnable qu'un ami qui ne nous parle pas franchement.
GÉRONIMO.
Vous avez raison.
SGANARELLE.
Et, dans ce siècle, on trouve peu d'amis sincères.
GÉRONIMO.
Cela est vrai.
SGANARELLE.
Promettez-moi donc, seigneur Géronimo, de me parler avec toute sorte de franchise.
GÉRONIMO.
Je vous le promets.
SGANARELLE.
Jurez-en votre foi.
GÉRONIMO.
Oui, foi d'ami. Dites-moi seulement votre affaire.
SGANARELLE.
C'est que je veux savoir de vous si je ferai bien de me marier.
GÉRONIMO.
Qui? vous!
SGANARELLE.
Oui, moi-même, en propre personne. Quel est votre avis là-dessus?
GÉRONIMO.
Je vous prie auparavant de me dire une chose.
SGANARELLE.
Et quoi?
GÉRONIMO.
Quel âge pouvez-vous bien avoir maintenant?
SGANARELLE.
Moi?
GÉRONIMO.
Oui.
SGANARELLE.
Ma foi, je ne sais; mais je me porte bien.
GÉRONIMO.
Quoi! vous ne savez pas à peu près votre âge?
SGANARELLE.
Non: est-ce qu'on songe à cela?
GÉRONIMO.
Eh! dites-moi un peu, s'il vous plaît: combien aviez-vous d'années lorsque nous fîmes connoissance?
SGANARELLE.
Ma foi, je n'avois que vingt ans alors.
GÉRONIMO.
Combien fûmes-nous ensemble à Rome!
SGANARELLE.
Huit ans.
GÉRONIMO.
Quel temps avez-vous demeuré en Angleterre?
SGANARELLE.
Sept ans.
GÉRONIMO.
Et en Hollande, où vous fûtes ensuite?
SGANARELLE.
Cinq ans et demi.
GÉRONIMO.
Combien y a-t-il que vous êtes revenu ici?
SGANARELLE.
Je revins en cinquante-six.
GÉRONIMO.
De cinquante-six à soixante-huit, il y a douze ans, ce me 275 semble. Cinq ans en Hollande font dix-sept, sept ans en Angleterre font vingt-quatre, huit dans notre séjour à Rome font trente-deux, et vingt que vous aviez lorsque nous nous connûmes, cela fait justement cinquante-deux. Si bien, seigneur Sganarelle, que, sur votre propre confession, vous êtes environ à votre cinquante-deuxième ou cinquante-troisième année.
SGANARELLE.
Qui? moi! cela ne se peut pas.
GÉRONIMO.
Mon Dieu! le calcul est juste; et là-dessus je vous dirai franchement et en ami, comme vous m'avez fait promettre de vous parler, que le mariage n'est guère votre fait. C'est une chose à laquelle il faut que les jeunes gens pensent bien mûrement avant que de la faire; mais les gens de votre âge n'y doivent point penser du tout; et, si l'on dit que la plus grande de toutes les folies est celle de se marier, je ne vois rien de plus mal à propos que de la faire, cette folie, dans la saison où nous devons être plus sages. Enfin, je vous en dis nettement ma pensée. Je ne vous conseille point de songer au mariage; et je vous trouverais le plus ridicule du monde, si, ayant été libre jusqu'à cette heure, vous alliez vous charger maintenant de la plus pesante des chaînes.
SGANARELLE.
Et moi, je vous dis que je suis résolu de me marier, et que je ne serai point ridicule en épousant la fille que je recherche.
GÉRONIMO.
Ah! c'est une autre chose! Vous ne m'aviez pas dit cela.
SGANARELLE.
C'est une fille qui me plaît, et que j'aime de tout mon cœur.
GÉRONIMO.
Vous l'aimez de tout votre cœur?
SGANARELLE.
Sans doute; et je l'ai demandée à son père.
GÉRONIMO.
Vous l'avez demandée?
SGANARELLE.
Oui. C'est un mariage qui se doit conclure ce soir; et j'ai donné ma parole.
GÉRONIMO.
Oh! mariez-vous donc. Je ne dis plus mot.
SGANARELLE.
Je quitterois le dessein que j'ai fait! Vous semble-t-il, seigneur Géronimo, que je ne sois plus propre à songer à une femme? Ne parlons point de l'âge que je puis avoir; mais regardons seulement les choses. Y a-t-il homme de trente ans qui paroisse plus frais et plus vigoureux que vous me voyez? N'ai-je pas tous les mouvemens de mon corps aussi bons que jamais; et voit-on que j'aie besoin de carrosse ou de chaise pour cheminer? N'ai-je pas encore toutes mes dents les meilleures du monde? (Il montre ses dents.) Ne fais-je pas vigoureusement mes quatre repas par jour, et peut-on voir un estomac qui ait plus de force que le mien? (Il tousse.) Hem, hem, hem! Eh! qu'en dites-vous?
GÉRONIMO.
Vous avez raison, je m'étois trompé. Vous ferez bien de vous marier.
SGANARELLE.
J'y ai répugné autrefois; mais j'ai maintenant de puissantes raisons pour cela. Outre la joie que j'aurai de posséder une belle femme, qui me fera mille caresses, qui me dorlotera, et me viendra frotter lorsque je serai las; outre cette joie, dis-je, je considère qu'en demeurant comme je suis, je laisse périr dans le monde la race des Sganarelle; et qu'en me mariant, je pourrai me voir revivre en d'autres moi-même; que j'aurai le plaisir de voir des créatures qui seront sorties de moi, de petites figures qui me ressembleront comme deux gouttes d'eau, qui se joueront continuellement dans la maison, qui m'appelleront leur papa quand je reviendrai de la ville, et me diront de petites folies les plus agréables du monde. Tenez, il me semble déjà que j'y suis, et que j'en vois une demi-douzaine autour de moi.
GÉRONIMO.
Il n'y a rien de plus agréable que cela; et je vous conseille de vous marier le plus vite que vous pourrez.
SGANARELLE.
Tout de bon, vous me le conseillez?
GÉRONIMO.
Assurément. Vous ne sauriez mieux faire.
SGANARELLE.
Vraiment, je suis ravi que vous me donniez ce conseil en véritable ami.
GÉRONIMO.
Et quelle est la personne, s'il vous plaît, avec qui vous allez vous marier?
SGANARELLE.
Dorimène.
GÉRONIMO.
Cette jeune Dorimène, si galante et si bien parée.
SGANARELLE.
Oui.
GÉRONIMO.
Fille du seigneur Alcantor?
SGANARELLE.
Justement.
GÉRONIMO.
Et sœur d'un certain Alcidas, qui se mêle de porter l'épée?
SGANARELLE.
C'est cela.
GÉRONIMO.
Vertu de ma vie!
SGANARELLE.
Qu'en dites-vous?
GÉRONIMO.
Bon parti! Mariez-vous promptement.
SGANARELLE.
N'ai-je pas raison d'avoir fait ce choix?
GÉRONIMO.
Sans doute. Ah! que vous serez bien marié! Dépêchez-vous de l'être.
SGANARELLE.
Vous me comblez de joie de me dire cela. Je vous remercie de votre conseil, et je vous invite ce soir à mes noces.
GÉRONIMO.
Je n'y manquerai pas; et je veux y aller en masque, afin de les mieux honorer.
SGANARELLE.
Serviteur.
GÉRONIMO, à part.
La jeune Dorimène, fille du seigneur Alcantor, avec le seigneur Sganarelle, qui n'a que cinquante-trois ans! O le beau mariage! ô le beau mariage[201]!
Ce qu'il répète plusieurs fois en s'en allant.
SCÈNE III.—SGANARELLE.
Ce mariage doit être heureux, car il donne de la joie à tout le monde, et je fais rire tous ceux à qui j'en parle. Me voilà maintenant le plus content des hommes.
SCÈNE IV.—DORIMÈNE, SGANARELLE.
DORIMÈNE, dans le fond du théâtre, à un petit laquais qui la suit.
Allons, petit garçon, qu'on tienne bien ma queue, et qu'on ne s'amuse pas à badiner.
SGANARELLE, à part, apercevant Dorimène.
Voici ma maîtresse[202] qui vient. Ah! qu'elle est agréable! Quel air! et quelle taille! Peut-il y avoir un homme qui n'ait, en la voyant, des démangeaisons de se marier? (A Dorimène.) Où allez-vous, belle mignonne, chère épouse future de votre époux futur?
DORIMÈNE.
Je vais faire quelques emplettes.
SGANARELLE.
Eh bien, ma belle, c'est maintenant que nous allons être heureux l'un et l'autre. Vous ne serez plus en droit de me rien refuser; et je pourrai faire avec vous tout ce qu'il me plaira, sans que personne s'en scandalise. Vous allez être à moi depuis la tête jusqu'aux pieds, et je serai maître de tout: de vos petits yeux éveillés, de votre petit nez fripon, 279 de vos lèvres appétissantes, de vos oreilles amoureuses, de votre petit menton joli, de vos petits tétons rondelets, de votre... Enfin, toute votre personne sera à ma discrétion, et je serai à même pour vous caresser comme je voudrai. N'êtes-vous pas bien aise de ce mariage, mon aimable pouponne?
DORIMÈNE.
Tout à fait aise, je vous jure. Car enfin la sévérité de mon père m'a tenue jusques ici dans une sujétion la plus fâcheuse du monde. Il y a je ne sais combien que j'enrage du peu de liberté qu'il me donne, et j'ai cent fois souhaité qu'il me mariât, pour sortir promptement de la contrainte où j'étois avec lui, et me voir en état de faire ce que je voudrai. Dieu merci, vous êtes venu heureusement pour cela, et je me prépare désormais à me donner du divertissement, et à réparer comme il faut le temps que j'ai perdu. Comme vous êtes un fort galant homme, et que vous savez comme il faut vivre, je crois que nous ferons le meilleur ménage du monde ensemble, et que vous ne serez point de ces maris incommodes qui veulent que leurs femmes vivent comme des loups-garous. Je vous avoue que je ne m'accommoderois pas de cela, et que la solitude me désespère. J'aime le jeu, les visites, les assemblées, les cadeaux[203] et les promenades; en un mot, toutes les choses de plaisir; et vous devez être ravi d'avoir une femme de mon humeur. Nous n'aurons jamais aucun démêlé ensemble; et je ne vous contraindrai point dans vos actions, comme j'espère que, de votre côté, vous ne me contraindrez point dans les miennes; car, pour moi, je tiens qu'il faut avoir une complaisance mutuelle, et qu'on ne se doit point marier pour se faire enrager l'un l'autre. Enfin, nous vivrons, étant mariés, comme deux personnes qui savent leur monde. Aucun soupçon jaloux ne nous troublera la cervelle; et c'est assez que vous serez assuré de ma fidélité, comme je serai persuadée de la vôtre. Mais qu'avez-vous? je vous vois tout changé de visage.
SGANARELLE.
Ce sont quelques vapeurs qui me viennent de monter à la tête.
DORIMÈNE.
C'est un mal aujourd'hui qui attaque beaucoup de gens; mais notre mariage vous dissipera tout cela. Adieu. Il me tarde déjà que j'aie des habits raisonnables, pour quitter vite ces guenilles. Je m'en vais de ce pas achever d'acheter toutes les choses qu'il me faut, et je vous enverrai les marchands.
SCÈNE V.—GÉRONIMO, SGANARELLE.
GÉRONIMO.
Ah! seigneur Sganarelle, je suis ravi de vous trouver encore ici; et j'ai rencontré un orfévre qui, sur le bruit que vous cherchiez quelque beau diamant en bague pour faire un présent à votre épouse, m'a fort prié de vous venir parler pour lui, et de vous dire qu'il en a un à vendre, le plus parfait du monde.
SGANARELLE.
Mon Dieu! cela n'est pas pressé.
GÉRONIMO.
Comment! que veut dire cela? Où est l'ardeur que vous montriez tout à l'heure?
SGANARELLE.
Il m'est venu, depuis un moment, de petits scrupules sur le mariage. Avant que de passer plus avant, je voudrois bien agiter à fond cette matière, et que l'on m'expliquât un songe que j'ai fait cette nuit, et qui vient tout à l'heure de me revenir dans l'esprit. Vous savez que les songes sont comme des miroirs, où l'on découvre quelquefois tout ce qui nous doit arriver. Il me sembloit que j'étois dans un vaisseau, sur une mer bien agitée, et que...
GÉRONIMO.
Seigneur Sganarelle, j'ai maintenant quelque petite affaire qui m'empêche de vous ouïr. Je n'entends rien du tout aux songes; et, quant au raisonnement du mariage, vous avez deux savans, deux philosophes, vos voisins, qui sont gens à vous débiter tout ce qu'on peut dire sur ce sujet. Comme ils sont de sectes différentes, vous pouvez examiner leurs diverses opinions là-dessus. Pour moi, je me contente de ce que je vous ai dit tantôt, et demeure votre serviteur.
SGANARELLE, seul.
Il a raison. Il faut que je consulte un peu ces gens-là sur l'incertitude où je suis.
SCÈNE VI.—PANCRACE, SGANARELLE.
PANCRACE, se tournant du côté par où il est entré, et sans voir Sganarelle.
Allez, vous êtes un impertinent, mon ami, un homme [ignare[204] de toute bonne discipline[205]] bannissable de la république des lettres!
SGANARELLE.
Ah! bon. En voici un fort à propos.
PANCRACE, de même, sans voir Sganarelle.
Oui, je te soutiendrai par vives raisons [je te montrerai par Aristote, le philosophe des philosophes,] que tu es un ignorant, [un] ignorantissime, ignorantifiant et ignorantifié, par tous les cas et modes imaginables.
SGANARELLE, à part.
Il a pris querelle contre quelqu'un. (A Pancrace.) Seigneur...
PANCRACE, de même, sans voir Sganarelle.
Tu veux te mêler de raisonner, et tu ne sais pas seulement les élémens de la raison.
SGANARELLE, à part.
La colère l'empêche de me voir. (A Pancrace.) Seigneur...
PANCRACE, de même sans voir Sganarelle.
C'est une proposition condamnable dans toutes les terres de la philosophie.
SGANARELLE, à part.
Il faut qu'on l'ait fort irrité. (A Pancrace.) Je...
PANCRACE, de même, sans voir Sganarelle.
Toto cœlo, tota via aberras[206].
SGANARELLE.
Je baise les mains à monsieur le docteur.
PANCRACE.
Serviteur.
SGANARELLE.
Peut-on...
PANCRACE, se retournant vers l'endroit par où il est entré.
Sais-tu bien ce que tu as fait? un syllogisme in balordo.
SGANARELLE.
Je vous...
PANCRACE, de même.
La majeure en est inepte, la mineure impertinente, et la conclusion ridicule.
SGANARELLE.
Je...
PANCRACE, de même.
Je crèverois plutôt que d'avouer ce que tu dis; et je soutiendrai mon opinion jusqu'à la dernière goutte de mon encre.
SGANARELLE.
Puis-je...
PANCRACE, de même.
Oui, je défendrai cette proposition pugnis et calcibus, unguibus et rostro[207].
SGANARELLE.
Seigneur Aristote, peut-on savoir ce qui vous met si fort en colère?
PANCRACE.
Un sujet le plus juste du monde.
SGANARELLE.
Et quoi, encore?
PANCRACE.
Un ignorant m'a voulu soutenir une proposition erronée, une proposition épouvantable, effroyable, exécrable.
SGANARELLE.
Puis-je demander ce que c'est?
PANCRACE.
Ah! seigneur Sganarelle, tout est renversé aujourd'hui, et le monde est tombé dans une corruption générale. Une licence épouvantable règne partout; et les magistrats, qui sont établis pour maintenir l'ordre dans cet État devroient 283 rougir de honte, en souffrant un scandale aussi intolérable que celui dont je veux parler.
SGANARELLE.
Quoi donc?
PANCRACE.
N'est-ce pas une chose horrible, une chose qui crie vengeance au ciel, que d'endurer qu'on dise publiquement la forme d'un chapeau?
SGANARELLE.
Comment?
PANCRACE.
Je soutiens qu'il faut dire la figure d'un chapeau, et non pas la forme; d'autant qu'il y a cette différence entre la forme et la figure, que la forme est la disposition extérieure des corps qui sont animés; et la figure, la disposition extérieure des corps qui sont inanimés: et, puisque le chapeau est un corps inanimé, il faut dire la figure d'un chapeau, et non pas la forme. (Se retournant encore du côté par où il est entré.) Oui, ignorant que vous êtes! c'est comme il faut parler, et ce sont les termes exprès d'Aristote dans le chapitre de la qualité.
SGANARELLE, à part.
Je pensois que tout fût perdu. (A Pancrace.) Seigneur docteur, ne songez plus à tout cela. Je...
PANCRACE.
Je suis dans une colère, que je ne me sens pas.
SGANARELLE.
Laissez la forme et le chapeau en paix. J'ai quelque chose à vous communiquer. Je...
PANCRACE.
Impertinent fieffé[208]!
SGANARELLE.
De grâce, remettez-vous. Je...
PANCRACE.
Ignorant!
SGANARELLE.
Eh! mon Dieu. Je...
PANCRACE.
Me vouloir soutenir une proposition de la sorte!
SGANARELLE.
Il a tort. Je...
PANCRACE.
Une proposition condamnée par Aristote!
SGANARELLE.
Cela est vrai. Je...
PANCRACE.
En termes exprès!!
SGANARELLE.
Vous avez raison. (Se tournant du côté par où Pancrace est entré.) Oui, vous êtes un sot et un impudent, de vouloir disputer contre un docteur qui sait lire et écrire. Voilà qui est fait: je vous prie de m'écouter. Je viens vous consulter sur une affaire qui m'embarrasse. J'ai dessein de prendre une femme, pour me tenir compagnie dans mon ménage. La personne est belle et bien faite; elle me plaît beaucoup, et est ravie de m'épouser; son père me l'a accordée. Mais je crains un peu ce que vous savez, la disgrâce dont on ne plaint personne; et je voudrois bien vous prier, comme philosophe, de me dire votre sentiment. Eh! quel est votre avis là-dessus?
PANCRACE.
Plutôt que d'accorder qu'il faille dire la forme d'un chapeau, j'accorderais que datur vacum in rerum natura[209], et que je ne suis qu'une bête.
SGANARELLE, à part.
La peste soit de l'homme! (A Pancrace.) Eh! monsieur le docteur, écoutez un peu les gens. On vous parle une heure durant, et vous ne répondez point à ce qu'on vous dit.
PANCRACE.
Je vous demande pardon. Une juste colère m'occupe l'esprit.
SGANARELLE.
Eh! laissez tout cela, et prenez la peine de m'écouter.
PANCRACE.
Soit. Que voulez-vous me dire?
SGANARELLE.
Je veux vous parler de quelque chose.
PANCRACE.
Et de quelle langue voulez-vous vous servir avec moi?
SGANARELLE.
De quelle langue?
PANCRACE.
Oui.
SGANARELLE.
Parbleu! de la langue que j'ai dans la bouche. Je crois que je n'irai pas emprunter celle de mon voisin.
PANCRACE.
Je vous dis, de quel idiome, de quel langage?
SGANARELLE.
Ah! c'est une autre affaire.
PANCRACE.
Voulez-vous me parler italien?
SGANARELLE.
Non.
PANCRACE.
Espagnol?
SGANARELLE.
Non.
PANCRACE.
Allemand?
SGANARELLE.
Non.
PANCRACE.
Anglois?
SGANARELLE.
Non.
PANCRACE.
Latin?
SGANARELLE.
Non.
PANCRACE.
Grec?
SGANARELLE.
Non.
PANCRACE.
Hébreu?
SGANARELLE.
Non.
PANCRACE.
Syriaque?
SGANARELLE.
Non.
PANCRACE.
Turc?
SGANARELLE.
Non.
PANCRACE.
Arabe?
SGANARELLE.
Non, non; françois [françois, françois].
PANCRACE.
Ah! françois.
SGANARELLE.
Fort bien.
PANCRACE.
Passez donc de l'autre côté; car cette oreille-ci est destinée pour les langues scientifiques [et étrangères], et l'autre est pour [la vulgaire et] la maternelle.
SGANARELLE, à part.
Il faut bien des cérémonies avec ces sortes de gens-ci.
PANCRACE.
Que voulez-vous?
SGANARELLE.
Vous consulter sur une petite difficulté.
PANCRACE.
[Ah! ah!] sur une difficulté de philosophie, sans doute?
SGANARELLE.
Pardonnez-moi. Je...
PANCRACE.
Vous voulez peut-être savoir si la substance et l'accident sont termes synonymes ou équivoques à l'égard de l'être?
SGANARELLE.
Point du tout. Je...
PANCRACE.
Si la logique est un art ou une science?
SGANARELLE.
Ce n'est pas cela. Je...
PANCRACE.
Si elle a pour objet les trois opérations de l'esprit, ou la troisième seulement?
SGANARELLE.
Non. Je...
PANCRACE.
S'il y a dix catégories, ou s'il n'y en a qu'une?
SGANARELLE.
Point. Je...
PANCRACE.
Si la conclusion est de l'essence du syllogisme?
SGANARELLE.
Nenni. Je...
PANCRACE.
Si l'essence du bien est mise dans l'appétibilité, ou dans la convenance?
SGANARELLE.
Non. Je...
PANCRACE.
Si le bien se réciproque avec la fin?
SGANARELLE.
Eh non! Je...
PANCRACE.
Si la fin nous peut émouvoir par son être réel, ou par son être intentionnel?
SGANARELLE.
Non, non, non, non, non, de par tous les diables, non!
PANCRACE.
Expliquez donc votre pensée, car je ne puis pas la deviner.
SGANARELLE.
Je vous la veux expliquer aussi; mais il faut m'écouter. (Pendant que Sganarelle dit:) L'affaire que j'ai à vous dire, c'est que j'ai envie de me marier avec une fille qui est jeune et belle. Je l'aime fort, et l'ai demandée à son père; mais comme j'appréhende...
PANCRACE, dit en même temps, sans écouter Sganarelle:
La parole a été donnée à l'homme pour expliquer sa pensée; et, tout ainsi que les pensées sont les portraits des choses, de même nos paroles sont-elles les portraits de nos pensées. (Sganarelle, impatienté, ferme la bouche du docteur avec sa main à plusieurs reprises, et le docteur continue de parler d'abord que Sganarelle ôte sa main.) Mais ces portraits diffèrent des autres portraits en ce que les autres portraits sont distingués partout de leurs originaux, et que la parole enferme en soi son original, puisqu'elle n'est autre chose que la pensée expliquée par un signe extérieur; d'où vient que ceux qui pensent bien sont aussi ceux qui parlent le mieux. Expliquez-moi donc votre pensée par la parole, qui est le plus intelligible de tous les signes.
SGANARELLE, pousse le docteur dans sa maison, et tire la porte pour l'empêcher de sortir.
Peste de l'homme!
PANCRACE, au-dedans de sa maison.
Oui, la parole est animi index et speculum[210]. C'est le truchement du cœur, c'est l'image de l'âme, (il monte à la fenêtre et continue.) C'est un miroir qui nous présente naïvement les secrets les plus arcanes[211] de nos individus; et, puisque vous avez la faculté de ratiociner[212] et de parler tout ensemble, à quoi tient-il que vous ne vous serviez de la parole pour me faire entendre votre pensée?
SGANARELLE.
C'est ce que je veux faire! mais vous ne voulez pas m'écouter.
PANCRACE.
Je vous écoute, parlez.
SGANARELLE.
Je dis donc, monsieur le docteur, que...
PANCRACE.
Mais surtout soyez bref.
SGANARELLE.
Je le serai.
PANCRACE.
Évitez la prolixité.
SGANARELLE.
Eh! monsi...
PANCRACE.
Tranchez-moi votre discours d'un apophthegme à la laconienne.
SGANARELLE.
Je vous...
PANCRACE.
Point d'ambages, de circonlocution. (Sganarelle, de dépit de ne pouvoir parler, ramasse des pierres pour en casser la tête du docteur.) Et quoi! vous vous emportez au lieu de vous expliquer? Allez, vous êtes plus impertinent que celui qui m'a voulu soutenir qu'il faut dire la forme d'un chapeau; et je vous prouverai, en toute rencontre, par raisons démonstratives et convaincantes, et par argumens in barbara, que vous n'êtes et ne serez jamais qu'une pécore, et que je suis et serai toujours, in utroque jure[213], le docteur Pancrace.
SGANARELLE.
Quel diable de babillard!
PANCRACE, en rentrant sur le théâtre.
Homme de lettres, homme d'érudition.
SGANARELLE.
Encore!
PANCRACE.
Homme de suffisance, homme de capacité, (s'en allant.) Homme consommé dans toutes les sciences naturelles, morales et politiques. (Revenant.) Homme savant, savantissime, per omnes modos et casus[214]. (S'en allant.) Homme qui possède, superlative[215], fable, mythologie et histoire (revenant), grammaire, poésie, rhétorique, dialectique et sophistique (s'en allant), mathématique, arithmétique, optique, onirocritique[216], physique et métaphysique (revenant), cosmométrie[217], géométrie, 290 architecture, spéculoire[218] et spéculatoire[219] (s'en allant), médecine, astronomie, astrologie, physionomie, métoposcopie[220], chiromancie[221], géomancie[222], etc.[223].
SCÈNE VII.—SGANARELLE.
Au diable les savans qui ne veulent point écouter les gens! On me l'avoit bien dit que son maître Aristote n'étoit rien qu'un bavard. Il faut que j'aille trouver l'autre; peut-être qu'il sera plus posé et plus raisonnable. Holà!
SCÈNE VIII.—MARPHURIUS, SGANARELLE.
MARPHURIUS.
Que voulez-vous de moi seigneur Sganarelle?
SGANARELLE.
Seigneur docteur, j'aurois besoin de votre conseil sur une petite affaire dont il s'agit, et je suis venu ici pour cela. (A part.) Ah! voilà qui va bien. Il écoute le monde, celui-ci.
MARPHURIUS.
Seigneur Sganarelle, changez, s'il vous plaît, cette façon de parler. Notre philosophie ordonne de ne point énoncer de proposition décisive, de parler de tout avec incertitude, de suspendre toujours son jugement; et, par cette raison, vous ne devez pas dire: Je suis venu, mais: Il me semble que je suis venu.
SGANARELLE.
Il me semble?
MARPHURIUS.
Oui.
SGANARELLE.
Parbleu! il faut bien qu'il me le semble, puisque cela est.
MARPHURIUS.
Ce n'est pas une conséquence, et il peut vous le sembler sans que la chose soit véritable.
SGANARELLE.
Comment! il n'est pas vrai que je suis venu?
MARPHURIUS.
Cela est incertain, et nous devons douter de tout.
SGANARELLE.
Quoi! je ne suis pas ici, et vous ne me parlez pas?
MARPHURIUS.
Il m'apparoît que vous êtes là, et il me semble que je vous parle; mais il n'est pas assuré que cela soit.
SGANARELLE.
Eh! que diable! vous vous moquez. Me voilà et vous voilà bien nettement, et il n'y a point de me semble à tout cela. Laissons ces subtilités, je vous prie, et parlons de mon affaire. Je viens vous dire que j'ai envie de me marier.
MARPHURIUS.
Je n'en sais rien.
SGANARELLE.
Je vous le dis.
MARPHURIUS.
Il se peut faire.
SGANARELLE.
La fille que je veux prendre est fort jeune et fort belle.
MARPHURIUS.
Il n'est pas impossible.
SGANARELLE.
Ferai-je bien ou mal de l'épouser?
MARPHURIUS.
L'un ou l'autre.
SGANARELLE, à part.
Ah! ah! voici une autre musique. (A Marphurius.) Je vous demande si je ferai bien d'épouser la fille dont je vous parle.
MARPHURIUS.
Selon la rencontre.
SGANARELLE.
Ferai-je mal?
MARPHURIUS.
Par aventure.
SGANARELLE.
De grâce, répondez-moi comme il faut.
MARPHURIUS.
C'est mon dessein.
SGANARELLE.
J'ai une grande inclination pour la fille.
MARPHURIUS.
Cela peut être.
SGANARELLE.
Le père me l'a accordée.
MARPHURIUS.
Il se pourroit.
SGANARELLE.
Mais, en l'épousant, je crains d'être cocu.
MARPHURIUS.
La chose est faisable.
SGANARELLE.
Qu'en pensez-vous?
MARPHURIUS.
Il n'y a pas d'impossibilité.
SGANARELLE.
Mais que feriez-vous si vous étiez à ma place?
MARPHURIUS.
Je ne sais.
SGANARELLE.
Que me conseillez-vous de faire?
MARPHURIUS.
Ce qu'il vous plaira.
SGANARELLE.
J'enrage!
MARPHURIUS.
Je m'en lave les mains.
SGANARELLE.
Au diable soit le vieux rêveur!
MARPHURIUS.
Il en sera ce qu'il pourra.
SGANARELLE, à part.
La peste du bourreau! Je te ferai changer de note, chien de philosophe enragé!
Il donne des coups de bâton à Marphurius.
MARPHURIUS.
Ah! ah! ah!
SGANARELLE.
Te voilà payé de ton galimatias et me voilà content!
MARPHURIUS.
Comment! Quelle insolence! M'outrager de la sorte! Avoir eu l'insolence de battre un philosophe comme moi!
SGANARELLE.
Corrigez, s'il vous plaît, cette manière de parler. Il faut douter de toutes choses; et vous ne devez pas dire que je vous ai battu, mais qu'il me semble que je vous ai battu.
MARPHURIUS.
Ah! je m'en vais faire ma plainte au commissaire du quartier des coups que j'ai reçus.
SGANARELLE.
Je m'en lave les mains.
MARPHURIUS.
J'en ai les marques sur ma personne.
SGANARELLE.
Il se peut faire.
MARPHURIUS.
C'est toi qui m'as traité ainsi.
SGANARELLE.
Il n'y a pas d'impossibilité.
MARPHURIUS.
J'aurai un décret contre toi.
SGANARELLE.
Je n'en sais rien.
MARPHURIUS.
Et tu seras condamné en justice.
SGANARELLE.
Il en sera ce qu'il pourra.
MARPHURIUS.
Laisse-moi faire[224].
SCÈNE IX.—SGANARELLE.
Comment! on ne sauroit tirer une parole positive de ce chien d'homme-là, et l'on est aussi savant à la fin qu'au 294 commencement. Que dois-je faire, dans l'incertitude des suites de mon mariage! Jamais homme ne fut plus embarrassé que je le suis. Ah! voici des Égyptiennes; il faut que je me fasse dire par elles ma bonne aventure.
SCÈNE X.—DEUX ÉGYPTIENNES, SGANARELLE.
Deux Égyptiennes avec leur tambour de basque entrent en chantant et en dansant.
SGANARELLE.
Elles sont gaillardes. Écoutez, vous autres. Y a-t-il moyen de me dire ma bonne fortune?
PREMIÈRE ÉGYPTIENNE.
Oui, mon bon monsieur; nous voici deux qui te la dirons.
DEUXIÈME ÉGYPTIENNE.
Tu n'as seulement qu'à nous donner ta main, avec la croix[225] dedans, et nous te dirons quelque chose pour ton profit.
SGANARELLE.
Tenez, les voilà toutes deux avec ce que vous demandez.
PREMIÈRE ÉGYPTIENNE.
Tu as une bonne physionomie, mon bon monsieur, une bonne physionomie.
DEUXIÈME ÉGYPTIENNE.
Oui, une bonne physionomie; physionomie d'un homme qui sera un jour quelque chose.
PREMIÈRE ÉGYPTIENNE.
Tu seras marié avant qu'il soit peu, mon bon monsieur, tu seras marié avant qu'il soit peu.
DEUXIÈME ÉGYPTIENNE.
Tu épouseras une femme gentille, une femme gentille.
PREMIÈRE ÉGYPTIENNE.
Oui, une femme qui sera chérie et aimée de tout le monde.
DEUXIÈME ÉGYPTIENNE.
Une femme qui te fera beaucoup d'amis, mon bon monsieur, qui te fera beaucoup d'amis.
PREMIÈRE ÉGYPTIENNE.
Une femme qui fera venir l'abondance chez toi.
DEUXIÈME ÉGYPTIENNE.
Une femme qui te donnera une grande réputation.
PREMIÈRE ÉGYPTIENNE.
Tu seras considéré par elle, mon bon monsieur, tu seras considéré par elle.
SGANARELLE.
Voilà qui est bien. Mais dites-moi un peu, suis-je menacé d'être cocu?
DEUXIÈME ÉGYPTIENNE.
Cocu?
SGANARELLE.
Oui.
PREMIÈRE ÉGYPTIENNE.
Cocu?
SGANARELLE.
Oui, si je suis menacé d'être cocu?
Les deux Égyptiennes dansent et chantent.
SGANARELLE.
Que diable! ce n'est pas là me répondre! Venez çà. Je vous demande à toutes deux si je serai cocu?
DEUXIÈME ÉGYPTIENNE.
Cocu? vous?
SGANARELLE.
Oui, si je serai cocu?
PREMIÈRE ÉGYPTIENNE.
Vous? cocu?
SGANARELLE.
Oui, si je le serai ou non[226]?
Les deux Égyptiennes sortent en chantant et en dansant.
SCÈNE XI.—SGANARELLE.
Peste soit des carognes qui me laissent dans l'inquiétude! Il faut absolument que je sache la destinée de mon mariage; et, pour cela, je veux aller trouver ce grand magicien dont tout le monde parle tant, et qui, par son art admirable, fait voir tout ce que l'on souhaite. Ma foi, je crois que je n'ai que faire d'aller au magicien, et voici qui me montre tout ce que je puis demander.
SCÈNE XII.—DORIMÈNE, LYCASTE, SGANARELLE, retiré dans un coin du théâtre, sans être vu.
LYCASTE.
Quoi! belle Dorimène, c'est sans raillerie que vous parlez?
DORIMÈNE.
Sans raillerie.
LYCASTE.
Vous vous mariez tout de bon?
DORIMÈNE.
Tout de bon.
LYCASTE.
Et vos noces se feront dès ce soir?
DORIMÈNE.
Dès ce soir.
LYCASTE.
Et vous pouvez, cruelle que vous êtes, oublier de la sorte l'amour que j'ai pour vous, et les obligeantes paroles que vous m'avez données?
DORIMÈNE.
Moi? point du tout. Je vous considère toujours de même, et ce mariage ne doit point vous inquiéter; c'est un homme que je n'épouse point par amour, et sa seule richesse me fait résoudre à l'accepter. Je n'ai point de bien, vous n'en avez point aussi, et vous savez que sans cela on passe mal le temps au monde, et qu'à quelque prix que ce soit il faut tâcher d'en avoir. J'ai embrassé cette occasion-ci de me mettre à mon aise; et je l'ai fait sur l'espérance de me voir bientôt délivrée du barbon que je prends. C'est un homme qui mourra avant qu'il soit peu, et qui n'a tout au plus que six mois dans le ventre. Je vous le garantis défunt dans le temps que je dis; et je n'aurai pas longuement à demander pour moi au ciel l'heureux état de veuve. (A Sganarelle qu'elle aperçoit.) Ah! nous parlions de vous, et nous en disions tout le bien qu'on en sauroit dire.
LYCASTE.
Est-ce là monsieur?...
DORIMÈNE.
Oui, c'est monsieur qui me prend pour femme.
LYCASTE.
Agréez, monsieur, que je vous félicite de votre mariage, et vous présente en même temps mes très-humbles services: je vous assure que vous épousez là une très-honnête personne. Et vous, mademoiselle, je me réjouis avec vous aussi de l'heureux choix que vous avez fait: vous ne pouviez pas mieux trouver, et monsieur a toute la mine d'être un fort bon mari. Oui, monsieur, je veux faire amitié avec vous, et lier ensemble un petit commerce de visites et de divertissements.
DORIMÈNE.
C'est trop d'honneur que vous nous faites à tous deux. Mais allons, le temps me presse, et nous aurons tout le loisir de nous entretenir ensemble.
SCÈNE XIII.—SGANARELLE.
Me voilà tout à fait dégoûté de mon mariage; et je crois que je ne ferai pas mal de m'aller dégager de ma parole. Il m'en a coûté quelque argent; mais il vaut mieux encore perdre cela que de m'exposer à quelque chose de pis. Tâchons adroitement de nous débarrasser de cette affaire. Holà!
Il frappe à la porte de la maison d'Alcantor.
SCÈNE XIV.—ALCANTOR, SGANARELLE.
ALCANTOR.
Ah! mon gendre, soyez le bienvenu!
SGANARELLE.
Monsieur, votre serviteur.
ALCANTOR.
Vous venez pour conclure le mariage?
SGANARELLE.
Excusez-moi.
ALCANTOR.
Je vous promets que j'en ai autant d'impatience que vous.
SGANARELLE.
Je viens ici pour autre sujet.
ALCANTOR.
J'ai donné ordre à toutes les choses nécessaires pour cette fête.
SGANARELLE.
Il n'est pas question de cela.
ALCANTOR.
Les violons sont retenus, le festin est commandé, et ma fille est parée pour vous recevoir.
SGANARELLE.
Ce n'est pas ce qui m'amène.
ALCANTOR.
Enfin, vous allez être satisfait; et rien ne peut retarder votre contentement.
SGANARELLE.
Mon Dieu! c'est autre chose.
ALCANTOR.
Allons, entrez donc, mon gendre.
SGANARELLE.
J'ai un petit mot à vous dire.
ALCANTOR.
Ah! mon Dieu, ne faisons point de cérémonie! Entrez vite, s'il vous plaît.
SGANARELLE.
Non, vous dis-je. Je veux vous parler auparavant.
ALCANTOR.
Vous voulez me dire quelque chose?
SGANARELLE.
Oui.
ALCANTOR.
Et quoi?
SGANARELLE.
Seigneur Alcantor, j'ai demandé votre fille en mariage, il est vrai, et vous me l'avez accordée; mais je me trouve un peu avancé en âge pour elle, et je considère que je ne suis point du tout son fait.
ALCANTOR.
Pardonnez-moi, ma fille vous trouve bien comme vous êtes; et je suis sûr qu'elle vivra fort contente avec vous.
SGANARELLE.
Point. J'ai parfois des bizarreries épouvantables, et elle auroit trop à souffrir de ma mauvaise humeur.
ALCANTOR.
Ma fille a de la complaisance, et vous verrez qu'elle s'accommodera entièrement à vous.
SGANARELLE.
J'ai quelques infirmités sur mon corps qui pourroient la dégoûter.
ALCANTOR.
Cela n'est rien. Une honnête femme ne se dégoûte jamais de son mari.
SGANARELLE.
Enfin, voulez-vous que je vous dise? Je ne vous conseille pas de me la donner.
ALCANTOR.
Vous moquez-vous? J'aimerois mieux mourir que d'avoir manqué à ma parole.
SGANARELLE.
Mon Dieu, je vous en dispense, et je...
ALCANTOR.
Point du tout. Je vous l'ai promise; et vous l'aurez, en dépit de tous ceux qui y prétendent.
SGANARELLE, à part.
Que diable!
ALCANTOR.
Voyez-vous, j'ai une estime et une amitié pour vous toute particulière; et je refuserois ma fille à un prince pour vous la donner.
SGANARELLE.
Seigneur Alcantor, je vous suis obligé de l'honneur que vous me faites; mais je vous déclare que je ne me veux point marier.
ALCANTOR.
Qui, vous?
SGANARELLE.
Oui, moi.
ALCANTOR.
Et la raison?
SGANARELLE.
La raison? C'est que je ne me sens point propre pour le mariage, et que je veux imiter mon père, et tous ceux de ma race, qui ne se sont jamais voulu marier.
ALCANTOR.
Ecoutez. Les volontés sont libres; et je suis homme à ne contraindre jamais personne. Vous vous êtes engagé avec moi pour épouser ma fille, et tout est préparé pour cela; mais, puisque vous voulez retirer votre parole, je vais voir ce qu'il y a à faire; et vous aurez bientôt de mes nouvelles.
SCÈNE XV.—SGANARELLE.
Encore est-il plus raisonnable que je ne pensois, et je croyais avoir bien plus de peine à m'en dégager. Ma foi, quand j'y songe, j'ai fait fort sagement de me tirer de cette affaire, et j'allois faire un pas dont je me serois peut-être longtemps repenti. Mais voici le fils qui me vient rendre réponse.
SCÈNE XVI.—ALCIDAS, SGANARELLE.
ALCIDAS, parlant d'un ton doucereux.
Monsieur, je suis votre serviteur très-humble.
SGANARELLE.
Monsieur, je suis le vôtre de tout mon cœur.
ALCIDAS, toujours avec le même ton.
Mon père m'a dit, monsieur, que vous vous étiez venu dégager de la parole que vous aviez donnée.
SGANARELLE.
Oui, monsieur, c'est avec regret; mais...
ALCIDAS.
Oh! monsieur, il n'y a pas de mal à cela.
SGANARELLE.
J'en suis fâché, je vous assure; et je souhaiterois...
ALCIDAS.
Cela n'est rien, vous dis-je. (Alcidas présente à Sganarelle deux épées.) Monsieur, prenez la peine de choisir, de ces deux épées, laquelle vous voulez.
SGANARELLE.
De ces deux épées?
ALCIDAS.
Oui, s'il vous plaît.
SGANARELLE.
A quoi bon?
ALCIDAS.
Monsieur, comme vous refusez d'épouser ma sœur après la parole donnée, je crois que vous ne trouverez pas mauvais le petit compliment que je viens vous faire.
SGANARELLE.
Comment?
ALCIDAS.
D'autres gens feroient du bruit, et s'emporteroient contre vous; mais nous sommes personnes à traiter les choses dans la douceur; et je viens vous dire civilement qu'il faut, si vous le trouvez bon, que nous nous coupions la gorge ensemble.
SGANARELLE.
Voilà un compliment fort mal tourné.
ALCIDAS.
Allons, monsieur, choisissez, je vous prie.
SGANARELLE.
Je suis votre valet, je n'ai point de gorge à me couper. (A part.) La vilaine façon de parler que voilà!
ALCIDAS.
Monsieur, il faut que cela soit, s'il vous plaît.
SGANARELLE.
Eh! monsieur, rengaînez ce compliment, je vous prie.
ALCIDAS.
Dépêchons vite, monsieur, j'ai une petite affaire qui m'attend.
SGANARELLE.
Je ne veux point de cela, vous dis-je.
ALCIDAS.
Vous ne voulez pas vous battre?
SGANARELLE.
Nenni, ma foi.
ALCIDAS.
Tout de bon?
SGANARELLE.
Tout de bon.
ALCIDAS, après lui avoir donné des coups de bâton.
Au moins, monsieur, vous n'avez pas lieu de vous plaindre; vous voyez que je fais les choses dans l'ordre. Vous nous manquez de parole, je me veux battre contre vous; vous refusez de vous battre, je vous donne des coups de bâton: tout cela est dans les formes; et vous êtes trop honnête homme pour ne pas approuver mon procédé.
SGANARELLE, à part.
Quel diable d'homme est-ce ci?
ALCIDAS, lui présente encore les deux épées.
Allons, monsieur, faites les choses galamment, et sans vous faire tirer l'oreille.
SGANARELLE.
Encore!
ALCIDAS.
Monsieur, je ne contrains personne; mais il faut que vous vous battiez, ou que vous épousiez ma sœur.
SGANARELLE.
Monsieur, je ne puis faire ni l'un ni l'autre, je vous assure.
ALCIDAS.
Assurément?
SGANARELLE.
Assurément.
ALCIDAS.
Avec votre permission donc...
Alcidas lui donne encore des coups de bâton.
SGANARELLE.
Ah! ah! ah!
ALCIDAS.
Monsieur, j'ai tous les regrets du monde d'être obligé d'en user ainsi avec vous; mais je ne cesserai point, s'il vous plaît, que vous n'ayez promis de vous battre, ou d'épouser ma sœur.
Alcidas lève le bâton.
SGANARELLE.
Eh bien, j'épouserai, j'épouserai.
ALCIDAS.
Ah! monsieur, je suis ravi que vous vous mettiez à la raison, et que les choses se passent doucement. Car enfin vous êtes l'homme du monde que j'estime le plus, je vous jure; et j'aurois été au désespoir que vous m'eussiez contraint à vous maltraiter. Je vais appeler mon père, pour lui dire que tout est d'accord.
Il va frapper à la porte d'Alcantor.
SCÈNE XVII.—ALCANTOR, DORIMÈNE, ALCIDAS, SGANARELLE.
ALCIDAS.
Mon père, voilà monsieur qui est tout à fait raisonnable. Il a voulu faire les choses de bonne grâce, et vous pouvez lui donner ma sœur.
ALCANTOR.
Monsieur, voilà sa main, vous n'avez qu'à donner la vôtre. Loué soit le ciel! m'en voilà déchargé, et c'est vous désormais que regarde le soin de sa conduite. Allons nous réjouir, et célébrer cet heureux mariage.
FIN DU MARIAGE FORCÉ.
Dansé par Sa Majesté, le 29e jour de janvier 1664.
PERSONNAGES | ACTEURS |
SGANARELLE. | Molière. |
GÉRONIMO. | La Thorillière. |
DORIMÈNE. | Mlle Duparc. |
ALCANTOR. | Béjart. |
LYCANTE[227]. | La Grange. |
Première Bohémienne. | Mlle Béjart. |
Seconde Bohémienne. | Mlle Debrie. |
Premier Docteur. | Brécourt. |
Second Docteur. | La Grange. |
ARGUMENT
Comme il n'y a rien au monde qui soit si commun que le mariage, et que c'est une chose sur laquelle les hommes ordinairement se tournent le plus en ridicule, il n'est pas merveilleux que ce soit toujours la matière de la plupart des comédies aussi bien que des ballets, qui sont des comédies muettes; et c'est par là qu'on a pris l'idée de cette comédie-mascarade.
ACTE PREMIER
SCÈNE I.
Sganarelle demande conseil au seigneur Géronimo s'il se doit marier ou non: cet ami lui dit franchement que le mariage n'est guère le fait d'un homme de cinquante ans; 305 mais Sganarelle lui répond qu'il est résolu au mariage; et l'autre, voyant cette extravagance de demander conseil après une résolution prise, lui conseille hautement de se marier, et le quitte en riant.
SCÈNE II.
La maîtresse de Sganarelle arrive, qui lui dit qu'elle est ravie de se marier avec lui, pour pouvoir sortir promptement de la sujétion de son père, et avoir désormais toutes ses coudées franches; et là-dessus elle lui conte la manière dont elle prétend vivre avec lui, qui sera proprement la naïve peinture d'une coquette achevée. Sganarelle reste seul, assez étonné; il se plaint, après ce discours, d'une pesanteur de tête épouvantable; et, se mettant en un coin du théâtre pour dormir, il voit en songe une femme représentée par mademoiselle Hilaire, qui chante ce récit:
RÉCIT DE LA BEAUTÉ
PREMIÈRE ENTRÉE.
LA JALOUSIE, LES CHAGRINS ET LES SOUPÇONS
La Jalousie, le sieur Dolivet.
Les Chagrins, les sieurs Saint-André et Desbrosses.
Les Soupçons, les sieurs de Lorge et le Chantre.
DEUXIÈME ENTRÉE.
QUATRE PLAISANS OU GOGUENARDS
Le comte d'Armagnac, MM. d'Heureux, Beauchamp et Des-Airs le jeune.
ACTE II
SCÈNE I.
Le seigneur Géronimo éveille Sganarelle, qui lui veut conter le songe qu'il vient de faire; mais il lui répond qu'il n'entend rien aux songes, et que, sur le sujet du mariage, il peut consulter deux savants qui sont connus de lui, dont l'un suit la philosophie d'Aristote, et l'autre est pyrrhonien.
SCÈNE II.
Il trouve le premier, qui l'étourdit de son caquet et ne le laisse point parler; ce qui l'oblige à le maltraiter.
SCÈNE III.
Ensuite il rencontre l'autre, qui ne lui répond, suivant sa doctrine, qu'en termes qui ne décident rien; il le chasse avec colère, et là-dessus arrivent deux Égyptiens et quatre Égyptiennes.
TROISIÈME ENTRÉE.
DEUX ÉGYPTIENS, QUATRE ÉGYPTIENNES
Deux Égyptiens, le ROI, le marquis de Villeroy.
Égyptiennes, le marquis de Rassan, les sieurs Raynal, Noblet et la
Pierre.
Il prend fantaisie à Sganarelle de se faire dire sa bonne aventure, et, rencontrant deux bohémiennes, il leur demande s'il sera heureux en son mariage: pour réponse, elles se mettent à danser en se moquant de lui, ce qui l'oblige d'aller trouver un magicien.
RÉCIT D'UN MAGICIEN
CHANTÉ PAR M. DESTIVAL
Mariage.[228]
Destinée.
Ces gens-là.
N'effrayez pas.
QUATRIÈME ENTRÉE
UN MAGICIEN, qui fait sortir QUATRE DÉMONS
Le magicien, M. Beauchamp.
Quatre démons, MM. d'Heureux, de Lorge, Des-Airs l'aîné et le Mercier.
Sganarelle les interroge; ils répondent par signes, et sortent en lui faisant les cornes.
ACTE III
SCÈNE I.
Sganarelle, effrayé de ce présage, veut s'aller dégager au père, qui, ayant ouï la proposition, lui répond qu'il n'a rien à lui dire, et qu'il lui va tout à l'heure envoyer sa réponse.
SCÈNE II.
Cette réponse est un brave doucereux, son fils, qui vient avec civilité à Sganarelle, et lui fait un petit compliment pour se couper la gorge ensemble. Sganarelle l'ayant refusé, il lui donne quelques coups de bâton, le plus civilement du 308 monde; et ces coups de bâton le portent à demeurer d'accord d'épouser la fille.
SCÈNE III.
Sganarelle touche les mains à la fille.
CINQUIÈME ENTRÉE
Un maître à danser, représenté par M. Dolivet, qui vient enseigner une courante à Sganarelle.
SCÈNE IV.
Le seigneur Géronimo vient se réjouir avec son ami, et lui dit que les jeunes gens de la ville ont préparé une mascarade pour honorer ses noces.
CONCERT ESPAGNOL
CHANTÉ PAR LA SIGNORA ANNA BERGEROTTI[229], DORDIGONI, CHIARINI, JON
AGUSTIN, TAILLAVACA[230], ANGELO MICHAEL.
SIXIÈME ENTRÉE.
DEUX ESPAGNOLS et DEUX ESPAGNOLES
Espagnols, MM. du Pille et Tartas.
Espagnoles, Mes. de la Lanne et de Saint-André.
SEPTIÈME ENTRÉE.
UN CHARIVARI GROTESQUE.
M. Lulli, les sieurs Balthazar, Vagnac, Bonnard, la Pierre, Descousteaux, et les trois Opterres, frères.
HUITIÈME ET DERNIÈRE ENTRÉE.
QUATRE GALANTS, cajolant la femme de Sganarelle.
M. le Duc, M. le duc de Saint-Aignan, MM. Beauchamp et Raynal.
FIN DU BALLET DU MARIAGE FORCÉ.
REPRÉSENTÉE A VERSAILLES LE 10 MAI 1664, ET A PARIS, SUR LE THEATRE DU PALAIS-ROYAL, LE 10 NOVEMBRE 1664.
Une pension de mille livres avait récompensé le fils du tapissier, qui avait soupé avec le roi. «On lui donnoit autant qu'à l'abbé de Pure; moins qu'à Conrart, qui avoit quinze cents livres; moins qu'à Cotin, qui en avoit douze cents; moins qu'à Godefroy, qui en touchoit trois mille six cents, et au sublime Chapelain, qui en touchoit trois mille comme le plus grand poëte qui eût jamais existé.»
Bercé par le cours de cette faveur, il écrivit de commande et très-rapidement la Critique de l'École des Femmes, l'Impromptu de Versailles, le Mariage forcé et la Princesse d'Élide, ébauche improvisée d'après l'Espagnol Moreto et destinée à embellir ces merveilleuses fêtes de Versailles, fêtes qui durèrent sept jours et qui passent pour un hommage secret rendu à mademoiselle de la Vallière.
Molière n'eut que le temps de versifier le premier acte; le reste est en prose; M. Viardot a raison d'affirmer que la pièce espagnole de Moreto (el Desden con el desden) vaut beaucoup mieux que l'imitation de Molière. Notre grand comique n'a pas besoin qu'on le loue aux dépens de la vérité. La donnée espagnole, toute méridionale, chère à Guarini et à l'Arioste, reprise en sous-œuvre par Marivaux dans toutes ses comédies, n'est autre chose que la Surprise de l'amour. On ne veut pas s'aimer, on se dédaigne, 311 la guerre commence, elle fait naître l'attention, les vanités se piquent, les cœurs s'éveillent, la passion naît de l'amour-propre ou de la fierté. Un tel sujet, qui touche à ce que le cœur humain a de plus délicat et de plus imprévu, demande une légèreté presque enfantine et une certaine indulgence aimable pour l'inconstante faiblesse du cœur, dons inférieurs peut-être qui ne s'accordent guère avec l'esprit philosophique et la sérieuse tristesse de notre comique. Shakspeare, dans deux ou trois de ses drames, avait esquissé avec une merveilleuse grâce ces caprices bizarres, cette guerre cachée d'un sexe contre l'autre, guerre pleine de contradictions et d'embûches. On connaît sa Béatrice, qui dépense tant d'esprit à rebuter un spirituel amant et qui finit par l'adorer. On se rappelle l'idylle amoureuse et satirique d'As you like it, où les jeux de cette passion fantasque sont parodiés par le paysan Pierre-de-Touche (Touchstone) et sa grossière maîtresse, ainsi que la féerie ravissante du Rêve d'une Nuit d'été.
Molière qui, malgré sa tendresse et sa bonté, ne réussissait guère dans les amoureux caprices, traita ce sujet avec un mélange de gravité élégante et de raillerie populaire, et ne réussit pas. La libre héroïne que Moreto avait créée disparut dans l'œuvre française et fit place à une personne de bon ton qui garde les convenances. Ce ne fut plus la femme castillane, cœur orgueilleux, esprit résolu, en révolte contre le dédain et contre sa propre passion, femme qui, poussée dans ses derniers retranchements, finit par dire à celui qu'elle a choisi: «Tu m'as dédaignée; c'est toi que j'aime.»—«Quel défaut de dignité! se sont écriés les commentateurs, et combien Moreto se montre incivil et peu raisonnable!» Ils oublient que la passion est folle, et que c'est se tromper de la faire raisonnable.
Voilà le défaut de l'œuvre de Molière: elle traite savamment 312 un sujet fantasque. Mais la tendance didactique était universelle sous Louis XIV. Loret, le frivole journaliste, après avoir vu la Princesse d'Élide, croit louer Molière lorsqu'il dit:
Surintendant et directeur dramatique de ces splendides amusements, il fit représenter, le 8 mai, sur un vaste théâtre construit au fond d'une allée, sa Princesse d'Élide; le 11 mai, les Fâcheux; le 13, les trois premiers actes de son Tartuffe; car sa prodigieuse activité était telle et son énergie si puissante, que, forcé à créer des ébauches et à fournir des improvisations dangereuses pour son talent, il avait déjà créé le plan du Misanthrope et lu à ses intimes les cinq actes ébauchés et presque achevés du Tartuffe.
Ces deux grandes structures s'élevaient sous cette même main qui prodiguait les esquisses et obéissait aux volontés du prince. La Princesse d'Élide était son devoir, le Tartuffe était son but.
De son nouvel ouvrage, l'artiste Molière avait fait un opéra espagnol, dans le genre des Loas de Calderon. Déjà la dernière scène du Mariage forcé avait fait entendre un quintette espagnol; ici, par une délicate flatterie adressée aux deux reines, Espagnoles l'une et l'autre, tout, jusqu'au rôle du Gracioso Moron, que Molière s'attribue, est emprunté à la péninsule ibérique.
Moron est un Sancho Pança d'une naïveté piquante et brutale. Il faut voir dans une gravure de l'époque Molière ou Moron, le poing sur la hanche, les reins ceints du tablier, le front orné du casque de sa profession, former un parfait contraste avec les seigneurs et les princes qui l'environnent. A quelques pas de lui, au milieu de la 313 scène, brille et triomphe la belle Armande sa femme, les épaules découvertes, le sein nu, chargée de diamants, le diadème au front, suivie du page qui soutient les plis de sa robe. L'éclat nouveau dont elle brilla dans ce rôle important paraît avoir accru le nombre de ses conquêtes et donné une impulsion nouvelle et plus vive à cette existence de plaisirs et de galanterie qui désolait Molière. S'il fallait en croire le roman intitulé la Fameuse Comédienne ou Histoire de la Guérin, œuvre grossière et licencieuse publiée vingt-quatre ans plus tard, en 1688, par une compagne d'Armande ou par un des pamphlétaires ou romanciers de bas étage, qui inondaient la foire de Francfort et la Hollande de contes satiriques et de commérages graveleux, les premières erreurs de la femme de Molière auraient eu pour point de départ le grand succès obtenu par elle dans la Princesse d'Élide. M. Bazin, dans ses excellentes notes sur Molière, fait très-bien observer que tous les récits recueillis par l'auteur de ce pitoyable livre sont indignes de croyance, et que l'accusation immonde jetée contre Molière par l'auteur, à propos du jeune Baron, détruit à elle seule les autres parties du roman. Si Armande eut tour à tour pour adorateurs le comte de Guiche, qu'elle accueillit par dépit, l'abbé de Richelieu, par amour, et Lauzun, par intérêt, ce ne put pas être immédiatement après les Plaisirs de l'île enchantée, puisque deux de ces personnages partirent pour la Hongrie et pour la Pologne à l'époque même dont il est question. Les malheurs de Molière remontaient plus haut. Il avait élevé cette jeune fille dont il avait fait sa femme, et, comme il le dit dans une de ses pièces, essayant de réparer par des soins l'inégalité d'âge, il lui avait laissé prendre une grande liberté d'action, sans lui faire des crimes des moindres libertés. Les scrupules d'Armande, si elle en a jamais eu, ont dû être fort rassurés par la doctrine exposée dans l'École des Femmes, dans l'École 314 des Maris, et plus encore par les exemples peu sévères de Molière lui-même, et son double Ménage entre Madeleine Béjart et mademoiselle Debrie. Lorsque, ensuite, depuis 1662, toutes les séductions de la cour, au milieu de laquelle Molière vivait avec honneur et avec modestie, vinrent enivrer cette âme légère et cet esprit ambitieux, tout fut dit: Molière n'eut désormais qu'à observer sur le vif et à dépeindre son propre supplice.
PERSONNAGES |
L'AURORE. |
LYCISCAS, valet de chiens. |
Trois Valets de chiens chantans. |
Valets de chiens dansans. |
PERSONNAGES | ACTEURS |
LA PRINCESSE D'ÉLIDE. | Arm. Béjart. |
AGLANTE, cousine de la princesse. | Mlle Duparc. |
CYNTHIE, cousine de la princesse. | Mlle Debrie. |
PHILIS, suivante de la princesse. | Mad. Béjart. |
IPHITAS, père de la princesse. | Hubert. |
EURYALE, prince d'Ithaque. | La Grange. |
ARISTOMÈNE, prince de Messène. | Du Croisy. |
THÉOCLE, prince de Pyle. | Béjart. |
ARBATE, gouverneur du prince d'Ithaque. | La Thorillière. |
MORON, plaisant de la princesse. | Molière. |
LYCAS, suivant d'Iphitas. | Prévot. |
PERSONNAGES DES INTERMÈDES |
PREMIER INTERMÈDE. |
MORON. |
Chasseurs dansans. |
315DEUXIÈME INTERMÈDE. |
PHILIS. |
MORON. |
Un Satyre chantant. |
Satyres dansans. |
TROISIÈME INTERMÈDE. |
PHILIS. |
TIRCIS, berger chantant. |
MORON. |
QUATRIÈME INTERMÈDE. |
LA PRINCESSE. |
PHILIS. |
CLIMÈNE. |
CINQUIÈME INTERMÈDE. |
Bergers et Bergères chantans. |
Bergers et Bergères dansans. |
La scène est en Élide. |
PROLOGUE
SCÈNE I.—L'AURORE, LYCISCAS, ET PLUSIEURS AUTRES VALETS DE CHIENS, endormis et couchés sur l'herbe.
L'AURORE chante.
SCÈNE II.—LYCISCAS, ET AUTRES VALETS DE CHIENS, endormis.
TROIS VALETS DE CHIENS, réveillés par l'Aurore, chantent ensemble.
PREMIER.
DEUXIÈME.
TROISIÈME.
TOUS TROIS ENSEMBLE.
LYCISCAS, en s'éveillant.
Par la morbleu! vous êtes de grands braillards, vous autres, et vous avez la gueule ouverte de bon matin!
TOUS TROIS ENSEMBLE.
LYCISCAS.
Eh! laissez-moi dormir encore un peu, je vous conjure.
TOUS TROIS ENSEMBLE.
Non, non, debout, Lyciscas, debout!
LYCISCAS.
Je ne vous demande plus qu'un petit quart d'heure.
TOUS TROIS ENSEMBLE.
Point, point, debout, vite debout.
LYCISCAS.
Eh! je vous prie.
TOUS TROIS ENSEMBLE.
Debout.
LYCISCAS.
Un moment.
TOUS TROIS ENSEMBLE.
Debout.
LYCISCAS.
De grâce.
TOUS TROIS ENSEMBLE.
Debout.
LYCISCAS.
Eh!
TOUS TROIS ENSEMBLE.
Debout.
LYCISCAS.
Je...
TOUS TROIS ENSEMBLE.
Debout.
LYCISCAS.
J'aurai fait incontinent.
TOUS TROIS ENSEMBLE.
LYCISCAS.
Eh bien, laissez-moi, je vais me lever. Vous êtes d'étranges gens de me tourmenter comme cela! Vous serez cause que je ne me porterai pas bien de toute la journée; car voyez-vous, le sommeil est nécessaire à l'homme; et, lorsqu'on ne dort pas sa réfection, il arrive... que... on n'est...
Il se rendort.
PREMIER.
Lyciscas.
DEUXIÈME.
Lyciscas.
TROISIÈME.
Lyciscas.
TOUS TROIS ENSEMBLE.
Lyciscas.
LYCISCAS.
Diables soient des brailleurs! Je voudrois que vous eussiez la gueule pleine de bouillie bien chaude!
TOUS TROIS ENSEMBLE.
LYCISCAS.
Ah! quelle fatigue de ne pas dormir son soûl!
PREMIER.
Holà! ho!
DEUXIÈME.
Holà! ho!
TROISIÈME.
Holà! ho!
TOUS TROIS ENSEMBLE.
Ho! ho! ho! ho! ho!
LYCISCAS.
Ho! ho! La peste soit des gens avec leurs chiens de hurlemens! Je me donne au diable si je ne vous assomme! Mais voyez un peu quel diable d'enthousiasme il leur prend de me venir chanter aux oreilles comme cela. Je...
TOUS TROIS ENSEMBLE.
Debout.
LYCISCAS.
Encore!
TOUS TROIS ENSEMBLE.
Debout.
LYCISCAS.
Le diable vous emporte!
TOUS TROIS ENSEMBLE.
Debout.
LYCISCAS, en se levant.
Quoi! toujours? A-t-on jamais vu une pareille furie de chanter? Par la sambleu! j'enrage. Puisque me voilà éveillé, il faut que j'éveille les autres, et que je les tourmente 319 comme on m'a fait. Allons, ho! messieurs, debout, debout, vite! c'est trop dormir. Je vais faire un bruit de diable partout. (Il crie de toute sa force.) Debout! debout! debout! Allons vite, ho! ho! ho! debout! debout! Pour la chasse ordonnée, il faut préparer tout: debout! debout! Lyciscas, debout! Ho! ho! ho! ho! ho!
Plusieurs cors et trompes de chasse se font entendre: les valets de chiens que Lyciscas a réveillés dansent une entrée; ils reprennent le son de leurs cors et trompes à certaines cadences.
ACTE PREMIER
SCÈNE I.—EURYALE, ARBATE.
ARBATE.
EURYALE.
ARBATE.
EURYALE.
ARBATE.
EURYALE.
ARBATE.
EURYALE.
ARBATE.
EURYALE.
SCÈNE II.—EURYALE, ARBATE, MORON.
MORON, derrière le théâtre.
EURYALE.
MORON, derrière le théâtre.
EURYALE.
MORON, entrant sans voir personne.
EURYALE.
MORON.
EURYALE.
MORON.
EURYALE.
MORON.
EURYALE.
MORON.
EURYALE.
MORON.
ARBATE.
MORON.
ARBATE.
MORON.
ARBATE.
MORON.
EURYALE.
MORON.
EURYALE.
MORON.
SCÈNE III.—LA PRINCESSE, AGLANTE, CYNTHIE, ARISTOMÈNE, THÉOCLE, EURYALE, PHILIS, ARBATE, MORON.
ARISTOMÈNE.
THÉOCLE.
LA PRINCESSE.
THÉOCLE.
LA PRINCESSE.
SCÈNE IV.—EURYALE, ARBATE, MORON.
MORON.
ARBATE, à Euryale.
MORON.
EURYALE.
ARBATE.
EURYALE.
PREMIER INTERMÈDE
SCÈNE I.—MORON.
Jusqu'au revoir; pour moi, je reste ici, et j'ai une petite conversation à faire avec ces arbres et ces rochers.
SCÈNE II.—MORON, UN ÉCHO.
L'ÉCHO.
Philis.
MORON.
Ah!
L'ÉCHO.
Ah.
MORON.
Hem!
L'ÉCHO.
Hem.
MORON.
Ah! ah!
L'ÉCHO.
Ah.
MORON.
Hi! Hi!
L'ÉCHO.
Hi.
MORON.
Oh!
L'ÉCHO.
Oh.
MORON.
Oh!
L'ÉCHO.
Oh.
MORON.
Voilà un écho qui est bouffon!
L'ÉCHO.
On.
MORON.
Hon!
L'ÉCHO.
Hon.
MORON.
Ah!
L'ÉCHO.
Ah.
MORON.
Hu!
L'ÉCHO.
Hu.
MORON.
Voilà un écho qui es bouffon!
SCÈNE III.—MORON, apercevant un ours, qui vient à lui.
Ah! monsieur l'ours, je suis votre serviteur de tout mon cœur. De grâce, épargnez moi. Je vous assure que je ne vaux rien du tout à manger, je n'ai que la peau et les os, et je vois de certaines gens là-bas qui seroient bien mieux votre affaire. Eh! eh! eh! monseigneur, tout doux, s'il vous plaît. Là (il caresse l'ours, et tremble de frayeur), là, là, là. Ah! monseigneur, que Votre Altesse est jolie et bienfaite! Elle a tout à fait l'air galant, et la taille la plus mignonne du monde. Ah! beau poil, belle tête, beaux yeux brillants et bien fendus! Ah! beau petit nez! belle petite bouche! petites 332 menottes jolies! Ah! belle gorge! belles petites menottes! petits ongles bien faits! (L'ours se lève sur ses pattes de derrière.) A l'aide! au secours! je suis mort! miséricorde! Pauvre Moron! Ah! mon Dieu! Eh! vite, à moi, je suis perdu!
Moron monte sur un arbre.
SCÈNE IV.—MORON, CHASSEURS.
MORON, monté sur un arbre, aux chasseurs.)
Eh! messieurs, ayez pitié de moi! (Les chasseurs combattent l'ours.) Bon! messieurs, tuez-moi ce vilain animal-là. O ciel! daigne les assister! Bon! le voilà qui fuit. Le voilà qui s'arrête, et qui se jette sur eux. Bon! en voilà un qui vient de lui donner un coup dans la gueule. Les voilà tous alentour de lui. Courage! ferme! allons mes amis! Bon! poussez fort! Encore! Ah! le voilà qui est à terre; c'en est fait, il est mort! Descendons maintenant pour lui donner cent coups. (Moron descend de l'arbre.) Serviteur, messieurs! je vous rends grâce de m'avoir délivré de cette bête. Maintenant que vous l'avez tuée, je m'en vais l'achever et en triompher avec vous.
Moron donne mille coups à l'ours, qui est mort.
ENTRÉE DE BALLET
Les chasseurs dansent, pour témoigner leur joie d'avoir remporté la victoire.
ACTE II
SCÈNE I.—LA PRINCESSE, AGLANTE, CYNTHIE, PHILIS.
LA PRINCESSE.
AGLANTE.
LA PRINCESSE.
CYNTHIE.
AGLANTE.
Pour moi, je tiens que cette passion est la plus agréable affaire de la vie; qu'il est nécessaire d'aimer pour vivre heureusement, et que tous les plaisirs sont fades s'il ne s'y mêle un peu d'amour.
LA PRINCESSE.
Pouvez-vous bien toutes deux, étant ce que vous êtes, prononcer ces paroles? et ne devez-vous pas rougir d'appuyer une passion qui n'est qu'erreur, que foiblesses et qu'emportement, et dont tous les désordres ont tant de répugnance avec la gloire de notre sexe? J'en prétends soutenir l'honneur jusqu'au dernier moment de ma vie, et ne veux point du tout me commetre à ces gens qui font les esclaves auprès de nous, pour devenir un jour nos tyrans. Toutes ces larmes, tous ces soupirs, tous ces hommages, tous ces respects, sont des embûches qu'on tend à notre cœur, et qui souvent l'engagent à commettre des lâchetés. Pour moi, quand je regarde certains exemples, et les bassesses épouvantables où cette passion ravale les personnes sur qui elle étend sa puissance, je sens tout mon cœur qui s'émeut; et je ne puis souffrir qu'une âme, qui fait profession d'un peu de fierté, ne trouve pas une honte horrible à de telles foiblesses.
CYNTHIE.
Eh! madame, il est de certaines foiblesses qui ne sont point honteuses, et qu'il est beau même d'avoir dans les plus hauts degrés de gloire. J'espère que vous changerez un jour de pensée; et, s'il plaît au ciel, nous verrons votre cœur, avant qu'il soit peu...
LA PRINCESSE.
Arrêtez! n'achevez pas ce souhait étrange. J'ai une horreur trop invincible pour ces sortes d'abaissemens; et, si 335 jamais j'étois capable d'y descendre, je serois personne sans doute à ne me le point pardonner.
AGLANTE.
Prenez garde, madame, l'amour sait se venger des mépris que l'on fait de lui; et peut-être...
LA PRINCESSE.
Non, non, je brave tous ses traits; et le grand pouvoir qu'on lui donne n'est rien qu'une chimère et qu'une excuse des foibles cœurs, qui le font invincible pour autoriser leur foiblesse.
CYNTHIE.
Mais, enfin, toute la terre reconnoît sa puissance, et vous voyez que les dieux mêmes sont assujettis à son empire. On nous fait voir que Jupiter n'a pas aimé pour une fois, et que Diane même, dont vous affectez tant l'exemple, n'a pas rougi de pousser des soupirs d'amour.
LA PRINCESSE.
Les croyances publiques sont toujours mêlées d'erreur. Les dieux ne sont point faits comme les fait le vulgaire; et c'est leur manquer de respect que de leur attribuer les foiblesses des hommes.
SCÈNE II.—LA PRINCESSE, AGLANTE, CYNTHIE, PHILIS, MORON.
AGLANTE.
Viens, approche, Moron, viens nous aider à défendre l'amour contre les sentiments de la princesse.
LA PRINCESSE.
Voilà votre parti fortifié d'un grand défenseur.
MORON.
Ma foi, madame, je crois qu'après mon exemple il n'y a plus rien à dire, et qu'il ne faut plus mettre en doute le pouvoir de l'amour. J'ai bravé ses armes assez longtemps, et fait de mon drôle[239] comme un autre; mais enfin ma fierté a baissé l'oreille, et vous avez une traîtresse (il montre Philis) qui m'a rendu plus doux qu'un agneau. Après cela on ne 336 doit plus faire aucun scrupule d'aimer; et, puisque j'ai bien passé par là, il peut bien y en passer d'autres.
CYNTHIE.
Quoi! Moron se mêle d'aimer?
MORON.
Fort bien.
CYNTHIE.
Et de vouloir être aimé?
MORON.
Et pourquoi non? Est-ce qu'on n'est pas assez bien fait pour cela? Je pense que ce visage est assez passable, et que, pour le bel air, Dieu merci, nous ne le cédons à personne.
CYNTHIE.
Sans doute, on aurait tort.
SCÈNE III.—LA PRINCESSE, AGLANTE, CYNTHIE, PHILIS, MORON, LYCAS.
LYCAS.
Madame, le prince, votre père, vient vous trouver ici, et conduit avec lui les princes de Pyle et d'Ithaque, et celui de Messène.
LA PRINCESSE.
O ciel! que prétend-il faire en me les amenant? Auroit-il résolu ma perte, et voudroit-il bien me forcer au choix de quelqu'un d'eux?
SCÈNE IV.—IPHITAS, EURYALE, ARISTOMÈNE, THÉOCLE, LA PRINCESSE, AGLANTE, CYNTHIE, PHILIS, MORON.
LA PRINCESSE, à Iphitas.
Seigneur, je vous demande la licence de prévenir par deux paroles la déclaration des pensées que vous pouvez avoir. Il y a deux vérités, seigneur, aussi constantes l'une que l'autre, et dont je puis vous assurer également: l'une, que vous avez un absolu pouvoir sur moi, et que vous ne sauriez m'ordonner rien où je ne réponde aussitôt par une obéissance aveugle; l'autre, que je regarde l'hyménée ainsi que le trépas, et qu'il m'est impossible de forcer cette aversion naturelle. Me donner un mari et me donner la mort, 337 c'est une même chose; mais votre volonté va la première, et mon obéissance m'est bien plus chère que ma vie. Après cela parlez, seigneur; prononcez librement ce que vous voulez.
IPHITAS.
Ma fille, tu as tort de prendre de telles alarmes; et je me plains de toi, qui peux mettre dans ta pensée que je sois assez mauvais père pour vouloir faire violence à tes sentiments et me servir tyranniquement de la puissance que le ciel me donne sur toi. Je souhaite, à la vérité, que ton cœur puisse aimer quelqu'un. Tous mes vœux seroient satisfaits si cela pouvoit arriver: et je n'ai proposé les fêtes et les jeux que je fais célébrer ici qu'afin d'y pouvoir attirer tout ce que la Grèce a d'illustre, et que, parmi cette noble jeunesse, tu puisses enfin rencontrer où arrêter tes yeux et déterminer tes pensées. Je ne demande, dis-je, au ciel autre bonheur que celui de te voir un époux. J'ai, pour obtenir cette grâce, fait encore ce matin un sacrifice à Vénus; et, si je sais bien expliquer le langage des dieux, elle m'a promis un miracle. Mais, quoi qu'il en soit, je veux en user avec toi en père qui chérit sa fille. Si tu trouves où attacher tes vœux, ton choix sera le mien, et je ne considérerai ni intérêt d'État, ni avantages d'alliance; si ton cœur demeure insensible, je n'entreprendrai point de le forcer; mais au moins sois complaisante aux civilités qu'on te rend, et ne m'oblige point à faire les excuses de ta froideur. Traite ces princes avec l'estime que tu leur dois, reçois avec reconnoissance les témoignages de leur zèle, et viens voir cette course où leur adresse va paroître.
THÉOCLE, à la princesse.
Tout le monde va faire des efforts pour remporter le prix de cette course. Mais, à vous dire vrai, j'ai peu d'ardeur pour la victoire, puisque ce n'est pas votre cœur qu'on y doit disputer.
ARISTOMÈNE.
Pour moi, madame, vous êtes le seul prix que je me propose partout. C'est vous que je crois disputer dans ces combats d'adresse, et je n'aspire maintenant à remporter l'honneur 338 de cette course que pour obtenir un degré de gloire qui m'approche de votre cœur.
EURYALE.
Pour moi, madame, je n'y vais point du tout avec cette pensée. Comme j'ai fait toute ma vie profession de ne rien aimer, tous les soins que je prends ne vont point où tendent les autres. Je n'ai aucune prétention sur votre cœur, et le seul honneur de la course est tout l'avantage où j'aspire.
SCÈNE V.—LA PRINCESSE, AGLANTE, CYNTHIE, PHILIS, MORON.
LA PRINCESSE.
D'où sort cette fierté où l'on ne s'attendoit point? Princesses, que dites-vous de ce jeune prince? Avez-vous remarqué de quel ton il l'a pris?
AGLANTE.
Il est vrai que cela est un peu fier.
MORON, à part.
Ah! quelle brave botte il vient là de lui porter!
LA PRINCESSE.
Ne trouvez-vous pas qu'il y auroit plaisir d'abaisser son orgueil et de soumettre un peu ce cœur qui tranche tant du brave?
CYNTHIE.
Comme vous êtes accoutumée à ne jamais recevoir que des hommages et des adorations de tout le monde, un compliment pareil au sien doit vous surprendre, à la vérité.
LA PRINCESSE.
Je vous avoue que cela m'a donné de l'émotion, et que je souhaiterois fort de trouver les moyens de châtier cette hauteur. Je n'avois pas beaucoup d'envie de me trouver à cette course; mais j'y veux aller exprès, et employer toute chose pour lui donner de l'amour.
CYNTHIE.
Prenez garde, madame. L'entreprise est périlleuse; et, lorsqu'on veut donner de l'amour, on court risque d'en recevoir.
LA PRINCESSE.
Ah! n'appréhendez rien, je vous prie. Allons, je vous réponds de moi.
DEUXIÈME INTERMÈDE
SCÈNE I.—PHILIS, MORON.
MORON.
Philis, demeure ici.
PHILIS.
Non. Laisse-moi suivre les autres.
MORON.
Ah! cruelle, si c'étoit Tircis qui t'en priât, tu demeurerois bien vite.
PHILIS.
Cela se pourroit faire, et je demeure d'accord que je trouve bien mieux mon compte avec l'un qu'avec l'autre; car il me divertit avec sa voix, et toi tu m'étourdis de ton caquet. Lorsque tu chanteras aussi bien que lui, je te promets de t'écouter.
MORON.
Eh! demeure un peu.
PHILIS.
Je ne saurois.
MORON.
De grâce!
PHILIS.
Point, te dis-je.
MORON, retenant Philis.
Je ne te laisserai point aller...
PHILIS.
Ah! que de façons!
MORON.
Je ne te demande qu'un moment à être avec toi.
PHILIS.
Eh bien, oui, j'y demeurerai, pourvu que tu me promettes une chose.
MORON.
Et quelle?
PHILIS.
De ne me parler point du tout.
MORON.
Et! Philis.
PHILIS.
A moins que de cela, je ne demeurerai point avec toi.
MORON.
Veux-tu me...
PHILIS.
Laisse-moi aller.
MORON.
Eh bien, oui, demeure. Je ne te dirai mot.
PHILIS.
Prends-y bien garde, au moins; car à la moindre parole je prends la fuite.
MORON.
Soit. (Après avoir fait une scène de gestes.) Ah! Philis!... Eh!...
SCÈNE II.—MORON.
Elle s'enfuit, et je ne saurois l'attraper. Voilà ce que c'est. Si je savois chanter, j'en ferois bien mieux mes affaires. La plupart des femmes aujourd'hui se laissent prendre par les oreilles; elles sont cause que tout le monde se mêle de musique, et l'on ne réussit auprès d'elles que par les petites chansons et les petits vers qu'on leur fait entendre. Il faut que j'apprenne à chanter, pour faire comme les autres. Bon, voici justement mon homme.
SCÈNE III.—UN SATYRE, MORON.
LE SATYRE.
La, la, la.
MORON.
Ah! satyre, mon ami, tu sais bien ce que tu m'as promis il y a longtemps. Apprends-moi à chanter, je te prie.
LE SATYRE.
Je le veux, mais auparavant écoute une chanson que je viens de faire.
MORON, bas, à part.
Il est si accoutumé à chanter, qu'il ne sauroit parler d'autre façon. (Haut.) Allons, chante, j'écoute.
LE SATYRE chante.
Je portois...
MORON.
Une chanson? dis-tu.
LE SATYRE.
Je port...
MORON.
Une chanson à chanter?
LE SATYRE.
Je port...
MORON.
Chanson amoureuse? Peste!
LE SATYRE.
Moron demande au satire une chanson plus passionnée, et le prie de lui dire celle qu'il lui avoit ouï chanter quelques jours auparavant.
LE SATYRE chante.
MORON.
Ah! qu'elle est belle! Apprends-la-moi.
LE SATYRE.
La, la, la, la.
MORON.
La, la, la, la.
LE SATYRE.
Fa, fa, fa, fa.
MORON.
Fat toi-même!
ENTRÉE DU BALLET
Le satyre, en colère, menace Moron, et plusieurs satyres dansent une entrée plaisante.
ACTE III
SCÈNE I.—LA PRINCESSE, AGLANTE, CYNTHIE, PHILIS.
CYNTHIE.
Il est vrai, madame, que ce jeune prince a fait voir une adresse non commune, et que l'air dont il a paru a été quelque chose de surprenant. Il sort vainqueur de cette course. Mais je doute fort qu'il en sorte avec le même cœur qu'il y a porté; car enfin vous lui avez tiré des traits dont il est difficile de se défendre; et, sans parler de tout le reste, la grâce de votre danse et la douceur de votre voix ont eu des charmes aujourd'hui à toucher les plus insensibles.
LA PRINCESSE.
Le voici qui s'entretient avec Moron; nous saurons un peu de quoi il lui parle. Ne rompons point encore leur entretien, et prenons cette route pour revenir à leur rencontre.
SCÈNE II.—EURYALE, ARBATE, MORON.
EURYALE.
Ah! Moron, je te l'avoue j'ai été enchanté; et jamais tant de charmes n'ont frappé tout ensemble mes yeux et mes oreilles. Elle est adorable en tout temps, il est vrai, mais ce moment l'a emporté sur tous les autres, et des grâces nouvelles ont redoublé l'éclat de ses beautés. Jamais son visage ne s'est paré de plus vives couleurs, ni ses yeux ne se sont armés de traits plus vifs et plus perçans. La douceur de sa 343 voix a voulu se faire paroître dans un air tout charmant qu'elle a daigné chanter; et les sons merveilleux qu'elle formoit passoient jusqu'au fond de mon âme et tenoient tous mes sens dans un ravissement à ne pouvoir en revenir. Elle a fait éclater ensuite une disposition toute divine, et ses pieds amoureux sur l'émail d'un tendre gazon traçoient d'aimables caractères qui m'enlevoient hors de moi-même et m'attachoient par des nœuds invincibles aux doux et justes mouvemens dont tout son corps suivoit les mouvemens de l'harmonie. Enfin, jamais âme n'a eu de plus puissantes émotions que la mienne; et j'ai pensé plus de vingt fois oublier ma résolution, pour me jeter à ses pieds et lui faire un aveu sincère de l'ardeur que je sens pour elle.
MORON.
Donnez-vous-en bien de garde, seigneur, si vous m'en voulez croire. Vous avez trouvé la meilleure invention du monde, et je me trompe fort si elle ne vous réussit. Les femmes sont des animaux d'un naturel bizarre; nous les gâtons par nos douceurs; et je crois tout de bon que nous les verrions tous courir, sans tous ces respects et ces soumissions où les hommes les acoquinent.
ARBATE.
Seigneur, voici la princesse qui s'est un peu éloignée de sa suite.
MORON.
Demeurez ferme, au moins, dans le chemin que vous avez pris. Je m'en vais voir ce qu'elle me dira. Cependant promenez-vous ici dans ces petites routes, sans faire aucun semblant d'avoir envie de la joindre; et, si vous l'abordez, demeurez avec elle le moins qu'il vous sera possible.
SCÈNE III.—LA PRINCESSE, MORON.
LA PRINCESSE.
Tu as donc familiarité, Moron, avec le prince d'Ithaque?
MORON.
Ah! madame, il y a longtemps que nous nous connoissons.
LA PRINCESSE.
D'où vient qu'il n'est pas venu jusqu'ici, et qu'il a pris cette autre route quand il m'a vue?
MORON.
C'est un homme bizarre, qui ne se plaît qu'à entretenir ses pensées.
LA PRINCESSE.
Étois-tu tantôt au compliment qu'il m'a fait?
MORON.
Oui, madame, j'y étois, et je l'ai trouvé un peu impertinent, n'en déplaise à sa principauté.
LA PRINCESSE.
Pour moi, je le confesse, Moron, cette fuite m'a choquée; et j'ai toutes les envies du monde de l'engager, pour rabattre un peu son orgueil.
MORON.
Ma foi, madame, vous ne feriez pas mal; il le mériteroit bien; mais, à vous dire vrai, je doute fort que vous y puissiez réussir.
LA PRINCESSE.
Comment?
MORON.
Comment? C'est le plus orgueilleux petit vilain que vous ayez jamais vu. Il lui semble qu'il n'y a personne au monde qui le mérite, et que la terre n'est pas digne de le porter.
LA PRINCESSE.
Mais encore ne t'a-t-il point parlé de moi?
MORON.
Lui? non.
LA PRINCESSE.
Il ne t'a rien dit de ma voix et de ma danse?
MORON.
Pas le moindre mot.
LA PRINCESSE.
Certes, ce mépris est choquant, et je ne puis souffrir cette hauteur étrange de ne rien estimer.
MORON.
Il n'estime et n'aime que lui.
LA PRINCESSE.
Il n'y a rien que je ne fasse pour le soumettre comme il faut.
MORON.
Nous n'avons point de marbre dans nos montagnes qui soit plus dur et plus insensible que lui.
LA PRINCESSE.
Le voilà.
MORON.
Voyez-vous comme il passe, sans prendre garde à vous?
LA PRINCESSE.
De grâce, Moron, va le faire aviser que je suis ici, et l'oblige à me venir aborder.
SCÈNE IV.—LA PRINCESSE, EURYALE, MORON.
MORON, allant au-devant d'Euryale, et lui parlant bas.
Seigneur, je vous donne avis que tout va bien. La princesse souhaite que vous l'abordiez; mais songez bien à continuer votre rôle; et, de peur de l'oublier, ne soyez pas longtemps avec elle.
LA PRINCESSE.
Vous êtes bien solitaire, seigneur: et c'est une humeur bien extraordinaire que la vôtre, de renoncer ainsi à notre sexe, et de fuir, à votre âge, cette galanterie dont se piquent tous vos pareils.
EURYALE.
Cette humeur, madame, n'est pas si extraordinaire qu'on n'en trouvât des exemples sans aller loin d'ici; et vous ne sauriez condamner la résolution que j'ai prise de n'aimer jamais rien, sans condamner aussi vos sentimens.
LA PRINCESSE.
Il y a grande différence; et ce qui sied bien à un sexe ne sied pas bien à l'autre. Il est beau qu'une femme soit insensible et conserve son cœur exempt des flammes de l'amour; mais ce qui est vertu en elle devient un crime dans un homme; et, comme la beauté est le partage de notre sexe, vous ne sauriez ne nous point aimer sans nous dérober les hommages qui nous sont dus, et commettre une offense dont nous devons toutes nous ressentir.
EURYALE.
Je ne vois pas, madame, que celles qui ne veulent point aimer doivent prendre aucun intérêt à ces sortes d'offenses.
LA PRINCESSE.
Ce n'est pas une raison, seigneur; et, sans vouloir aimer, on est toujours bien aise d'être aimée.
EURYALE.
Pour moi, je ne suis pas de même; et, dans le dessein où je suis de ne rien aimer, je serois fâché d'être aimé.
LA PRINCESSE.
Et la raison?
EURYALE.
C'est qu'on a obligation à ceux qui nous aiment, et que je serois fâché d'être ingrat.
LA PRINCESSE.
Si bien donc que, pour fuir l'ingratitude, vous aimeriez qui vous aimeroit?
EURYALE.
Moi, madame? Point du tout. Je dis bien que je serois fâché d'être ingrat; mais je me résoudrois plutôt de l'être que d'aimer.
LA PRINCESSE.
Telle personne vous aimeroit peut-être, que votre cœur...
EURYALE.
Non, madame. Rien n'est capable de toucher mon cœur. Ma liberté est la seule maîtresse à qui je consacre mes vœux; et quand le ciel emploieroit ses soins à composer une beauté parfaite, quand il assembleroit en elle tous les dons les plus merveilleux et du corps et de l'âme, enfin quand il exposeroit à mes yeux un miracle d'esprit, d'adresse et de beauté, et que cette personne m'aimeroit avec toutes les tendresses imaginables, je vous l'avoue franchement, je ne l'aimerois pas.
LA PRINCESSE, à part.
A-t-on jamais rien vu de tel?
MORON, à la princesse.
Peste soit du petit brutal! J'aurois bien envie de lui bailler un coup de poing.
LA PRINCESSE, à part.
Cet orgueil me confond, et j'ai un tel dépit, que je ne me sens pas!
MORON, bas, au prince.
Bon courage, seigneur! Voilà qui va le mieux du monde.
EURYALE, bas, à Moron.
Ah! Moron, je n'en puis plus! et je me suis fait des efforts étranges.
LA PRINCESSE, à Euryale.
C'est avoir une insensibilité bien grande que de parler comme vous faites.
EURYALE.
Le ciel ne m'a pas fait d'une autre humeur. Mais, madame, j'interromps votre promenade, et mon respect doit m'avertir que vous aimez la solitude.
SCÈNE V.—LA PRINCESSE, MORON.
MORON.
Il ne vous en doit rien, madame, en dureté de cœur.
LA PRINCESSE.
Je donnerois volontiers tout ce que j'ai au monde pour avoir l'avantage d'en triompher.
MORON.
Je le crois.
LA PRINCESSE.
Ne pourrais-tu, Moron, me servir dans un tel dessein?
MORON.
Vous savez bien, madame, que je suis tout à votre service.
LA PRINCESSE.
Parle-lui de moi dans tes entretiens; vante-lui adroitement ma personne et les avantages de ma naissance, et tâche d'ébranler ses sentimens par la douceur de quelque espoir. Je te permets de dire tout ce que tu voudras, pour tâcher à me l'engager.
MORON.
Laissez-moi faire.
LA PRINCESSE.
C'est une chose qui me tient au cœur. Je souhaite ardemment qu'il m'aime.
MORON.
Il est bien fait, oui, ce petit pendard-là, il a bon air, 348 bonne physionomie, et je crois qu'il seroit assez le fait d'une jeune princesse.
LA PRINCESSE.
Enfin, tu peux tout espérer de moi, si tu trouves moyen d'enflammer pour moi son cœur.
MORON.
Il n'y a rien qui ne se puisse faire. Mais, madame, s'il venoit à vous aimer, que feriez-vous, s'il vous plaît?
LA PRINCESSE.
Ah! ce seroit lors que je prendrois plaisir à triompher pleinement de sa vanité, à punir son mépris par mes froideurs, et à exercer sur lui toutes les cruautés que je pourrois imaginer.
MORON.
Il ne se rendra jamais.
LA PRINCESSE.
Ah! Moron, il faut faire en sorte qu'il se rende.
MORON.
Non, il n'en fera rien. Je le connois; ma peine seroit inutile.
LA PRINCESSE.
Si[240] faut-il pourtant tenter toutes choses, et éprouver si son âme est entièrement insensible. Allons. Je veux lui parler, et suivre une pensée qui vient de me venir.
TROISIÈME INTERMÈDE
SCÈNE I.—PHILIS, TIRCIS.
PHILIS.
Viens, Tircis. Laissons-les aller et me dis un peu ton martyre de la façon que tu sais faire. Il y a longtemps que tes yeux me parlent, mais je suis plus aise d'ouïr ta voix.
TIRCIS, chante.
PHILIS.
Va, va, c'est déjà quelque chose que de toucher l'oreille, et le temps amène tout. Chante-moi cependant quelque plainte nouvelle que tu aies composée pour moi.
SCÈNE II.—MORON, PHILIS, TIRCIS.
MORON.
Ah! ah! je vous y prends, cruelle! vous vous écartez des autres pour ouïr mon rival!
PHILIS.
Oui, je m'écarte pour cela. Je te le dis encore, je me plais avec lui; et l'on écoute volontiers les amans, lorsqu'ils se plaignent aussi agréablement qu'il fait. Que ne chantes-tu comme lui? je prendrois plaisir à t'écouter.
MORON.
Si je ne sais chanter, je sais faire autre chose; et quand...
PHILIS.
Tais-toi. Je veux l'entendre. Dis, Tircis, ce que tu voudras.
MORON.
Ah! cruelle!...
PHILIS.
Silence, dis-je, ou je me mettrai en colère.
TIRCIS chante.
MORON
Morbleu! que n'ai-je de la voix! Ah! nature marâtre, pourquoi ne m'as-tu pas donné de quoi chanter comme à un autre?
PHILIS.
En vérité, Tircis, il ne se peut rien de plus agréable, et tu l'emportes sur tous les rivaux que tu as.
MORON.
Mais pourquoi est-ce que je ne puis pas chanter? n'ai-je pas un estomac, un gosier et une langue comme un autre? Oui, oui, allons. Je veux chanter aussi, et te montrer que l'amour fait faire toutes choses. Voici une chanson que j'ai faite pour toi.
PHILIS.
Oui, dis. Je veux bien t'écouter pour la rareté du fait.
MORON.
Courage, Moron! Il n'y a qu'à avoir de la hardiesse.
Il chante.
Vivat! Moron.
PHILIS.
Voilà qui est le mieux du monde. Mais, Moron, je souhaiterois bien d'avoir la gloire que quelque amant fût mort pour moi. C'est un avantage dont je n'ai pas encore joui; et je trouve que j'aimerois de tout mon cœur une personne qui m'aimeroit assez pour se donner la mort.
MORON.
Tu aimerois une personne qui se tueroit pour toi?
PHILIS.
Oui.
MORON.
Il ne faut que cela pour te plaire?
PHILIS.
Non.
MORON.
Voilà qui est fait. Je te veux montrer que je me sais tuer quand je veux.
TIRCIS, chante.
MORON, à Tircis.
C'est un plaisir que vous aurez quand vous voudrez.
TIRCIS, chante.
MORON, à Tircis.
Je vous prie de vous mêler de vos affaires, et de me laisser tuer à ma fantaisie. Allons, je vais faire honte à tous les amans. (A Philis.) Tiens, je ne suis pas homme à faire tant de façons. Vois ce poignard. Prends bien garde comme je me vais percer le cœur. Je suis votre serviteur. Quelque niais!
PHILIS.
Allons, Tircis, viens-t'en me redire à l'écho ce que tu m'as chanté.
ACTE IV
SCÈNE I.—LA PRINCESSE, EURYALE, MORON.
LA PRINCESSE.
Prince, comme jusqu'ici nous avons fait paroître une conformité de sentimens, et que le ciel a semblé mettre en nous mêmes attachemens pour notre liberté, et même aversion pour l'amour, je suis bien aise de vous ouvrir le cœur, et de vous faire confidence d'un changement dont vous serez surpris. J'ai toujours regardé l'hymen comme une chose affreuse, et j'avois fait serment d'abandonner plutôt la vie que de me résoudre jamais à perdre cette liberté, pour qui j'avois des tendresses si grandes; mais enfin un moment a dissipé toutes ces résolutions. Le mérite d'un prince m'a frappé aujourd'hui les yeux; et mon âme tout d'un coup, comme par un miracle, est devenue sensible aux traits de cette passion que j'avois toujours méprisée. J'ai trouvé d'abord des raisons pour autoriser ce changement, et je puis l'appuyer de ma volonté de répondre aux ardentes sollicitations d'un père et aux vœux de tout un État; mais, à vous dire vrai, je suis en peine du jugement que vous 352 ferez de moi, et je voudrois savoir si vous condamnerez, ou non, le dessein que j'ai de me donner un époux.
EURYALE.
Vous pourriez faire un tel choix, madame, que je l'approuverois sans doute.
LA PRINCESSE.
Qui croyez-vous, à votre avis, que je veuille choisir?
EURYALE.
Si j'étois dans votre cœur, je pourrois vous le dire; mais, comme je n'y suis pas, je n'ai garde de vous répondre.
LA PRINCESSE.
Devinez pour voir, et nommez quelqu'un.
EURYALE.
J'aurois trop peur de me tromper.
LA PRINCESSE.
Mais encore, pour qui souhaiteriez-vous que je me déclarasse?
EURYALE.
Je sais bien, à vous dire vrai, pour qui je le souhaiterois; mais, avant que de m'expliquer, je dois savoir votre pensée.
LA PRINCESSE.
Eh bien, prince, je veux bien vous la découvrir. Je suis sûre que vous allez approuver mon choix; et, pour ne vous point tenir en suspens davantage, le prince de Messène est celui de qui le mérite s'est attiré mes vœux.
EURYALE, à part.
O ciel!
LA PRINCESSE, bas, à Moron.
Mon invention a réussi, Moron. Le voilà qui se trouble.
MORON, à la princesse.
Bon, madame. (Au prince.) Courage, seigneur. (A la princesse.) Il en tient. (Au prince.) Ne vous défaites pas[241].
LA PRINCESSE, à Euryale.
Ne trouvez-vous pas que j'ai raison, et que ce prince a tout le mérite qu'on peut avoir?
MORON, bas, au prince.
Remettez-vous et songez à répondre.
LA PRINCESSE.
D'où vient, prince, que vous ne dites mot et semblez interdit?
EURYALE.
Je le suis, à la vérité; et j'admire, madame, comme le ciel a pu former deux âmes aussi semblables en tout que les nôtres, deux âmes en qui l'on ait vu une plus grande conformité de sentiments, qui aient fait éclater dans le même temps une résolution à braver les traits de l'amour, et qui, dans le même moment, aient fait paroître une égale facilité à perdre le nom d'insensibles. Car enfin, madame, puisque votre exemple m'autorise, je ne feindrai point de vous dire que l'amour aujourd'hui s'est rendu maître de mon cœur, et qu'une des princesses vos cousines, l'aimable et belle Aglante, a renversé d'un coup d'œil tous les projets de ma fierté. Je suis ravi, madame, que, par cette égalité de défaite, nous n'ayons rien à nous reprocher l'un à l'autre; et je ne doute point que, comme je vous loue infiniment de votre choix, vous n'approuviez aussi le mien. Il faut que ce miracle éclate aux yeux de tout le monde, et nous ne devons point différer à nous rendre tous deux contens. Pour moi, madame, je vous sollicite de vos suffrages pour obtenir celle que je souhaite, et vous trouverez bon que j'aille de ce pas en faire la demande au prince votre père.
MORON, bas à Euryale.
Ah! digne, ah! brave cœur!
SCÈNE II.—LA PRINCESSE, MORON.
LA PRINCESSE.
Ah! Moron, je n'en puis plus, et ce coup, que je n'attendois pas, triomphe absolument de toute ma fermeté.
MORON.
Il est vrai que le coup est surprenant, et j'avois cru d'abord que votre stratagème avoit fait son effet.
LA PRINCESSE.
Ah! ce m'est un dépit à me désespérer, qu'une autre ait l'avantage de soumettre ce cœur que je voulois soumettre.
SCÈNE III.—LA PRINCESSE, AGLANTE, MORON.
LA PRINCESSE.
Princesse, j'ai à vous prier d'une chose qu'il faut absolument que vous m'accordiez. Le prince d'Ithaque vous aime et veut vous demander au prince mon père.
AGLANTE.
Le prince d'Ithaque, madame?
LA PRINCESSE.
Oui. Il vient de m'en assurer lui-même, et m'a demandé mon suffrage pour vous obtenir; mais je vous conjure de rejeter cette proposition et de ne point prêter l'oreille à tout ce qu'il pourra vous dire.
AGLANTE.
Mais, madame, s'il étoit vrai que ce prince m'aimât effectivement, pourquoi, n'ayant aucun dessein de vous engager, ne voudriez-vous pas souffrir?...
LA PRINCESSE.
Non, Aglante. Je vous le demande. Faites-moi ce plaisir, je vous prie, et trouvez bon que, n'ayant pu avoir l'avantage de le soumettre, je lui dérobe la joie de vous obtenir.
AGLANTE.
Madame, il faut vous obéir; mais je croirois que la conquête d'un tel cœur ne seroit pas une victoire à dédaigner.
LA PRINCESSE.
Non, non, il n'aura pas la joie de me braver entièrement.
SCÈNE IV.—LA PRINCESSE, ARISTOMÈNE, AGLANTE, MORON.
ARISTOMÈNE.
Madame, je viens à vos pieds rendre grâce à l'Amour de mes heureux destins, et vous témoigner avec mes transports le ressentiment où je suis des bontés surprenantes dont vous daignez favoriser le plus soumis de vos captifs.
LA PRINCESSE.
Comment?
ARISTOMÈNE.
Le prince d'Ithaque, madame, vient de m'assurer tout à 355 l'heure que votre cœur avoit eu la bonté de s'expliquer en ma faveur sur ce célèbre choix qu'attend toute la Grèce.
LA PRINCESSE.
Il vous a dit qu'il tenoit cela de ma bouche?
ARISTOMÈNE.
Oui, madame.
LA PRINCESSE.
C'est un étourdi; et vous êtes un peu trop crédule, prince, d'ajouter foi si promptement à ce qu'il vous a dit. Une pareille nouvelle méritoit bien, ce me semble, qu'on en doutât un peu de temps; et c'est tout ce que vous pourriez faire de la croire, si je vous l'avois dite moi-même.
ARISTOMÈNE.
Madame, si j'ai été trop prompt à me persuader...
LA PRINCESSE.
De grâce, prince, brisons-là ce discours; et si vous voulez m'obliger, souffrez que je puisse jouir de deux moments de solitude.
SCÈNE V.—LA PRINCESSE, AGLANTE, MORON.
LA PRINCESSE.
Ah! qu'en cette aventure le ciel me traite avec une rigueur étrange! au moins, princesse, souvenez-vous de la prière que je vous ai faite.
AGLANTE.
Je vous l'ai dit déjà, madame, il faut vous obéir...
SCÈNE VI.—LA PRINCESSE, MORON.
MORON.
Mais, madame, s'il vous aimoit, vous n'en voudriez point, et cependant vous ne voulez pas qu'il soit à une autre. C'est faire justement comme le chien du jardinier[242].
LA PRINCESSE.
Non, je ne puis souffrir qu'il soit heureux avec une autre; et, si la chose étoit, je crois que j'en mourrois de déplaisir.
MORON.
Ma foi, madame, avouons la dette. Vous voudriez qu'il 356 fût à vous; et, dans toutes vos actions, il est aisé de voir que vous aimez un peu ce jeune prince.
LA PRINCESSE.
Moi, je l'aime! O ciel! je l'aime! Avez-vous l'insolence de prononcer ces paroles? Sortez de ma vue, impudent, et ne vous présentez jamais devant moi!
MORON.
Madame...
LA PRINCESSE.
Retirez-vous d'ici, vous dis-je, ou je vous en ferai retirer d'une autre manière.
MORON, bas, à part.
Ma foi, son cœur en a sa provision; et...
Il rencontre un regard de la princesse, qui l'oblige à se retirer.
SCÈNE VII.—LA PRINCESSE.
De quelle émotion inconnue sens-je mon cœur atteint? Et quelle inquiétude secrète est venue troubler tout d'un coup la tranquillité de mon âme? Ne seroit-ce point aussi ce qu'on vient de me dire? et, sans en rien savoir n'aimerois-je point ce jeune prince? Ah! si cela étoit, je serois personne à me désespérer! Mais il est impossible que cela soit, et je vois bien que je ne puis pas l'aimer. Quoi! je ne serois capable de cette lâcheté! J'ai vu toute la terre à mes pieds avec la plus grande insensibilité du monde; les respects, les hommages et les soumissions n'ont jamais pu toucher mon âme, et la fierté et le dédain en auroient triomphé! J'ai méprisé tous ceux qui m'ont aimée, et j'aimerois le seul qui me méprise! Non, non, je sais bien que je ne l'aime pas. Il n'y a pas de raison à cela. Mais, si ce n'est pas de l'amour que ce que je sens maintenant, qu'est-ce donc que ce peut-être? et d'où vient ce poison qui me court par toutes les veines et ne me laisse point en repos avec moi-même? Sors de mon cœur, qui que tu sois, ennemi qui te caches. Attaque-moi visiblement, et deviens à mes yeux la plus affreuse bête de tous nos bois, afin que mon dard et mes flèches me puissent défaire de toi.
QUATRIÈME INTERMÈDE
SCÈNE I.—LA PRINCESSE.
O vous, admirables personnes, qui, par la douceur de vos chants, avez l'art d'adoucir les plus fâcheuses inquiétudes, approchez-vous d'ici, de grâce; et tâchez de charmer, avec votre musique, le chagrin où je suis.
SCÈNE II.—LA PRINCESSE, CLIMÈNE, PHILIS.
CLIMÈNE, chante.
Chère Philis, dis-moi, que crois-tu de l'amour?
PHILIS, chante.
Toi-même, qu'en crois-tu, ma compagne fidèle?
CLIMÈNE.
On m'a dit que sa flamme est pire qu'un vautour,
Et qu'on souffre en aimant, une peine cruelle.
PHILIS.
On m'a dit qu'il n'est point de passion plus belle,
Et que ne pas aimer, c'est renoncer au jour.
CLIMÈNE.
A qui des deux donnerons-nous victoire?
PHILIS.
Qu'en croirons-nous, ou le mal, ou le bien?
TOUTES DEUX ENSEMBLE.
Aimons, c'est le vrai moyen
De savoir ce qu'on en doit croire.
PHILIS.
Chloris vante partout l'amour et ses ardeurs.
CLIMÈNE.
Amarante pour lui verse en tous lieux des larmes.
PHILIS.
Si de tant de tourments il accable les cœurs,
D'où vient qu'on aime à lui rendre les armes?
CLIMÈNE.
Si sa flamme, Philis, est si pleine de charmes,
Pourquoi nous défend-on d'en goûter les douceurs?
PHILIS.
A qui des deux donnerons-nous victoire?
CLIMÈNE.
Qu'en croirons-nous, ou le mal, ou le bien?
TOUTES DEUX ENSEMBLE.
Aimons, c'est le vrai moyen
De savoir ce qu'on en doit croire.
LA PRINCESSE.
Achevez seules, si vous voulez. Je ne saurois demeurer en repos; et quelque douceur qu'aient vos chants, ils ne font que redoubler mon inquiétude.
ACTE V
SCÈNE I.—IPHITAS, EURYALE, AGLANTE, CYNTHIE, MORON.
MORON, à Iphitas.
Oui, seigneur, ce n'est point raillerie; j'en suis ce qu'on appelle disgracié. Il m'a fallu tirer mes chausses au plus vite[243], et jamais vous n'avez vu un emportement plus brusque que le sien.
IPHITAS, à Euryale.
Ah! prince, que je devrai de grâce à ce stratagème amoureux, s'il faut qu'il ait trouvé le secret de toucher son cœur!
EURYALE.
Quelque chose, seigneur, que l'on vienne de vous en dire, je n'ose encore, pour moi, me flatter de ce doux espoir; mais enfin, si ce n'est pas à moi trop de témérité que d'oser aspirer à l'honneur de votre alliance, si ma personne et mes États...
IPHITAS.
Prince, n'entrons point dans ces compliments. Je trouve en vous de quoi remplir tous les souhaits d'un père; et, si vous avez le cœur de ma fille, il ne vous manque rien.
SCÈNE II.—LA PRINCESSE, IPHITAS, EURYALE, AGLANTE, CYNTHIE, MORON.
LA PRINCESSE.
O ciel! que vois-je ici!
IPHITAS, à Euryale.
Oui, l'honneur de votre alliance m'est d'un prix très-considérable, et je souscris aisément de tous mes suffrages à la demande que vous me faites.
LA PRINCESSE, à Iphitas.
Seigneur, je me jette à vos pieds pour vous demander une grâce. Vous m'avez toujours témoigné une tendresse extrême, et je crois vous devoir bien plus par les bontés que vous m'avez fait voir que par le jour que vous m'avez donné. Mais, si jamais vous avez eu de l'amitié pour moi, je vous en demande aujourd'hui la plus sensible preuve que vous me puissiez accorder; c'est de n'écouter point, seigneur, la demande de ce prince, et de ne pas souffrir que la princesse Aglante soit unie avec lui.
IPHITAS.
Et par quelle raison, ma fille, voudrois-tu t'opposer à cette union?
LA PRINCESSE.
Par raison que je hais ce prince, et que je veux, si je puis, traverser ses desseins.
IPHITAS.
Tu le hais, ma fille!
LA PRINCESSE.
Oui, et de tout mon cœur, je vous l'avoue.
IPHITAS.
Et que t'a-t-il fait?
LA PRINCESSE.
Il m'a méprisée.
IPHITAS.
Et comment?
LA PRINCESSE.
Il ne m'a pas trouvée assez bien faite pour m'adresser ses vœux.
IPHITAS.
Et quelle offense te fait cela? tu ne veux accepter personne.
LA PRINCESSE.
N'importe. Il me devoit aimer comme les autres, et me laisser au moins la gloire de le refuser. Sa déclaration me fait un affront; et ce m'est une honte sensible qu'à mes yeux, et au milieu de votre cour, il a recherché une autre que moi.
IPHITAS.
Mais quel intérêt dois-tu prendre à lui?
LA PRINCESSE.
J'en prends, seigneur, à me venger de son mépris; et, comme je sais bien qu'il aime Aglante avec beaucoup d'ardeur, je veux empêcher, s'il vous plaît, qu'il ne soit heureux avec elle.
IPHITAS.
Cela te tient donc bien au cœur?
LA PRINCESSE.
Oui, seigneur, sans doute; et, s'il obtient ce qu'il demande, vous me verrez expirer à vos yeux.
IPHITAS.
Va, va, ma fille, avoue franchement la chose. Le mérite de ce prince t'a fait ouvrir les yeux, et tu l'aimes enfin, quoi que tu puisses dire.
LA PRINCESSE.
Moi, seigneur?
IPHITAS.
Oui, tu l'aimes.
LA PRINCESSE.
Je l'aime, dites-vous? et vous m'imputez cette lâcheté! O ciel! quelle est mon infortune! Puis-je bien, sans mourir, entendre ces paroles? Et faut-il que je sois si malheureuse, qu'on me soupçonne de l'aimer? Ah! si c'étoit un autre que vous, seigneur, qui me tînt ce discours, je ne sais pas ce que je ne ferois point!
IPHITAS.
Et bien, oui, tu ne l'aimes pas. Tu le hais, j'y consens, et 361 je veux bien, pour te contenter, qu'il n'épouse pas la princesse Aglante.
LA PRINCESSE.
Ah! Seigneur, vous me donnez la vie!
IPHITAS.
Mais, afin d'empêcher qu'il ne puisse être jamais à elle, il faut que tu le prennes pour toi.
LA PRINCESSE.
Vous vous moquez, seigneur, et ce n'est pas ce qu'il demande.
EURYALE.
Pardonnez-moi, madame, je suis assez téméraire pour cela, et je prends à témoin le prince votre père si ce n'est pas vous que j'ai demandée. C'est trop vous tenir dans l'erreur; il faut lever le masque, et, dussiez-vous vous en prévaloir contre moi, découvrir à vos yeux les véritables sentiments de mon cœur. Je n'ai jamais aimé que vous, et jamais je n'aimerai que vous. C'est vous, madame, qui m'avez enlevé cette qualité d'insensible que j'avois toujours affectée; et tout ce que j'ai pu vous dire n'a été qu'une feinte qu'un mouvement secret m'a inspirée, et que je n'ai suivie qu'avec toutes les violences imaginables. Il falloit qu'elle cessât bientôt, sans doute, et je m'étonne seulement qu'elle ait pu durer la moitié d'un jour; car, enfin, je mourois, je brûlois dans l'âme, quand je vous déguisois mes sentiments; et jamais cœur n'a souffert une contrainte égale à la mienne. Que si cette feinte, madame, a quelque chose qui vous offense, je suis tout prêt de mourir pour vous en venger; vous n'avez qu'à parler, et ma main sur-le-champ fera gloire d'exécuter l'arrêt que vous prononcerez.
LA PRINCESSE.
Non, non, prince, je ne vous sais pas mauvais gré de m'avoir abusée; et tout ce que vous m'avez dit, je l'aime bien mieux une feinte que non pas une vérité.
IPHITAS.
Si bien donc, ma fille, que tu veux bien accepter ce prince pour époux?
LA PRINCESSE.
Seigneur, je ne sais pas encore ce que je veux. Donnez-moi 362 le temps d'y songer, je vous prie, et m'épargnez un peu la confusion où je suis.
IPHITAS.
Vous jugez, prince, ce que cela veut dire, et vous pouvez fonder[244] là-dessus.
EURYALE.
Je l'attendrai tant qu'il vous plaira, madame, cet arrêt de ma destinée; et, s'il me condamne à la mort, je le suivrai sans murmure.
IPHITAS.
Viens, Moron. C'est ici un jour de paix, et je te remets en grâce avec la princesse.
MORON.
Seigneur, je serai meilleur courtisan une autre fois, et je me garderai bien de dire ce que je pense.
SCÈNE III.—ARISTOMÈNE, THÉOCLE, IPHITAS, LA PRINCESSE, EURYALE, AGLANTE, CYNTHIE, MORON.
IPHITAS, aux princes de Messène et de Pyle.
Je crains bien, princes, que le choix de ma fille ne soit pas en votre faveur; mais voilà deux princesses qui peuvent bien vous consoler de ce petit malheur.
ARISTOMÈNE.
Seigneur, nous savons prendre notre parti; et, si ces aimables princesses n'ont point trop de mépris pour des cœurs qu'on a rebutés, nous pouvons revenir par elles à l'honneur de votre alliance.
SCÈNE IV.—IPHITAS, LA PRINCESSE, AGLANTE, CYNTHIE, PHILIS, EURYALE, ARISTOMÈNE, THÉOCLE, MORON.
PHILIS, à Iphitas.
Seigneur, la déesse Vénus vient d'annoncer partout le changement du cœur de la princesse. Tous les pasteurs et 363 toutes les bergères en témoignent leur joie par des danses et des chansons; et, si ce n'est point un spectacle que vous méprisiez, vous allez voir l'allégresse publique se répandre jusques ici.
CINQUIÈME INTERMÈDE
BERGERS et BERGÈRES.
QUATRE BERGERS ET DEUX BERGÈRES HÉROIQUES chantent la chanson suivante, sur l'air de laquelle dansent d'autres bergers et bergères.
FIN DE LA PRINCESSE D'ÉLIDE.
DEUXIÈME ÉPOQUE (1659-1664) (Suite) |
|||
VIII. | 1661. | L'École des Maris, comédie | 9 |
IX. | 1661. | Les Fâcheux, comédie-ballet | 58 |
X. | 1662. | L'École des Femmes, comédie | 106 |
XI. | 1663. | La Critique de l'École des Femmes, comédie | 192 |
XII. | 1663. | L'impromptu de Versailles, comédie | 232 |
XIII. | 1664. | Le Mariage forcé, comédie-ballet | 269 |
XIV. | 1664. | La Princesse d'Élide, comédie-ballet | 308 |
FIN DE LA TABLE DU DEUXIÈME VOLUME.
E. Colin.—Imprimerie de Lagny.
[1] Troisième Nouvelle du Décaméron.
[2] Loret, Muse historique, 17 juin 1661.
[3] Monsieur avait permis à Molière et à sa troupe de porter le nom de Comédiens ordinaires de Monsieur; il leur avait même promis une pension qu'il oublia toujours de payer.
[4] Pour: modeste, sans mélange de bassesse morale.
[5] Les Précieuses et Sganarelle avaient été imprimés subrepticement. Voyez t. I, p. 241, 278.
[6] Le meilleur; du mot grec, aristos. C'est le type du sage moderne.
[7] Pour: parfumés. Métaphore populaire qui n'a pas complètement disparu.
[8] Pour: envahit la figure. Il s'agit de la perruque.
[9] Jouet semé de plumes, qui s'écarte en effet, qui forme un angle très-ouvert. Les commentateurs, auxquels la simplicité ne plaît jamais, ont voulu y voir une aile de moulin.
[10] Pour: exemple, preuve; du latin factum.
[11] Pour: n'était pas. Faute de français née de la nécessité du vers.
[12] Vêtement qui remonte au XIIIe siècle. Il enveloppait et serrait le buste depuis le cou jusqu'à la ceinture. Les élégants le faisaient faire de peau de senteur et très-étroit. La vieille cour les portait longs et bien ouatés. Du latin barbare per punctum, étoffe piquée.
[13] Vêtement pour les cuisses, comme les bas-de-chausses, que nous appelons des bas, étaient le vêtement des jambes. La vieille cour portait cette culotte très-étroite; les jeunes courtisans en faisaient des cotillons très-larges, comme dit Sganarelle.
[14] Prononciation populaire et non archaïque.
[15] Ornement usité au XVIe siècle, et que les arriérés de l'ancienne cour s'obstinaient à conserver. La reine Élisabeth en portait d'immenses, la tête sortait de là comme du milieu d'une vaste aiguière faite d'étoffe plissée, cannelée et très-empesée.
[16] Pour: méthode pour garder. Hardiesse expressive.
[17] Ornements de rubans que les femmes portent encore.
[18] Voyez les Précieuses ridicules, t. 1, p. 268.
[19] Pour: fleurs de rhétorique galante. Les Anglais ont conservé le mot flirtation.
[20] Adjectif inventé par Molière, du mot muguet, fleur parfumée. Voy. p. 7.
[21] Pour: théorie appliquée à la pratique de la vie.
[22] Scène imitée en partie des Adelphes.
[23] Pour: chose naturelle, nécessaire comme le pain bénit à la messe.
[24] Monologue traduit des Adelphes.
[25] Pour: accointances, commerce. Archaïsme bourgeois.
[26] Pour: jeune viveur, du latin gaudere. Archaïsme aujourd'hui tombé dans le bas langage.
[27] Pour: bonheur. Archaïsme passé de mode.
[28] Premier fils de Louis XIV, qui naquit à Fontainebleau, cinq mois après la première représentation de l'École des maris, le 1er novembre 1661, et mourut à Meudon le 14 avril 1711. Il est probable que les quatre vers contenant une allusion aux fêtes données alors furent ajoutés par Molière après la naissance du prince.
[29] Pour: répartie. Archaïsme perdu.
[30] Pour: d'un loup-garou. Le mot est devenu adjectif.
[31] Pour: ce qui milite en votre faveur. Emploi du mot faire dans le sens anglais to do, sens que nous avons déjà signalé.
[32] Pour: inféodés, c'est-à-dire authentiques, irrécusables. Mot emprunté à la féodalité.
[33] Pour: attaquer directement. Mot emprunté aux combats chevaleresques: rompre sa lance sur la visière.
[34] Pour: carrière où l'on peut s'élancer librement. Mot également emprunté aux tournois chevaleresques. De ces trois dernières expressions, les deux premières se sont conservées, la troisième a disparu.
[35] Pour: jeté une boîte. Licence archaïque qui n'avait rien de condamnable, et que nous avons perdue.
[36] Mots qui rimaient ensemble.
[37] Édit du 27 novembre 1660, prohibant broderies, cannetilles, paillettes, etc.
[38] Pour: cris. Ordonnances criées dans les rues contre l'usage de certains habillements et de certaines étoffes.
[39] Guipure: broderie en relief, recouverte en fil d'or ou en clinquant.
[40] Pour: visez d'autre côté. Terme de chasse.
[41] Pour: charger sa trousse, son bagage, avant de décamper. Du mot scandinave ou teutonique bag, effets, bijoux.
[42] Scène imitée de la Discreta Enamorada de Lope.
[43] Pour: à l'instant même; du latin, in ipso tempore.
[44] Pour: discours de rhétorique; du grec Phoïbos, dieu des beaux discours.
[45] Pour: qu'elle puisse revenir. Forme conditionnelle très-expressive et très-rapide.
[46] Isabelle sort de la maison, voilée, ou, comme disent les Espagnols, embozada.
[47] Pour: avant que. Forme archaïque nécessitée par l'élision.
[48] Pour: urgent, qui force à se hâter. Ellipse très-hardie.
[49] Pour: sous prétexte de foi donnée. Mauvaise tournure et d'une grande dureté.
[50] Rime insuffisante, l'a du premier de ces mots étant long, et le second étant bref.
[51] Pour: malheur d'être berné. Mot très-bien inventé par Molière, et qui, après lui, n'a pas été employé.
[52] Pour: prenez l'assurance. Excellente expression du XVIIe siècle.
[53] Pour importun, qui cause de la fâcherie. Le titre même de cette pièce est un archaïsme hors d'usage. Le mot to fach, importé en Écosse par les Français, est resté dans le patois des low-lands avec la même nuance.
[54] Satire IXe, Ibam forte via sacra.
[55] La VIIIe.
[56] La plupart des commentateurs ont établi, à propos de cette nymphe sortant de sa coquille, une confusion singulière. Les uns veulent qu'Armande Béjart soit identique à Madeleine, sa sœur aînée; les autres supposent qu'Orphise, qui va paraître dès la seconde scène dans le costume assez compliqué des dames de la cour, ait joué aussi le rôle de la Naïade. Notre explication nous semble la plus naturelle et la mieux justifiée par les faits et la situation morale de la troupe.
[57] Notes de M. Bazin sur Molière.
[58] Pour: contribuer en quelque chose. Du latin tribuere, au sens actif.
[59] Madeleine Béjart, encore belle à quarante-trois ans, et dont la jeune sœur Armande, qui jouait le rôle d'Orphise, paraît dès la scène II.
[60] Ces vers de l'ami de Fouquet, avocat célèbre et membre de l'Académie française, sont remarquables par la dignité, la correction et même l'élévation du sentiment.
[61] Les élégants venaient y étaler leurs grâces et se donner eux-mêmes en spectacle, tout en écoutant les pièces nouvelles. Shakspeare, comme Molière, s'est moqué de cette coutume si gênante pour les acteurs; elle n'a cessé en France qu'en 1759, époque où M. de Lauraguais indemnisa ces derniers, auxquels il imposa la condition de supprimer les places du théâtre.
[62] Pour: insultant avec morgue. Mot admirablement inventé, dont je ne connais pas d'autre exemple. De l'italien, Morgante, héros du Pulci, géant insolent.
[63] Pour: qui ne vous connaissant de rien, c'est-à-dire aucunement, etc. Ellipse et hardiesse remarquables.
[64] Pour: qu'il était de justice. Ellipse du même ordre.
[65] Pour: faisant la minute, formant le plan. Archaïsme regrettable.
[66] Le spectacle finissait alors à sept heures du soir.
[67] Pour: réponse plus sèche. Ellipse qui correspond à la donner belle, à donner bonne.
[68] Depuis le règne de Henri IV, chacun portait un peigne dans sa poche pour se rajuster, et les valets ne manquaient pas de rendre ce service à leurs maîtres.
[69] Air de danse dont les pas étaient glissés et d'un mouvement fort lent.
[70] Pour: maître de ballets. Mot qui n'avait alors aucun sens défavorable.
[71] Le musicien Lully, valet d'Arlequin dans son enfance, devenu surintendant de la musique de Louis XIV, et qui mourut fort riche.
[72] Pour: mettre en partition l'air inventé par notre gentilhomme.
[73] Au lieu de: pour maltraiter. Licence contestable.
[74] Pour: je suis rentrée. Licence qui serait aujourd'hui une faute grave.
[75] Deux mots qui rimaient alors entre eux.
[76] Pour: détournée de son but; du latin, divertere. Archaïsme inusité depuis le XVIIe siècle.
[77] Le sel de cette admirable description d'une partie de piquet consiste dans l'impossibilité de la comprendre, tant est véhémente la fureur de celui qui vient de perdre.
[78] Ce qui reste au joueur, après avoir écarté. Terme du jeu de piquet.
[79] Pour: auquel. Archaïsme et hardiesse de langage.
[80] Pour: patiente à la souffrance. Archaïsme passé de mode.
[81] Personnage copié, par ordre de Louis XIV, sur le marquis de Soyecourt, amoureux de la chasse jusqu'à la folie.
[82] Pour cerf de sept ans.
[83] Pour: petit cor d'appel destiné à rassembler la meute.
[84] Pour: mauvais chiens du chasse.
[85] Pour: repasser par-dessus les branches brisées, atteindre le cerf dans son asile et l'en faire repartir.
[86] Pour: trois longueurs de laisse.
[87] Hiatus que Molière n'a pas corrigé, pour laisser le terme de chasse dans son entier.
[88] Pour: voilà les chiens lancés sur la voie du cerf.
[89] Pour: sort de la forêt.
[90] Gaveau, marchand de chevaux célèbre à la cour. (Note de Molière.)
[91] Ces deux mots rimaient ensemble au XVIIe siècle.
[92] Pour: les chiens coupant le chemin au cerf et prenant l'avance sur lui.
[93] Drécar, piqueur renommé. (Note de Molière.)
[94] Pour: je revois la trace.
[95] L'édition d'Aimé Martin porte résonne, c'est-à-dire je retentis, ce qui n'a pas de sens. L'édition de M. Louandre, 1852, porte raisonne, c'est-à-dire je médite à loisir. Enfin l'édition Didot porte re-sonne, leçon que nous adoptons, et qui semble d'autant plus conforme à la pensée de Molière, que le chasseur dit ensuite: «Quelques chiens revenaient à moi.»
[96] Pour: gaule, branchage.
[97] Pour: sur lequel je fonde mon projet. Ellipse qui est une faute.
[98] Pour: gens que l'on maltraite, à qui l'on donne sur le nez.
[99] Le poëte Neufgermain, à demi-fou, avait mis à la mode ces puérilités. Voyez Tallemant des Réaux.
[100] Promenade plantée d'arbres près de l'Arsenal. Du mot teutonique mail, lieu de réunion.
[101] Pour: savant épais, du péjoratif italien accio; en languedocien, asse. Villaccia, grande et vilaine ville.
[102] Pour: alchimiste, qui fait de l'or à coup de soufflet. Le mot était encore d'usage en ce sens à la fin du XVIIe siècle.
[103] Pour: pierre philosophale.
[104] Pour: quel que soit le succès de l'affaire, quoi qu'il en résulte. Extension du sens, d'un emploi assez hardi.
[105] Pour: embuscade. Du mot bois, où l'on s'embusque pour surprendre l'homme qui va passer.
[106] Voyez ci-après l'introduction de la Critique et celle de l'Impromptu.
[107] Henriette d'Angleterre, première femme de Monsieur, frère de Louis XIV, petite-fille de Henri IV dont l'oraison funèbre a été prononcée par Bossuet. Elle mourut à Saint-Cloud le 30 Juin 1670, à l'âge de vingt-six ans.
[108] La Critique de l'École des femmes, jouée le 1er juin 1663.
[109] L'abbé Dubuisson. Voyez plus loin, Préface de la Critique.
[110] Pour: dans la journée de demain. Ellipse trop dure.
[111] Pour: qui ne dirait rien. Licence très-expressive, pas imiter.
[112] Pour: je réponds ce que. Ellipse considérable, et que personne ne se permettrait plus.
[113] Pour: plaidez, faites votre harangue. Du latin patrocinari, qui vient lui-même de patres conscripti. Archaïsme regrettable.
[114] Pour: la pensée me vint. Tournure très-expressive, familière aux Allemands: Il me pense, il m'attriste.
[115] Archaïsme aujourd'hui populaire. Les Anglais emploient toujours every one.
[116] Pour: je m'émerveille de. Archaïsme inusité aujourd'hui.
[117] Pour: concitoyens. C'est le civis latin.
[118] Pour: frappé. Du latin ferire.
[119] Dans l'édition Aimé Martin, on lit aux vœux; dans l'édition Louandre, aux yeux. Notre leçon nous semble plus naturelle et préférable.
[120] Pour: défaille. Archaïsme énergique et regrettable.
[121] Pour: vous ennuyez-vous? Emploi de il, impersonnel, que nous avons déjà remarqué.
[122] L'emploi du verbe faire, pour: dire, était déjà un archaïsme du temps de Molière, et cet emploi complète l'ingénuité du rôle d'Agnès.
[123] Pour: un peu. Cet archaïsme naïf s'est conservé dans petit peu.
[124] Pour: que l'on me fasse tous les affronts. Archaïsme hors d'usage.
[125] Pour: qui donne du plaisir. Archaïsme regrettable. Nous n'avons plus que déplaisante.
[126] Pour: un pavé. Mot qui ne se dirait plus.
[127] Les huit vers indiqués par des guillemets n'étaient pas prononcés sur la scène du temps de Molière, comme attentatoires à la morale et offrant la parodie des recommandations de l'Église.
[128] Pour: refuse d'être. Archaïsme et latinisme d'une grande énergie.
[129] Pour: dîners à la campagne. Voyez tome Ier, p. 268, note troisième.
[130] Pour: s'écarter. C'est plutôt une faute de français qu'un archaïsme.
[131] Pour: pourraient bien savoir qu'en dire. Ellipse très intelligible et très-énergique.
[132] Pour: mettons notre chapeau. Ellipse du ton familier et même trivial, qui n'a plus cours.
[133] Pour: de pareille manière. Expression populaire. Nous n'avons gardé que rendre la pareille.
[134] Pour: en me supprimant, en m'effaçant de son cœur. Hardiesse fort équivoque.
[135] Pour: de la dot. L'emploi de ce mot au masculin est hors d'usage, même chez les notaires.
[136] Parodie des termes de la Coutume de Paris. Mots techniques à propos desquels il serait inutile de commencer ici un long commentaire de jurisprudence.
[137] Pour: accident, occurence; acceder. Expression impropre.
[138] De l'Italien becco cornuto, bouc portant cornes. Le peuple d'Italie prétend que le mâle ne s'inquiète point, dans cette race, des infidélités de sa femelle.
[139] Les vingt vers marqués par des guillemets étaient supprimés à la représentation, du temps de Molière.
[140] Pour: humble sous le destin. Belle expression créée par Molière.
[141] Pour: lorsque je vois. Archaïsme d'un très-bon effet.
[142] Pour: n'a plus de concurrents. Expression impropre, quoique vive.
[143] Pour: reprendre l'assurance et la tranquillité. Expression proverbiale.
[144] Pour: dit des cajoleries. L'emploi de ce verbe, au neutre, est archaïque et hors d'usage.
[145] Au lieu de: criez-vous contre moi.
[146] Pour: ce me semble.
[147] Monnaie valant deux deniers.
[148] Pour: pimpante et bien vêtue. Voyez plus haut.
[149] Terme emprunté aux soins de propreté que l'on prend des chevaux en les nettoyant et les lustrant avec un bouchon de paille. Les commentateurs ont vu ici un diminutif du mot bouche.
[150] Pour: fond d'un couvent.
[151] Pour: a profité de la fraîcheur de la nuit. Vers obscur, expression impropre.
[152] Pour: par soi-même.
[153] Pour: forcer les jeunes gens de se ranger. Archaïsme des plus énergiques.
[154] Emploi du verbe faire que nous avons déjà signalé. Ce vers signifie: en étant indulgents pour eux nous agissons contre eux. Phrase aussi languissante que le vers du Molière est élégant et simple.
[155] Anne d'Autriche, fille aînée de Philippe III, roi d'Espagne, femme de Louis XIII, mère de Louis XIV, morte le 20 janvier 1666.
[156] Pour: souffrir longtemps. Expression énergique, aujourd'hui perdue.
[157] Pour: invention de calembours grotesques et de lazzi; de tire-lupin, qui tire des pois chiches, ou lupins, d'un sac. Bouffons des anciennes farces.
[158] Pour: on le juge plaisant, agréable.
[159] Molière lui-même.
[160] Du théâtre de Molière. Voyez la préface de Don Garcie de Navarre.
[161] Mot inventé par Molière, conforme à l'analogie, et que l'on n'a plus employé.
[162] Mot introduit par les précieuses; du latin, obscenitas; une femme du monde ne l'emploierait plus aujourd'hui, à cause de son énergie même.
[163] Pour: il ne veut pas omettre d'entrer. Excellente expression empruntée aux Italiens (lasciar di dire). Expression que nous avons perdue, et qui ne peut se remplacer.
[164] Pour: gens comme il faut. Cette acception s'est conservée jusqu'au milieu du XVIIIe siècle.
[165] Pour: suffisante. Voyez plus haut, tome Ier, page 255, note cinquième.
[166] Pour: à côté de qui j'étais. Archaïsme passé de mode.
[167] Pour: pudeur.
[168] Pour: au moyen de quelque chose.
[169] Mot inventé par la précieuse Climène.
[170] Les comédiens de l'hôtel de Bourgogne, alors délaissés.
[171] Pour: personnage ridicule. Mot qui, sans le substantif, ne s'emploie plus aujourd'hui qu'au neutre.
[172] Pour: de doucereux. La règle des pronoms partitifs n'était pas encore fixée.
[173] Projectiles employés en maintes circonstances par le public mécontent.
[174] Pour: cède le pas. Le est neutre, comme dans: vous le payerez.
[175] Mot inventé par une précieuse, madame de Mauny, et qui est resté dans la langue.
[176] Dentelles qui coûtaient fort cher.
[177] Pour: couvert de rouille. Mot composé par Molière, maintenant inusité, et très-expressif.
[178] Pour: jusqu'à. Archaïsme plus expressif que la tournure moderne.
[179] Pour: prétendue. Mot qui a changé de sens, comme beaucoup d'autres: coquette, prude, par exemple.
[180] Pour: il n'a pas souci que. Le sens de ce mot a changé.
[181] The Rehearsal.
[182] Pour: me donner la rage. Mot dont le sens s'est affaibli depuis le XVIIe siècle.
[183] Les comédiens de l'hôtel de Bourgogne. Voyez plus haut, p. 216.
[184] Le mardi, le vendredi et le dimanche. Les deux troupes jouaient simultanément et à la même heure.
[185] Pour: à une comédie. Nuance archaïque que nous avons perdue. Molière n'a pas seulement l'idée passagère d'une comédie, elle est pour lui tout un rêve.
[186] Se mêler d'une chose.
[187] Monfleury, dont l'abdomen était immense, et que Molière va parodier tout à l'heure.
[188] Pour: chargé de tripes. Mot burlesque créé par Molière à la façon de Rabelais.
[189] Pour: j'en ai reconnu quelques-uns là. Ellipse trop forte.
[190] Pour: mignarde, faisant des façons. Mot excellent devenu vulgaire.
[191] Pour: médire avec douceur, prêter de mauvaises actions à son prochain, sans doute par charité. Proverbe par antiphrase, d'une signification très-malicieuse.
[192] Pour: comment va-t-il de votre santé? Expression impersonnelle, comme il y en a beaucoup chez Molière et dans le vieux style.
[193] Pour: Il n'y a rien à craindre de moi. Expression évidemment ambiguë.
[194] Probablement sur son banquier.
[195] Au lieu de: ce sont proprement des fantômes. Transposition archaïque beaucoup plus expressive que la tournure moderne.
[196] Au lieu de: qu'il fasse et quoi qu'il dise. Sens archaïque difficile à comprendre aujourd'hui.
[197] Pour: que vous employiez le fard et la céruse.
[198] Pour: les idées prises de Molière sont tout ce qu'il y a d'agréable. Inversion d'une extrême hardiesse.
[199] Pour: homme qui fait le nécessaire, l'important.
[200] Pour: le chapeau sur votre tête. Ellipse archaïque et bourgeoise.
[201] Imité de Rabelais, Pantagruel, liv. III, c. IX.
[202] Pour: personne recherchée en mariage. Mot qui a changé d'acception.
[203] Voyez plus haut, tome Ier, p. 268, note troisième.
[204] Pour: ignorant de; du latin, ignarus.
[205] Les passages placés entre deux crochets appartiennent à l'édition de 1682.
[206] Tu erres par tout le ciel (Macrobe); tu te trompes de route (Térence). Proverbes latins.
[207] Des poings, des pieds, des ongles et du bec.
[208] Voyez plus haut, p. 21, note deuxième.
[209] Que le vide existe dans la nature.
[210] Pour: l'indication et le miroir de l'âme.
[211] Secret; du latin, arcanum.
[212] Argumenter; du latin, ratiocinari.
[213] Dans l'un et l'autre droit, le droit civil et le droit canon
[214] Par tous les modes et cas.
[215] Superlativement.
[216] Interprétation des rêves.
[217] Mesure du monde.
[218] Divination par les miroirs.
[219] Interprétation des météores.
[220] Divination par physionomie.
[221] Divination par l'inspection de la main.
[222] Divination par l'inspection du sol.
[223] Voyez, tome Ier, la Jalousie du barbouillé, où se trouve l'ébauche de cette scène.
[224] Imité de Rabelais, Pantagruel, liv. III, c. XXX.
[225] Pour: pièce de monnaie portant une croix.
[226] Imitation de Rabelais, Pantagruel, liv. III, c. XXX.
[227] Lycante est le même personnage qui est appelé Alcidas dans la comédie; c'est le fils d'Alcantor et le frère de Dorimène.
[228] Il ne reste des demandes de Sganarelle au magicien que ce qu'on appelle, en termes de théâtre, les répliques. (L'éditeur de 1664.)
[229] Probablement la célèbre Bergerotti, cantatrice célèbre de l'époque.
[230] Probablement Tagliavacca, célèbre chanteur de l'époque.
[231] «Tu me tiens pour aveugle, Bélise; mais je vois bien tes rigueurs, et ton dédain est chose si claire, que les aveugles le verroient. »Si mon amour est bien grand, ma douleur n'est pas moindre. Celle-ci peut s'endormir, l'autre reste toujours éveillé. »Tes faveurs, Bélise, je saurai les garder secrètes; quant à mes douleurs je ne saurois en faire ce que je veux.»
[232] Pour: des charmes destinés à me faire. Ellipse archaïque d'un excellent effet.
[233] Phrase à peine intelligible. Un effet des vœux ne peut être couvert d'un désir. La version donnée, par d'autres éditions: en effet, est plus barbare encore. Euryale veut de qu'il couvre son amour du désir de se montrer aux jeux.
[234] Pour: défigurer. Voyez plus haut, tome Ier, page 286, note.
[235] Pour: j'avais quitté ma couche. C'est une licence plutôt qu'un archaïsme.
[236] Voyez plus haut, tome Ier, page 209, note deuxième.
[237] Allusion à la création du palais et du jardin de Versailles.
[238] Le dessein de l'auteur étoit de traiter ainsi toute la comédie. Mais un commandement du roi, qui pressa cette affaire, l'obligea d'achever tout le reste en prose, et de passer légèrement sur plusieurs scènes, qu'il auroit étendues davantage s'il avoit eu plus de loisir. (Note de Molière.)
[239] Archaïsme populaire. On dit aujourd'hui: faire le drôle.
[240] Pour: cependant. Archaïsme hors d'usage.
[241] Pour: ne vous découragez pas.
[242] Proverbe populaire espagnol, qui équivaut au vers célèbre de Voltaire:
[243] Pour s'enfuir. Archaïsme populaire. Voyez tome Ier, p. 165, note.
[244] Pour: fonder votre opinion. Ce mot ne se prend plus dans l'acception neutre.
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